All the Parents who are gone -chapitre 13

Juliet

Le lendemain, Masahito n'était pas venu au lycée. Si Toya et Yoshiatsu étaient bien présents, s'ils ont passé la journée avec Koichi en faisant de leur mieux pour ne rien laisser paraître, évitant à tout prix le sujet quant à ce qui s'était passé la veille, s'ils ont tout fait pour que Koichi se sente inclus et à l'aise au sein de ce lycée dans lequel il ne vivait que son deuxième jour, malgré tout, ce dernier voyait bien qu'une ombre avait terni leur regard, qu'un secret pesant alourdissait l'atmosphère autour d'eux.
Et s'il ne leur en voulait aucunement, il se sentait malgré lui coupable d'être incapable d'aider les trois garçons. Mais plus que tout, Maya l'inquiétait comme son absence ne pouvait que signifier quelque chose de grave. Aussi, lorsque la journée fut terminée, Koichi salua chaleureusement ses amis avant de s'en aller, dans le soin inavoué de laisser seuls les deux garçons dont il devinait les intentions ; ce soir-là encore, ils le passeraient avec Masahito.




Et ce soir-là fut le dernier.
Si la veille, il avait voulu fêter l'arrivée de Koichi sans boire une seule goutte d'alcool, cette fois l'alcool était l'unique refuge dans lequel il voulait se blottir. Le cocon chaleureux de la présence de ses amis ne suffisait plus ; il lui fallait à tout prix oublier la réalité ou du moins, s'en éloigner le plus possible, courir loin d'elle jusqu'à la semer et tant pis si ce n'était qu'une fuite en avant, tant pis si l'illusion de l'échappée belle ne durait que quelques heures. L'alcool était là, il coulait à flots dans ce club où, un mois plus tôt à peine, ils avaient fêté son anniversaire, et l'alcool était son seul et unique sauveur.





Et ce soir-là fut le dernier.
C'est pourquoi lorsqu'ils quittèrent le club, à deux heures du matin, Masahito, qui était venu avec ses amis sur son scooter, n'était pas en état de conduire. C'est pourquoi Yoshiatsu, qui était lui-même légèrement éméché, donna de l'argent à son ami pour lui permettre de rentrer en taxi. Masahito a pris son argent sans rien dire, trop ivre pour vraiment comprendre ce qu'il faisait, et après avoir pris Maya dans ses bras, après avoir longuement étreint Toya à qui il déposa un subreptice baiser sur la joue, Yoshiatsu s'en est allé de son côté, épuisé.
Alors Toya s'est retrouvé seul avec Masahito qui tenait à peine debout.
Toya a voulu appeler un taxi, mais Masahito a refusé. Je veux rester avec toi, Toya. Je ne veux pas rester tout seul. Je ne veux pas rentrer chez moi, je t'en supplie, je ne veux pas rentrer chez moi…
Maya parlait de sa voix empâtée par l'alcool, étranglée dans les sanglots, et Toya bien sûr n'avait pas le cœur à abandonner son ami à sa solitude. Alors, Toya a attendu quelques minutes et, lorsqu'il vit que Maya parvenait enfin à marcher, bien que sinueusement, il l'a pris par la main et tous deux se sont dirigés vers le véhicule qu'il avait laissé plus loin.
Non, Toya, je ne veux pas… Ne t'inquiète pas, Masahito, je ne te ramènerai pas chez toi. Puisque je ne peux pas te laisser seul, nous allons chez moi. Non, Toya, on ne peut pas aller chez toi… Mes parents ne diront rien, tu es presque un fils pour eux. Si je leur explique que tu avais besoin de moi, ils laisseront faire sans poser de questions. Toya, on ne peut pas aller chez toi. Cesse de faire l'idiot, Maya. Tu es si ivre que tu ne sais plus ce que tu dis… Allez, assieds-toi. Tu ne devrais pas conduire, Toya. Ne dis pas n'importe quoi ; si c'est toi qui conduisais, l'on courrait à la catastrophe ; je n'ai pas bu autant que toi, je te signale.
Mais, Toya, tu n'as pas… Mets ton casque, voilà… Tu es bien installé ? Bon, accroche-toi à moi, et tâche de ne pas me vomir dessus sur la route.

Il y avait l'alcool qui embrumait l'esprit de Masahito, la fatigue qui alourdissait ses yeux, sa tête qui s'appuyait lourdement contre le dos de son ami tandis que ses bras agrippés autour de sa poitrine sentaient, même à travers sa chemise, la chaleur de sa peau.
La chaleur de Toya… C'est la dernière chose à laquelle a pensé Masahito avant de fermer les yeux tandis qu'ils sentaient le vent à pleine vitesse étreindre leurs corps.

Et ce soir-là fut le dernier.
La chaleur de Toya, c'est la première chose qui manqua à Masahito lorsque, comme extirpé d'un profond sommeil, les sens engourdis, il se réveilla sur la route dans une mare de sang.








(Aujourd'hui)

-C'est bien la première fois que je vois ça.
Le crâne lancinant, l'esprit embrumé, les bras engourdis, Yoshiatsu a relevé la tête pour voir, à travers les ratures noires des mèches de cheveux tombant devant ses yeux, la silhouette hachurée de Terukichi. Si le sommeil pesait encore sur sa conscience et étouffait ses émotions, il en fut tout de même peu ravi de cette présence qui le toisait de toute sa hauteur. Du moins, c'est l'impression qu'avait eue Yoshiatsu alors, comme Terukichi debout le dominait, lui, assis, mais le regard que posait sur lui son camarade ne contenait ni mépris, ni hostilité. Juste, Terukichi était curieux, et il tenait à le faire savoir.
-Tu ne dors jamais en plein cours, toi, Yoshiatsu. C'est la spécialité de Mia, ça.
Expirant longuement, gonflant sa poitrine restée trop longtemps écrasée contre son bureau, Yoshiatsu a passé ses mains sur son visage tiré par la fatigue. Il s'est étiré de tout son long, renversant la tête en arrière, avant de se détendre dans un long soupir sonore.
-Que me veux-tu ? lança-t-il à Terukichi.

Le regard de Yoshiatsu, encore voilé par le sommeil l'instant d'avant, avait retrouvé toute sa dureté habituelle.
-Eh bien tu sais, puisque tu te retrouves seul comme un petit chiot abandonné depuis que Koichi a choisi de jeter son dévolu sur Mia, je me disais qu'on pourrait faire un bout de chemin ensemble, toi et moi.
Si les yeux de Yoshiatsu avaient été des armes, il ne fait nul doute que son camarade aurait péri sur le coup, mais Terukichi continuait à fixer le garçon dans un calme impérieux.
-Excuse-moi, tu m'as traité de “petit chiot abandonné” ?
-Ce n'était pas méchant, tu sais. Bon, tu viens ?

Évidemment, la première pensée qui a traversé l'esprit de Yoshiatsu à ce moment-là était que Terukichi dissimulait un plan machiavélique derrière cette façade d'ange.
-Tu demandes à moi, Yoshiatsu, le type que tu détestes plus que tout et que tu as envoyé à l'hôpital, si je veux faire “un bout de chemin” avec toi ? a-t-il articulé lentement, suspicieux.
-Je ne t'aime pas, mais tu es tout seul, et ce n'est jamais drôle de voir quelqu'un seul.
-Je ne suis pas là pour te servir de bonne action, Saint Terukichi.
-Dans ce cas, je te laisse seul avec ta mauvaise humeur et tes marques de plis d'uniforme sur le visage.

Teru a fait volte-face sans plus de cérémonie, si bien qu'il ne restait dans la salle de classe plus que lui et Masashi qui terminait de ranger ses affaires. Lorsque le regard de l'homme s'est levé pour croiser le sien, Yoshiatsu s'est dit que Terukichi n'était sans doute pas du genre à dissimuler de mauvaises intentions dans son esprit. Après tout, il avait plutôt l'air du genre à envoyer quelqu'un à l'hôpital sur un coup de sang plutôt que de recourir à la sournoiserie. Alors, Yoshiatsu se leva, rangea ses affaires en tas dans son sac et courut vers la sortie.





-Ne crois pas que je vienne parce que j'en ai envie. C'est juste que l'on habite dans la même direction et que tu me faisais pitié, à quémander ma compagnie en te donnant l'air d'un messie venu me proposer la sienne.
Terukichi a adressé un pâle sourire à Yoshiatsu, et si ce sourire était caché derrière son épaisse écharpe de laine remontant jusqu'à son nez, Yoshiatsu l'a vu malgré tout allumer une lueur dans les yeux bleus de Teru et creuser d'infimes ridules en leurs coins.

Ils ont marché ainsi côte à côte, et si le silence qui régnait était d'une infinie légèreté pour Terukichi qui marchait d'un pas rapide, les mains dans les poches et le nez baissé enfoui dans son écharpe, il était d'une lourdeur écrasante pour Yoshiatsu qui regretta aussitôt sa présence, se demandant ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour venir marcher aux côtés de Terukichi.
“Terukichi, bordel, tu es vraiment sérieux ? Tu ne pouvais pas choisir pire que ce type. Enfin, c'est lui qui t'a choisi, de toute évidence, mais franchement, qu'est-ce qui t'a pris d'agir comme si c'était normal alors qu'il n'y absolument rien de normal dans une situation dans laquelle toi, Yoshiatsu, tu te retrouves à marcher à ses côtés ?”
Il lui aurait suffi de s'éloigner, bien sûr, car le souci de la politesse n'était pas ce qui aurait pu entraver Yoshiatsu dans l'accomplissement de ses volontés. Mais il ne voulait pas s'avouer vaincu, à trahir son malaise qu'il était de toute évidence le seul à ressentir, comme Terukichi semblait si absorbé par ses pensées qu'il avait très bien pu en oublier sa présence.
Ah, la galère, le calvaire, quel enfer, je suis vraiment en train de me promener à ses côtés comme un toutou obéissant alors que ce sale type ne me calcule pas.
-Tu es triste, pour Koichi ?
La petite voix étouffée de Terukichi, à travers la barrière de son écharpe, ressemblait à une plainte timide. Si Yoshiatsu avait bien compris la question, cependant, elle lui était si surprenante qu'il crut d'abord avoir rêvé : -Pardon ?
-Je me demandais, comme ça, si tu étais triste que Koichi ne te parle plus.
-Koichi me parle encore, abruti, se défendit Yoshiatsu passablement vexé. Il ne le fait plus qu'en dehors des cours, comme traîner avec Mia et moi en même temps est chose impossible, mais enfin, il me parle.
-Je suppose que ce qui t'ennuie le plus, dans tout cela, c'est qu'il se soit lié d'amitié avec lui.

Yoshiatsu a lâché un rire désabusé. Passant ses doigts fins dans ses cheveux noirs que le vent de novembre emmêlait, il étirait un sourire torve, mais son regard se détournait.
Il ne voulait pas lui dire, sans savoir pourquoi cette idée le mettait mal à l'aise, que Koichi faisait certainement semblant d'être attaché à Mia dans le seul but de le protéger de lui.
-Peu m'importe avec qui ce sale gosse passe ses journées. Ma vie ne tourne pas autour de Koichi, figure-toi.
-Pourtant, il a toujours donné l'impression que la sienne tournait autour de toi.
Yoshiatsu n'a pas relevé. Terukichi marchait toujours tête baissée, le nez dans son écharpe et les mains dans ses poches, mais lorsqu'il les a retirées pour relever plus encore le tissu sur son visage, Yoshiatsu n'a pu s'empêcher de jeter un regard sur sa main. Cette main gauche, si fine, si gracieuse… et ce tatouage, si discret et qui lui sautait aux yeux pourtant.
Yoshiatsu a soupiré.
-Tu as dix-sept ans, bordel. Qui t'a fait ce tatouage ?
-Tu sais, ce n'est pas si difficile qu'on le croit, de trouver quelqu'un qui accepte de tatouer un mineur, s'est-t-il contenté de dire dans un haussement d'épaules.
-Ce n'est pas ça, c'est juste que tu es trop jeune pour ce genre de… Laisse tomber, ce n'est pas comme si ta vie m'intéressait, de toute façon.

Et Terukichi n'avait pas envie d'en parler. Ce n'est pas à cause du manque de confiance, bien réel, qu'il lui portait. Ce n'est pas à cause de leur hostilité respective, des désaccords passés et présents, ni même par timidité ou une quelconque pudeur.
Ce n'est pas parce qu'il pensait que quelqu'un d'aussi insensible que Yoshiatsu n'aurait pas pu comprendre. Ce n'est pas non plus, même si cette raison seule suffisait, parce qu'il avait ce secret que rien ni personne ne pouvait lui faire révéler. Ce n'était pas parce que sa vie était de ces “il était une fois” qui restent à jamais enterrés dans le silence.
Si Terukichi n'a rien dit, c'est avant tout parce que ce jour-là, Yoshiatsu lui avait semblé triste. Un peu trop triste. Si triste qu'au final, il n'avait trouvé que le sommeil comme refuge. Alors, malgré tout son mépris, malgré toute son aversion, malgré toute sa rancoeur envers lui, Terukichi s'est dit que, la tristesse, c'était une chose dont ils n'avaient pas besoin alors.
-Tu sais, Yoshiatsu, la vie n'est qu'un deuil infini.

Terukichi ne regardait que le sol, dans cette même position recroquevillée et cette même démarche, raide et rapide, qu'il avait eue depuis le début. Yoshiatsu l'a regardé. Terukichi ne le savait pas, mais ce garçon insensible, violent et sadique qu'il avait toujours honni, finalement, c'était peut-être lui qui le comprenait le plus.









Terukichi a quinze ans, une âme de poète, un cœur d'amoureux. Entre ses mains il tient son futur, et son futur sourit, rayonnant, éclatant, et son futur éclate de rire. Avec son visage écrasé entre ces mains chaudes, ses yeux scintillants et ses cheveux blonds, le futur est un soleil humain dont la beauté n'a d'égale que la douceur.
Sa bouche écrasée entre ses joues oppressées essaie d'articuler quelque chose, mais seul un borborygme en sort qui le fait éclater de rire de plus belle sous le regard tendrement moqueur de Terukichi. Alors Jui se débat, il en fait mine du moins, attrappe les mains du garçon qui enserrent toujours son visage et lorsqu'enfin, il réussit à se libérer de cette emprise, il profite d'en avoir sur ces mains blanches pour les porter à ses lèvres, déposant un délicat baiser sur les paumes.
Terukichi rosit comme un petit rire lui échappe, c'est un rire qui lui fait penser à un lutin, et Jui se sent fondre de plus belle face à cet embarras dont il est le coupable.
-Je ne te permets pas de me toucher de la sorte, Terukichi ; aussi, ne me le reproche pas si, pour me venger, j'en viens à déposer quelques baisers sur cette peau si douce.

Ce disant, il se pencha vers le garçon au creux du cou duquel il appuya ses lèvres avec tendresse. Un frisson a traversé Teru de haut en bas qui tressaillit, les lèvres entrouvertes sur un son qui resta bloqué là, au seuil de sa bouche que bientôt, celle de Jui vint capturer avec délice.
Et si Terukichi se laissait fondre, s'il a fermé les yeux pour mieux vivre ce rêve éveillé, pour mieux rêver cette réalité, s'il a laissé ses forces le quitter, s'il a laissé la force de Jui le faire basculer sur le lit, c'est parce que Terukichi avait trop connu le vice, c'est parce qu'il avait trop connu la violence, c'est parce qu'il avait trop connu la haine et la froideur, pour savoir que derrière les mains chaudes de Jui, derrière son regard brûlant de tendresse, derrière ses lèvres occupées à le couvrir de baisers, il n'y avait rien à craindre.
Bien sûr, il a un peu d'appréhension, bien sûr il est un peu intimidé, mais pour la première fois depuis si longtemps, Terukichi se sent en sécurité. Et pour lui qui n'avait jamais connu que les mains sales des hommes, pour eux qui n'avaient jamais connu que la perversion sous couvert d'affection, finalement, la sécurité, et cette confiance absolue en l'autre, c'est tout ce dont ils avaient besoin pour laisser leur amour exister.
Alors, ce soir-là, à l'abri des regards, peut-être, a pensé Terukichi enveloppé de la chaleur corporelle de Jui, peut-être que pour la première fois, son corps pourrait goûter à des caresses par des mains qui n'avaient pas de sang sur elles. Peut-être que pour la première fois, Jui pourrait savourer la douceur de mains qui le laisseront sans cicatrices. Peut-être que pour la première fois, leur âme pourra se laisser aller à la découverte de leur intimité sans sombrer dans les abysses d'une terreur sans fond.








-Je sais que tu m'en veux toujours pour Gara. Malgré tout, ce n'était pas une raison pour bloquer mes appels et me laisser sans nouvelles de toi si longtemps.

Bien sûr, Hakuei ne pouvait pas le dire à Mia, que durant tous ces jours, il avait harcelé Asagi et Masashi pour savoir ce qui était arrivé au garçon ; mais ces derniers, trop soucieux de préserver ce qu'ils voulaient être un secret, ne faisaient que lui assurer que tout allait bien et que si Mia refusait tout contact avec lui, alors ils ne pouvaient rien y faire, comme tous deux et Hakuei n'étaient pas supposés se connaître.

Il avait dû faire un effort monumental pour dissimuler sa joie et son soulagement lorsque, quelques heures plus tôt, il avait vu le nom de Mia s'afficher sur l'écran de son téléphone en train de sonner. Et Hakuei étant Hakuei, il s'était contenté de quelques mots laconiques lorsque Mia lui demanda s'il pourrait passer chez lui dans la soirée. Mais enfin, après cette attente qui lui parut une éternité, le garçon était apparu à sa porte et depuis, il n'en était que plus difficile pour Hakuei de garder cette distance qu'il imposait au garçon.
Comme un enfant boudeur qui fait valoir sa contrariété, il ne lui avait témoigné aucun geste, aucune parole d'affection, ni même de bienvenue. Juste, son regard couleur glace fixait Mia avec insistance, comme ce dernier s'était étalé sur le canapé en prenant toutes ses aises, exactement comme s'il n'était jamais parti.
-Mia, je suis en train de te parler, je te signale.
Le garçon, la tête appuyée contre l'accoudoir du canapé, étendu de tout son long, a mollement daigné lever un regard froid sur Hakuei. Comme un adolescent faisant ostensiblement la tête à son père par pur esprit de rébellion, il était rivé sur son téléphone, faisant paresseusement glisser sur l'écran son doigt orné d'une bague armure d'argent.
-Si c'était pour rester avachi comme ça sans parler, Mia, tu pouvais rester chez toi.
-Je t'ai demandé si je pouvais venir ce soir ; tu as dit oui. Il n'a jamais été question de faire quoi que ce soit. Si tu avais une attente particulière, tu aurais dû me le dire.
-Oh, je ne sais pas, ironisa l'homme ; comme je n'avais eu de nouvelles de toi depuis deux semaines et que tu aurais tout aussi bien pu être mort sans que je le sache, j'espérais des retrouvailles un peu plus chaleureuses ?
-Oh… tu veux parler de chaleur corporelle ? minauda le garçon dans un sourire en coin.
-Continue à admirer ton téléphone comme un zombie et laisse-moi tranquille.
Il lui a tourné le dos, et Mia a entendu ses pas s'éloigner vers la cuisine de laquelle il entendit bientôt la machine à café démarrer dans un petit bruit mécanique apaisant. L'odeur lui est parvenue aux narines qui a éveillé ses sens, mais le garçon ne trouvait pas le courage de se lever de son si confortable canapé, aussi c'est avec envie qu'il jeta un coup d'oeil vers Hakuei lorsqu'il revint avec une tasse fumante dans la main.
-Je pourrais en avoir aussi, s'il vous plaît ?
-Ne m'adresse pas la parole.

Puisque Mia prenait toute la place sur le canapé, Hakuei s'est assis sur le rebord de la table basse de verre, dos au garçon, sans mot dire. Le silence les a ainsi enveloppés de son cocon tranquille, l'un savourant son café brûlant, l'autre faisant défiler sans même les voir les images sur son téléphone et soudain, Mia décida qu'il en avait marre, lâcha l'appareil sur le coussin moelleux à côté de lui et vint grimper à genoux sur la table basse sur laquelle il avança avant de venir coller sa poitrine au dos de Hakuei.
-Que t'ai-je donc dit ? a fait la voix de l'homme qui ne se retourna pas.
-Vous m'avez interdit de vous adresser la parole, pas de me coller à vous.
Il a doucement posé sa joue contre la nuque de Hakuei, les bras ballants, les yeux dans le vide. C'était une étreinte qui n'en était pas une, c'était un câlin qui n'en était pas vraiment ; juste, un contact entre la poitrine du jeune homme et le dos de Hakuei, la chaleur de ce dernier qui communique à son insu, qui traverse le barrage des vêtements et qui s'imprègne jusqu'au creux de la cage thoracique de l'adolescent.
Les battements de son cœur sont paisibles, lents, comme une promenade tranquille sur une plage de sable chaud, et pourtant Hakuei peut les sentir presque imperceptiblement.
-Éloigne-toi, Mia. Tu es lourd.
-Mais j'ai perdu du poids à l'hôpital…
-Je n'en ai rien à faire, puisque tu ne veux pas me raconter ce qu'il s'est passé. Je ne savais même pas que tu sortais de l'hôpital, imbécile.
Mia a dégluti. Pour toute réponse, il s'est contenté de tourner la tête pour enfoncer son visage au creux de l'épaule de Hakuei qui posa sa tasse de café au sol avec brusquerie :
-Si tu continues, tu devras payer pour ce que tu es en train de faire, menaça-t-il.
-Tant pis, pour moi. Je suppose que je l'aurai mérité.
Bien sûr, qu'il ne croyait pas à la menace de Hakuei. Bien sûr, que Hakuei savait qu'il ne le prendrait pas au sérieux. Malgré tout, sentir le garçon apposer toute sa flegme contre lui, ressentir toute la confiance avec laquelle il se laissait aller, sans savoir pourquoi, ça a fait se creuser dans les entrailles de l'homme un trou causé par l'acidité de ses émotions.
-Hakuei, tu ne pourrais pas me donner un peu d'argent ?
-C'est ce que je fais habituellement lorsque nous nous voyons, non ?
-Mais c'est la première fois que c'est moi qui demande à venirte voir alors, c'est différent.

C'était vrai. Et si s'en rendre compte l'a surpris, ce qui le surprit plus encore était de réaliser qu'il ne s'en était pas rendu compte avant. Pour la première fois, c'est Mia qui lui demandait s'il pouvait venir chez lui lorsque, depuis toujours, Hakuei avait toujours fait le premier pas, faisant venir le garçon chez lui ou lui donnant rendez-vous dans un restaurant, ou même une chambre d'hôtel.
Comme si, après ce long silence durant lequel le sang de Hakuei s'était noirci d'angoisses, son esprit s'était enténébré de scénarios dramatiques, Mia avait subitement réémergé à la surface du monde, comme si sa conscience s'était brutalement extirpée d'une longue absence et qu'alors, Mia s'était souvenu de son existence et, par-là même, avait ressenti le besoin urgent de le voir.
Et la raison pour laquelle Mia avait demandé à voir Hakuei sans qu'il n'ait eu à le demander en premier, l'homme, dans son trouble, aurait voulu la connaître. Il y avait ce mystère plongé dans le brouillard en lui qu'il avait besoin de dissiper.
-Es-tu venu seulement pour me demander de l'argent, Mia ?
-Si je te disais que oui, tu me détesterais ?
Hakuei a hésité. Si la réponse dans son esprit coulait de source, il savait que pour Mia, les choses étaient toujours loin d'être aussi évidentes, lorsqu'il s'agissait des sentiments que l'on pouvait éprouver à son égard. Et Hakuei craignait qu'en disant non, Mia ne le prenne pour un menteur, mais qu'un disant oui, il n'encaisse la blessure sans rien dire.
-Non, Mia, je ne te détesterais pas.
-Alors, donne-moi de l'argent.
Il sent Mia bouger derrière lui, et si l'instant d'avant encore il était agenouillé sur la table, la poitrine collée entre ses omoplates, à présent le garçon s'était assis, ses jambes étendues enserrant celles de l'homme, collant son abdomen entier contre ce dos fort et chaud, entourant ses bras autour de son ventre.
-D'abord, dis-moi pourquoi l'hôpital. Pourquoi m'avoir ignoré pendant deux semaines.
-Parce que je savais que tu t'inquièterais pour rien, Hakuei.
-Et ne donner aucun signe de vie allait certainement me rassurer, c'est évident, cingla-t-il.
-Pourquoi vouloir parler de quelque chose qui est passé, Hakuei ?
-Que peut-on faire sinon parler du passé, puisque le futur n'existe pas encore ?
Les mains que Mia avait reliées contre son ventre pour fermer son étreinte sur lui, Hakuei les a saisies pour les défaire gentiment. Déçu, Mia s'est retrouvé les bras ballants, mais il n'a rien dit, comme sa flegme emportait tout avec elle. Tout, sauf cette chaleur humaine sur laquelle Mia avait la joue posée, le buste appuyé, comme un bébé endormi sur le dos de son père.
-Moi, ça m'intéresse de parler du futur, Hakuei.
Les volutes émanant de la tasse de café posée au sol enveloppent enfin le garçon qui ferme les yeux, dans le délice de ce léger arôme exquis.
-Du moins, j'ai commencé à m'intéresser au futur, à partir du moment où, comme un idiot, je me suis mis à espérer que dans ce futur, tu sois là.










L'œuvre a un arrière-goût amer d'inachevé. Elle est comme un puzzle auquel manque la pièce centrale, celle qui finira de compléter le tableau qui, sans elle, perd tout son sens. Oh, bien sûr, le tableau est magnifique, d'une technicité artistique que l'on ne peut objectivement qu'admirer, mais il a cette imperfection, si minime et qui, pourtant, saute aux yeux. Qu'est-ce qu'une seule pièce d'un puzzle, après tout, lorsque celui-ci en compte un nombre incalculable ? Elle n'est rien et pourtant, il faut croire qu'elle est tout, lorsque cette seule pièce manque et enlève toute son âme à la beauté visuelle de cette œuvre de maître.
Elle n'est qu'à un pas de la perfection et pourtant, ce pas-là, elle ne peut le franchir, comme elle ne sait dans quelle direction il lui faut le franchir. Car si l'œuvre sait que la pièce manquante est là, toute proche, elle n'a toutefois aucune idée de l'endroit où elle se cache.
Sur elle, comme en elle ; cette imperfection qui crève les yeux et qui se dissimule si bien pourtant, pourrait être n'importe où. Et l'œuvre sait qu'elle ne doit pas chercher inconsidérément ; l'on ne fouille pas pour chercher la pièce qui comblera le trou de l'imperfection comme l'on cherche une paire de ciseaux dans un tiroir. L'on ne peut pas tout pousser, tout emmêler, tout enlever dans l'espoir de tomber enfin sur l'objet recherché, non.
Car dans le cas de l'œuvre, pousser, écarter, retirer quoi que ce soit pourrait avoir l'effet contraire du résultat rêvé et alors, c'est la catastrophe qui condamnerait l'œuvre à un gâchis sans possibilité de restauration. Alors, l'œuvre doit s'assurer d'examiner longuement et intensément ce qui, de l'extérieur comme de l'intérieur d'elle-même, laisse ce sentiment d'insatisfaction qui semble grossir la pièce manquante du puzzle de seconde en seconde.






-Tu es fou ? Je t'ai déjà dit de ne plus venir chez moi.
-Tu sais, Gara, je me suis subitement demandé depuis quand tu obéissais aux autres, comme ça. Et puisqu'il semblerait que ce ne soit que depuis que Hakuei est venu proférer ses menaces, laisse-moi te dire que je suis très déçu qu'un homme si influent que toi ait si facilement cédé devant quelqu'un comme lui. Alors, Gara, Hakuei, il peut aller se faire voir, et moi, je peux aller me faire foutre. Par toi.


La finesse de Gara fascine Mia dont les yeux, à travers l'obscurité, fixent cette taille et cette poitrine avec admiration. Ce n'est qu'une ombre qui se découpe à peine dans les ténèbres et pourtant, Mia pourrait la dévorer des yeux pendant des heures, cette finesse chez Gara qui n'a d'égale que sa fouge, celle avec laquelle il jouit du corps de Mia, haletant au rythme de ses mouvements de reins.
Le jeune homme est sur les couvertures de soie, sous une couverture humaine, et lorsqu'il ferme les yeux pour mieux sentir la chaleur corporelle battre en lui, ses mains observent. Elles observent mieux que ne pourraient jamais le faire ses yeux, cette minceur extrême qui l'obsède, ces côtes qu'il sent sous ses doigts, sur lesquelles il presse ses mains, ces côtes qu'il voudrait agripper, et ce ventre si lisse, si plat, sur lequel ses mains glissent comme sur ces draps d'une douceur exquise.

Et les hanches de Gara au-dessus de ses reins, ces hanches qui ondoient avec gourmandise, qui le cognent avec appétit, et sur lesquelles ses mains se baladent, palpent la chair, la malaxent, cherchent les os, sentent le bout pointu saillant sous cette peau veloutée, et Mia savoure, Mia soupire, la chaleur de Gara en lui se diffuse dans tout son corps tandis que ses mains s'attardent de chaque côté de cette taille fine, si fine, qu'il pourrait la fondre en lui, qu'il voudrait la fondre en lui.
La délicatesse. La grâce. L'élégance. Les mains de Mia sentent tout ça tandis qu'elles inspectent chaque centimètre du corps de Gara et soudainement, l'extase raidit tout son corps qui se cambre et se fige dans un râle rauque, avant de se laisser tomber, haletant. Au-dessus de lui, Gara dans un petit rire taquin se penche qui l'embrasse au creux de son cou suant avant de se retirer et s'étendre aux côtés du garçon. Sur le dos, ses poings doucement fermés de chaque côté de son crâne comme un bébé, Mia fixe les yeux au plafond. Il observe l'obscurité comme l'obscurité l'observe.
-J'ai trouvé, Gara. L'élément ultime qui terminera enfin notre œuvre, ton œuvre, Gara, j'ai enfin trouvé quel est-il.
Inspirant profondément, Gara s'est retourné vers lui. Sa poitrine suante sur son cœur battant, Mia est venu s'y coller, prenant dans ses bras ce corps si gracile et pourtant, si masculin qui l'émerveillait. Lorsqu'il a senti les lèvres de Gara se déposer sur son front, Mia a levé la tête, et leurs regards se sont sondés à travers l'obscurité.
-Tu n'as pas envie de finir ce qui sera la plus grande œuvre d'art de toute ta carrière ?









-Ecoute, pot-de-colle ; tu penses peut-être que tu peux t'autoriser à suivre Mia comme son ombre sous prétexte que vous seriez devenus proches à l'hôpital, mais moi, je n'apprécie pas ça. Premièrement, je n'ai aucune envie d'un mec comme toi auprès de nous. Ensuite, Mia avait déjà des amis avant toi et n'a jamais eu besoin que tu l'escortes jusqu'à chez lui sous prétexte que Yoshiatsu pourrait lui faire du mal ; je te signale que lorsqu'il s'agit de protéger Mia, un gringalet comme toi ne fait pas le poids face à moi.
Koichi avait écouté le sermon de Masahito avec indolence, le bras mollement appuyé à celui de Mia, comme tous deux venaient à peine de franchir la sortie de l'établissement qu'ils étaient tombés nez à nez avec le garçon qui, de toute évidence, attendait leur arrivée. Et si c'est à Koichi que Maya s'adressait, c'est Mia qui se sentit mal à l'aise, détournant le regard pour ne pas avoir à affronter celui, furibond, de son ami.
-Eh bien, Masahito, je ne t'empêche pas de fréquenter Mia comme vous l'avez toujours fait, répondit posément Koichi. Quant à ma présence, si elle te dérange, c'est un problème qui ne m'appartient pas et il ne revient qu'à toi de décider si tu préfères la compagnie de Mia et moi, ou si tu préfères celle de personne.
-Tu te crois en position de me dicter ce que je dois faire ou non, sale mioche ?
-Et toi, tu te crois en droit de décider des fréquentations de Mia comme s'il était un objet en ta possession ?
Le ton de Koichi avait été glacial. Sentant la tension gagner tout son corps, le garçon s'est raidi, renversant sa tête en arrière comme il faisait craquer les muscles de sa nuque qu'il tournait dans tous les sens. Tout contre lui, Mia le regardait qui ne sentait que trop bien l'exaspération croissante de Koichi, et l'irritation qui tendait ses muscles.
-Mia, fit la voix solennelle de Maya, tu préfères vraiment traîner avec lui que moi ?
Vraiment, il le regardait avec défiance, et Mia se sentit pris au piège. Comme si la réponse qu'il allait donner pouvait, à elle seule, décider de la continuité ou de la fin de leur amitié. Comme si un seul mot pouvait signer sa sentence, Masahito attendait de lui cette réponse face à un problème qui n'aurait jamais dû en être un.
-Mia, tu es vraiment en train d'hésiter entre lui et moi ?


Ce n'était que de la fierté mal placée. Cela ne pouvait être rien d'autre, et voir cela de la part d'un Masahito qu'il avait toujours connu si jovial, expansif et tendre, infligeait à Mia une amertume qu'il avait du mal à avaler.
Pas son ami, non. Si même quelqu'un comme lui se mettait à éprouver une jalousie si basse, si même Masahito était prêt à le laisser tomber par le refus égoïste de le voir entamer une nouvelle amitié alors, depuis le début, leur relation ne valait rien. Depuis le début, Mia n'était que ce que Koichi avait déclaré ; un jouet en sa possession qu'il préférait abandonner plutôt que de le partager.
C'est du moins ainsi que Mia ressentait les choses, et pour la première fois, il sentit monter en lui une colère dirigée contre cette personne à qui il aurait pourtant confié sa vie. Et la colère était une émotion si rare chez Mia qu'à vrai dire, il n'avait aucune idée de la manière dont il pouvait la gérer. Alors, plutôt que de la laisser s'exprimer, il a préféré repousser de toutes ses forces au fond de lui-même cette colère qu'il piétina, martela, écrasa.

Au final, Mia a délicatement repoussé Koichi et, libre, s'en est allé sans un dernier regard.









-Je croyais que Koichi te raccompagnait chez toi tous les jours après les cours.
S'il y avait bien une chose qui aurait pu achever Mia à ce moment-là, c'était de croiser Masashi. Le garçon n'avait pas même fait cent mètres que son esprit, déjà ébranlé par le scénario auquel il venait d'assister, se heurtait maintenant à une présence qu'il ne désirait pour rien au monde.
Et étrangement, alors qu'il s'était figé de stupeur avant de toiser Masashi avec méfiance, Mia s'est demandé par-devers lui, pourquoi tant d'élèves éprouvaient envers lui cette crainte mêlée d'aversion ? Comme si, pour la plupart d'entre eux, un instinct puissant leur criait de se maintenir autant que possible à l'écart de cette force de la nature dont l'expression du visage seule était une alerte au danger.
Et plus Mia rivait ses yeux, entre ses paupières étrécies, sur Masashi, plus il y pensait, et plus l'étrangeté de la situation faisait sinuer dans son ventre cette sensation troublante, celle que quelque chose ne collait pas. Cette peur. Cette appréhension. Ce réflexe malgré eux de se mettre instantanément sur le qui-vive, le corps qui se raidit, les muscles qui se contractent, le coeur qui accélère comme une tentative de fuir la situation ; cette réaction qu'ils étaient si nombreux à avoir lorsque le regard de Masashi se posait un peu trop longtemps sur eux, Mia s'est demandé, pour la première fois, si elle avait réellement lieu d'être.
Qu'est-ce qui, chez cet homme qui n'avait pourtant jamais fait de mal à aucun d'eux, pouvait à ce point éveiller en eux ce malaise profond et ce besoin urgent de partir ? Pourquoi ce qui avait toujours été inoffensif devait-il être la cause d'émotions qu'ils ne contrôlaient pas et que la raison seule ne suffisait à apaiser ?
Masashi n'est pas effrayant. C'est ce que s'est dit Mia tandis qu'il dévisageait l'homme sans un mot, sans même se rendre compte de cette insistance inconvenante avec laquelle il le fixait. C'était vrai, pourtant, qu'il était intimidant. Masashi était grand ; assez pour que tous les garçons de sa classe, hormis Masahito, n'aient d'autre choix que de lever la tête pour le regarder en face. Masashi avait ces yeux noirs enfoncés sous ses sourcils que la nature avait dessinés de façon à lui conférer cet air éternellement coléreux. Il avait ce corps imposant, ces cuisses puissantes, ces épaules carrées, cette poitrine large, ces bras musclés et surtout, ces mains.
Ces mains si grandes, si fortes qu'elles donnaient l'impression qu'une seule d'entre elles suffirait à vous briser le cou. Et pourtant, les mains de Masashi étaient belles. Si belles que cette beauté que Mia semblait voir pour la première fois a provoqué en lui un trouble qui tordit ses entrailles. Qu'était donc cette sensation dont il ne savait pas quoi faire ?
Comme un mélange de fascination, de crainte et de désir, ce besoin urgent qu'il ressentait de s'éloigner de ces mains trop puissantes pour êtres inoffensives, mais ce désir de sentir ces mains trop belles pour être agressives.
Masashi était tout cela ; ce mélange de beauté et d'élégance et en même temps, cette froideur apparente et cette force physique qui, si jamais elle venait à être guidée par de mauvaises intentions, ne laissait aucune chance de s'en sortir. Voilà pourquoi Masashi faisait peur ; la seule idée que d'une seule de ces mains, il pourrait vous anéantir, surgissait spontanément dans les esprits qui, alors, se braquaient, reculaient pour, au final, se prostrer dans l'espoir tremblant que rien n'attise en cette force brute l'envie d'en faire usage.
Et pourtant, a pensé Mia, ces mains-là qui lui donnaient envie de pleurer sans qu'il ne comprenne pourquoi, peut-être, dis, peut-être qu'elles n'ont jamais voulu le moindre mal. Peut-être que Masashi, derrière ce visage fermé et ces yeux d'un noir sans fond, n'était qu'une âme lumineuse capable d'ouvrir grand les bras à qui en avait besoin.
C'est ce que s'est dit Mia alors. C'est ce qu'il a espéré du moins. Si les mains de Masashi mettaient toute leur puissance à faire le bien alors, il ne pouvait qu'arriver un miracle.


-Je crois que je peux te le dire maintenant, car je ne tiendrai pas plus longtemps ; tu ne peux pas fixer quelqu'un comme tu le fais pendant si longtemps, Mia. Tu mettrais n'importe qui mal à l'aise en faisant une chose pareille. Une telle attitude envers un professeur, c'est considéré comme un total manque de respect, tu le sais ?


Et pourtant, Mia avait pensé à tout, sauf à lui manquer de respect. Si Masashi avait pu le faire passer par toutes les émotions par le simple fait de se tenir devant lui, le mépris ou le dédain étaient bien les seuls qu'il n'aurait pu ressentir. Et toujours, ses yeux ne parvenaient pas à se détacher de ces mains si grandes. Beaucoup trop grandes. Beaucoup trop belles. Beaucoup trop puissantes.
Ces mains qui reflétaient à elles seules toute la personne de Masashi et qui le faisaient se sentir si petit, si misérable, si laid et si insignifiant, que Mia a éclaté en sanglots.

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