All the Parents who are gone -chapitre 16

Juliet


La rentrée était arrivée vite, trop vite pour les élèves fatigués et las de ces journées sans fin qui se succédaient les unes après les autres. Sans comprendre pourquoi, ce jour-là, Masashi avait retrouvé ses élèves comme dévitalisés ; il semblait qu'au lieu de leur permettre de se reposer et décompresser, ces quelques jours avaient fait s'installer en eux une langueur dans laquelle ils s'enfonçaient au fil des heures.
Peut-être, a pensé l'homme, que l'idée de retrouver cette classe dans laquelle des événements imprévisibles venaient trop souvent troubler le cours de leur existence, les avait accablés plus qu'il ne l'avait craint. A deux reprises quelqu'un avait été envoyé à l'hôpital, le coupable avait été emmené par la police, et à chacune de ces reprises, le responsable des blessures était le même, la cause de sa violence était la même.
Il ne faisait nul doute que dans une telle atmosphère planait en permanence la tension, régnait un gaz au milieu duquel la moindre étincelle pouvait provoquer une explosion. Et si, aux yeux de Masashi, il était évident que Yoshiatsu était ce gaz omniprésent qui emplissait l'atmosphère de sa menace latente, alors Terukichi était cette braise dormante qu'un rien pouvait raviver.
La violence cachée derrière un visage d'ange. Ah, a pensé Masashi comme il récitait machinalement son cours à ses élèves. Je dois me faire des idées, comme cette classe a toujours été un champ de mines, de grises mines, de mines défaites, de mines blafardes. Il n'y a aucune raison pour que le retour de ces vacances marque le début d'une aggravation de leur état car après tout, je ne vois pas ce qui pourrait arriver de pire. Au final, tout est normal ; Mia somnole, Terukichi semble avoir encore maigri, Masahito semble tout droit sortir d'un enterrement -le sien propre-, Koichi a repris des couleurs, cachant sa cicatrice derrière ses cheveux roses, et Yoshiatsu n'adresse la moindre attention à personne. Tout est normal.

-Mia, pourrais-tu suivre le cours, je te prie ?
Dans un gémissement proche du miaulement, Mia a relevé son crâne ébouriffé comme il étirait ses bras engourdis sur le bureau.
-Je ne dormais pas, Monsieur Miwa.
-Dans ce cas, tu n'auras aucun problème à me répéter ce que je viens de dire.
-Vous avez dit “Mia, pourrais-tu suivre le cours, je te prie ?”.
-Je te parle du cours, s'exaspéra Masashi comme des rires moqueurs fusèrent de parts et d'autres de la salle. Mia a affiché un air penaud, sa bouche formant une moue embarrassée comme il rivait sur Masashi un regard de chien battu.
-Monsieur, j'ai eu des vacances exténuantes, vous savez.
-Quand on est un athlète professionnel dans le sport de chambre, il y a de quoi être épuisé, en effet, se mêla la voix sarcastique de Yoshiatsu.
Masashi allait rétorquer lorsque Mia fit volte-face qui fusilla son camarade du regard :
-Je n'ai rien fait de tel, abruti, et sache que si j'ai besoin de repos, c'est parce que j'ai subi deux lourdes opérations il y a peu de temps.
-Mia, s'inquiéta Masashi qui blêmit sans transition, que t'arrive-t-il ? Si tu as de gros problèmes de santé, alors peut-être vaudrait-il mieux…
-Voyons, Monsieur Miwa, il n'en est rien de tel, s'esclaffa Yoshiatsu que la candeur inattendue de Masashi amusait autant qu'elle le déstabilisait. Cet abruti accro à la chirurgie esthétique a dû encore faire des folies. Dis-nous, Mia, c'est quoi, cette fois ? Ton visage n'a pas changé, il est toujours aussi hideux ; par hasard, tu ne te serais pas fait ôter ce qui te sert d'outil de travail entre les jambes, dis ? Ce serait dommage de perdre une telle source d'argent, toi qui es trop stupide pour espérer un jour faire autre chose.

-Yoshiatsu, tu comptes vraiment provoquer un nouveau drame le jour de la rentrée ?
-Moi ? Oh, non, Monsieur Miwa, je n'ai jamais eu de telles intentions. Je ne fais qu'énoncer de simples faits que, d'ailleurs, personne ici n'ignore…
-Je croyais pourtant que, après avoir provoqué deux drames par ton attitude, tu aurais pris la sage décision de réfréner tes élans sarcastiques.
-Monsieur, êtes-vous en train de dire que si Terukichi a des accès de violence que son mental défaillant ne peut réprimer, j'en suis responsable ?
-Je dis simplement, Yoshiatsu, que les deux fois où cette violence s'est manifestée, c'était contre toi. 
-Monsieur, vous êtes en train de donner raison à ce psychopathe.
-Non, Yoshiatsu. Seulement, je ne pourrai toujours que donner tort à cette attitude en toi qui n'a toujours consisté qu'à blesser les autres comme si tu ne pouvais vivre qu'à travers la douleur que tu provoques. Tu ne t'es jamais demandé qui était le réel psychopathe, ici ?
-Monsieur, j'en reste sans voix.
-Tant mieux, je voulais que tu te taises.

Et contre toute attente, Yoshiatsu s'est vraiment tu, là où chacun dans la pièce s'attendait à de la colère, des reproches, voire des insultes ou même des menaces à coup de “si mes parents apprennent cela, alors vous pouvez dire adieu à votre misérable carrière” ; tout ce qui aurait constitué la réaction habituelle de Yoshiatsu.
Cependant -et cela était peut-être plus inquiétant encore-, Yoshiatsu a maintenu closes ses lèvres, les bras croisés sur sa poitrine comme il rivait sur Masashi un regard noir. Ce dernier, soulagé que rien de plus ne se fût passé, reprit son cours. Plusieurs minutes passèrent ainsi, dans le calme et l'attention respectueuse des élèves, et si Masashi a profité de ce silence qu'il mit sur le compte de son apparence intimidante qui l'avait si souvent désolé, malgré tout chaque chose a une fin, et il semblerait que les choses inhabituelles doivent prendre fin plus vite que les autres.
-Monsieur Miwa, regardez.
-Yoshiatsu, je ne veux plus t'entendre de toute la matinée.
-Non, Monsieur Miwa. Regardez.
Il a fait volte-face avec colère, s'attendant à assister à une mauvaise blague de l'adolescent, mais Yoshiatsu, tranquillement assis sur sa chaise, désignait quelque chose du doigt.
Tous les élèves regardèrent dans la même direction tandis que Masashi, troublé, fixait intensément Terukichi sans comprendre ce qui arrivait. Le garçon, la tête baissée, le visage dissimulé derrière le long rideau argenté de sa chevelure, semblait se balancer d'avant en arrière comme animé d'une force extérieure. Se redressant d'un seul coup, il a manqué basculer avant que d'un bond, Mia et Masahito ne le retiennent de force et alors, Terukichi a levé vers Masashi un visage blafard. Sous les yeux de son professeur, son nez se mit sans transition à saigner abondamment sans même qu'il ne paraisse s'en rendre compte.
-Monsieur, pourrais-je aller à l'infirmerie, s'il vous plaît ? 










-Tu ne peux pas me dire que tu “oublies de manger”, Terukichi. J'ai bien voulu faire mine de te croire la dernière fois, mais si dès le matin même de la reprise des cours, tu te montres dans un tel état, je vais devoir passer aux choses sérieuses, tu sais ?
-Que voulez-vous dire par “choses sérieuses”, Hiroki ? s'inquiéta le garçon.
-Eh bien… Je finis par penser qu'un séjour à l'hôpital serait nécessaire.
Terukichi aurait blêmi si sa blancheur cadavérique avait pu devenir plus pâle encore. Entre ses lèvres desséchées, un gargouillis est sorti comme il supplia :
-Non, Hiroki, vous ne pouvez pas me faire ça…
-”Te” faire ça ? Terukichi, tu es celui qui s'en prend à toi-même, et moi, en ma simple qualité d'infirmier et psychologue scolaire, je n'ai pas les compétences pour ce qui m'a tout l'air d'être une maladie mentale qui demande des soins psychiatriques…
-Vous insinuez que je suis anorexique ?

Le garçon semblait choqué. Comme s'il venait de réaliser une chose que Hiroki pensait évidente depuis longtemps, et que le garçon reprochait à ce dernier d'y songer même. Interdit, Hiroki l'a dévisagé qui se mettait à trembler, nerveux, avant de déclarer :
-Oui, Terukichi. Cela semble clair à présent que tu présentes tous les symptômes de l'anorexie.
-Non ! protesta le garçon avec ardeur. Vous ne comprenez pas, Hiroki, mais je ne vous mens pas. Je ne refuse pas de manger, mais souvent, oui, j'oublie. J'oublie vraiment. En réalité, cela ne me vient pas à l'esprit. Croyez-vous que je le fasse exprès ?
-Oublier au point de te laisser mourir de faim ? Alors que tu souffres de vertiges, que tu tiens à peine debout, que tu te mets soudainement à saigner du nez ? Non, Terukichi, ton problème est ailleurs : tu n'oublies pas de manger, tu négliges simplement de vivre.
-Même si tel était le cas, pourquoi me le reprocher au point de me punir ?
-Pardon ? bafouilla l'homme, déstabilisé. Je… Non, Terukichi, tu comprends tout de travers. Je ne te reproche rien, comme tu souffres d'un trouble mental pour lequel tu n'es pas responsable. En revanche, laisser les choses en l'état serait criminel de ma part et contraire à ma déontologie, aussi je vais être dans l'obligation de voir tes parents et…
-Hiroki, mes parents sont déjà bien trop inquiets pour moi sans que vous n'en rajoutiez.
-Inquiets ? répéta l'homme dans un rire nerveux. Quels parents “inquiets” laisseraient leur fils dans cet état en sachant qu'il ne se nourrit pas ? Comment peuvent-ils faire semblant de ne pas s'en rendre compte puisqu'ils sont ceux qui te nourrissent ?
-Mes parents sont pris par leurs métiers, Hiroki, et me laissent de l'argent pour commander à manger le soir, ou bien ma mère me prépare des plats à l'avance.
-Alors, ils devraient remarquer que tu ne touches pas à ces plats, non ?
-Non… Enfin, si… En fait, je…
Il aurait voulu rétorquer mais alors, Terukichi s'était acculé dans un piège duquel il ne savait comment se sortir. Empêtré dans des pensées toutes plus noueuses les unes que les autres, son esprit a fini par trébucher et le garçon de se résigner, la mine défaite.
-Terukichi, j'ai appris à savoir quand tu me mens, fit la voix douce de Hiroki. Cette nourriture que ta mère te prépare, tu la jettes, n'est-ce pas ?
Il ne pouvait pas nier. Il n'avait pas la force d'admettre la vérité non plus alors, impuissant, Terukichi s'est contenté de se murer dans le silence, le cœur lourd.
-C'est la définition même de l'anorexie, Teru.
-Je ne fais pas exprès, murmura le garçon qui releva les yeux sur lui dans un cri de détresse silencieux. Hiroki, ce n'est pas que je ne “veux” pas manger, mais mon corps… Mon corps n'y arrive pas, Hiroki, il me suffit d'une bouchée parfois pour avoir la sensation d'étouffer. Hiroki, mon esprit veut manger mais mon corps, lui, n'a jamais faim. Pourtant, Hiroki, mon esprit a une faim insatiable de ce monde qui l'entoure et qui l'assaille mais ce monde-là, Hiroki, est une nourriture indigeste que mon esprit se met brusquement à vomir, c'est irrépressible, c'est irréversible, Hiroki, il ne peut s'empêcher de recracher ce monde qu'il essaie encore désespérément d'engloutir sans vouloir admettre qu'il ne pourra jamais le contenir tout entier, et ainsi mon esprit s'est piégé dans une spirale infernale et c'est cette spirale-là, Hiroki, qui me donne des vertiges au point de ne plus tenir debout. 


Un silence a plané sur eux comme le garçon rivait ses yeux en ceux de Hiroki, s'y plongeant à corps perdu dans un élan de désespoir qui semblait supplier “ne m'abandonne pas”. Car c'est ainsi que le ressentait Teru, alors, un abandon imminent qu'il regardait arriver vers lui avec un effroi tel qu'il ne pouvait plus bouger. En face de lui, Hiroki s'est senti accablé d'une responsabilité bien trop lourde à porter.

-Peu importe comment tu décris cela, Teru, les faits demeurent les faits.
-Si mes parents comprennent que je suis malade, Hiroki, la culpabilité leur empoisonnera le sang alors même qu'ils n'y sont pour rien.
-Et te laisser mourir, Teru, cela ne leur fera rien ?
-Ne soyez pas stupide ; ils ne me verront jamais mourir.
-C'est ce qui arrivera pourtant si tu continues à t'affamer. 

-Hiroki, et si je vous promettais de faire un effort, me laisseriez-vous vous inviter à manger avec moi, après les cours ?
-Pardon ? bafouilla l'homme, déstabilisé. Je… Non, Terukichi, cela n'a aucun sens. Si tu peux me promettre de “faire un effort” alors, pourquoi ne pas le faire lorsque tu es seul chez toi ? Si ce que tu dis est vrai alors, ma présence ou non ne changerait rien à ton appétit et honnêtement, en cet instant même, j'ai juste l'impression que tu te sers de mon inquiétude pour me faire du chantage.
-Hiroki, vous allez trop loin, protesta le garçon avec véhémence, heurté. Je ne profite de rien, et ce que je dis seulement est que, peut-être, votre présence m'aiderait à retrouver un appétit que je ne trouve jamais dans la solitude.
-Alors, mange avec tes amis. Un homme de mon âge n'a rien à faire à passer ses soirées avec un gamin comme toi.
-Ma parole, vous pervertissez tout, se désola le garçon qui se mit à trépigner sur sa chaise. Je ne demande que de dîner avec vous avant que nos chemins se séparent.
-Ton état est bien trop grave pour voir là une solution pérenne. Je ne veux pas avoir la responsabilité de la dégradation de ta santé, Terukichi.
-Et si vous y voyiez la responsabilité de ma guérison ?

Mais Hiroki ne voulait pas. Il ne voulait pas parce qu'il n'y croyait pas, parce que l'on ne comble pas une si profonde solitude par sa simple présence, parce que l'on ne guérit pas un mal-être destructeur par une parole bienveillante, parce que l'on ne soigne pas un trouble mental aussi dangereux en acceptant simplement une demande aussi burlesque.
La requête de Teru n'avait aucun sens, ce dernier le savait, Hiroki le savait, et là ne pouvait être que la première chose qui lui était passée par la tête dans l'espoir d'éloigner de lui toute perspective de finir à l'hôpital. Alors, la responsabilité d'aider Terukichi, par ce moyen qui semblait trop facile pour une tâche si ardue, lui paraissait incommensurable.
Mais tandis qu'il se réfugiait dans le silence de ses réflexions, Hiroki a levé les yeux sur le visage émacié du garçon. Ce dernier, inquisiteur, mais patient, attendait avec appréhension une réponse.
Par devers-lui, Hiroki s'est dit que cette responsabilité-là, aussi grande fût-elle, serait peut-être finalement moins lourde à porter que le regret de l'avoir rejetée.










-J'espère au moins que tu as prévenu tes parents que nous dînions ensemble.
Dans ce petit restaurant traditionnel de quartier, la froideur de l'hiver était compensée par un poêle électrique posé à même le sol qui emplissait la pièce d'une chaleur enveloppante. C'est avec délice que Terukichi s'était agenouillé au coin du mur, frottant ses mains engourdies par le vent de janvier. Il a poussé un soupir de satisfaction lorsque leurs bols de ramen fumants furent déposés devant eux, et le garçon de s'en emparer avant d'en boire avidement des gorgées de bouillon sous les yeux circonspects de Hiroki.
Il a reposé son bol dans un sourire de satisfaction, ignorant les gouttes suintantes qui coulaient sur son menton. Hiroki a laissé échapper un rire amusé.
-Finalement, tu avais faim.
-Je vous avais dit qu'en votre compagnie, l'appétit me viendrait plus facilement.
-Tu as plutôt dit que tu ferais un effort, fit l'homme avec réserve, aussi j'espère que tu ne te forces pas dans le seul but de me rassurer.
-Pour en revenir à mes parents, enchaîna le garçon -par indifférence ou par désir de dévier le sujet-, ils n'en savent rien, puisqu'ils travaillent. Je serai rentré bien avant eux.
-Néanmoins, je préfère que tu les préviennes si ton intention est de manger avec moi tous les soirs après les cours. S'ils le découvraient d'eux-mêmes, ce serait…
-Ne vous inquiétez pas, Hiroki. Je compte bien le leur dire, et puis, ce n'est pas comme s'ils pouvaient m'en empêcher, n'est-ce pas ?
-Ils sont tes parents, Teru, et j'espère bien que tu te plieras à leur avis.
Cette réponse parut contrarier le garçon qui fronça les sourcils dans une moue renfrognée.
-Vous êtes vraiment rabat-joie, quand vous le voulez.
-Excuse-moi de me mettre à la place de tes parents qui s'inquiètent pour toi. Si j'étais eux, j'aimerais savoir avec qui mon fils traîne le soir, et s'agissant d'un homme avec qui il n'a à priori aucune raison d'être, je serais plutôt sur mes gardes.
-Vous voulez dire que mes parents devraient se méfier de vous ?

La candeur avec laquelle Terukichi s'était exprimé, les yeux ronds, tandis qu'il aspirait les nouilles brûlantes, attendrit autant qu'elle agaça Hiroki.
-Non, ce que je veux dire, idiot, est qu'un garçon de ton âge qui sort le soir avec un homme de mon âge, cela peut sembler étrange pour un regard extérieur, surtout lorsqu'il s'agit d'un fils pour lequel l'on est en droit de s'inquiéter plus que de raison.
-Mais nous, Hiroki, nous connaissons depuis longtemps.
-Depuis le début de l'année scolaire… Huit mois, je n'appelle pas ça longtemps, objecta l'homme d'un air pensif.
-Peut-être, mais vous savez plus de choses sur moi que personne n'en saura jamais.
Cette remarque, dont il ignorait si elle était vraie ou fausse, laissa pensif Hiroki un moment, avant qu'il ne se mette brusquement à déclarer :
-En tout cas, n'espère pas en faire une habitude. Je ne compte pas passer toutes mes soirées avec toi pendant des mois.
-Mais vous savez bien que l'année prochaine, je ne serai plus au lycée.
-Oh, c'est exact. Eh bien… je suppose que je peux être rassuré, maintenant.
Terukichi a fait valoir sa bouderie dans une ostensible expression renfrognée qui amusa intérieurement l'homme, et tous deux continuèrent à manger en silence. Hiroki n'osait lever les yeux sur le garçon de peur qu'il ne se sente surveillé, mais il fut secrètement soulagé lorsqu'il le vit reposer son bol vide dans un soupir d'extase. Terukichi a fermé les yeux, paisible, ses mains sagement posées sur ses genoux repliés en tailleur. Il est demeuré ainsi, sans un bruit, jusqu'à ce qu'à son tour, Hiroki ne repose délicatement son bol. Teru ne pouvait pas le savoir mais depuis plusieurs minutes, les yeux de l'homme étaient rivés sur sa main gauche. 

-Terukichi, as-tu déjà eu une relation amoureuse ?
Il a rouvert les yeux. Et sans savoir comment ni pourquoi, Hiroki eut l'impression saisissante que le garçon, dont l'apparence paraissait encore si juvénile l'instant d'avant, avait pris les traits d'un homme que la vie avait rendu amer.
-Une telle question venant de vous m'étonne, Hiroki.
Ce dernier s'est raclé la gorge comme il soutint le regard noir de Terukichi, altier.
-Je ne vois pas pourquoi. Venant d'un psychologue que tu connais “depuis longtemps”, une question sur ta vie privée n'a rien d'étrange.
-Mais il s'agit de ma vie amoureuse.
-Terukichi, je ne te demande pas des détails; simplement s'il y a déjà eu quelqu'un de ce genre-là dans ta vie.
-C'est bizarre, comme Masashi m'a déjà posé la question.

Cette déclaration saisit Hiroki qui se demanda bêtement, sur le coup, s'il s'agissait bien du même Masashi auquel il pensait.
-Eh bien, venant de lui, on peut en effet dire que c'est surprenant, fit-il platement.
-Je suppose que, comme vous, mon tatouage l'a intrigué.
-Eh bien… Je te l'ai déjà dit, mais je trouve étrange qu'un garçon de dix-sept ans ait pu obtenir ce tatouage. Ne me regarde pas comme ça, je ne dirai rien sur le fait que c'est illégal, c'est juste que… Un garçon de dix-sept ans aurait choisi un autre motif.
-Mon tatouage n'est pas un “motif”, cingla Teru avec une froideur qui tétanisa l'homme. Pour votre gouverne, je l'ai depuis mes quinze ans, et je compte bien le garder toute ma vie.
-Il est inutile de te mettre dans un état pareil, se défendit maladroitement Hiroki dans un rire nerveux. Quant à le garder toute ta vie… Tu es encore trop jeune pour savoir si, dans quelques décennies, tu en voudras encore.

Terukichi allait rétorquer, mais il s'est ravisé à temps. Il ne pouvait pas le lui dire. Alors qu'il avait pris soin de lui, alors qu'il s'était montré si patient, si compréhensif, si protecteur, et qu'il avait été pour lui la personne en qui Terukichi savait pouvoir mettre toute sa confiance, il n'avait pas le cœur à le lui dire. Pas le cœur à lui briser le cœur.
Parce que Hiroki était comme ça, qui ne voulait rien en laisser paraître mais qui ne faisait que se trahir ; tendre et aimant. Sans doute trop facile à blesser. Alors, il n'allait pas le lui dire. Que bien avant des décennies, bien plus tôt même qu'il ne pourrait jamais l'imaginer, Terukichi allait cesser de vivre. Alors il ne le lui a pas dit. Juste, Terukichi a souri, et dans ce sourire teinté de tristesse, Hiroki crut voir l'affection d'un enfant envers son père.
-Ce tatouage, a doucement prononcé l'homme, c'est comme s'il était là pour garder les autres à distance de toi.
-Non, ce tatouage, il est là pour garder quelqu'un au plus près de moi.










-Comme tu as à nouveau décidé de faire le mort, cette fois, c'est moi qui viens à toi. Je suis fatigué de me ronger les sangs sans savoir si je vais finir par avoir de tes nouvelles.
Mia a soupiré. Adossé au mur sale, une jambe repliée, il a renversé la tête en arrière, et son souffle s'est échappé dans l'atmosphère nocturne dans un sillon givré. Son long cardigan de laine noir, déchiré par endroits, était un bien piètre bouclier face au froid glacial d'un soir de janvier, et sur la peau nue de ses jambes, sur son ventre exposé, Hakuei a vu cette chair de poule dont Mia réprimait les frissons.
Etait-ce le froid mordant qui le tendait à ce point, ou bien l'arrivée de Hakuei jouait un rôle dans cette crispation, l'homme ne le savait pas vraiment, mais avant que le garçon n'ait pu dire quoi que ce fût, Hakuei a retiré son lourd manteau de fausse fourrure avant de le lui tendre. Instinctivement, Mia s'est écarté d'un pas. “Instinctivement”, mais un instinct contre quoi, il ne le savait pas.
-Ce n'est pas parce qu'un jour, j'ai commis par inadvertance l'erreur de te dire dans quel quartier je tapinais que tu pouvais débarquer comme ça sans rien dire.
-Pourquoi ? défia Hakuei, imperturbable. Je suis un client comme un autre, non ?
-Ne me fais pas rire, tu n'es pas un client.
Mia ne riait pas du tout, et Hakuei non plus. C'est avec une mauvaise humeur manifeste qu'il a collé le manteau contre la poitrine du jeune homme, appuyant de telle sorte que le garçon se retrouva plaqué contre le mur, incapable de s'enfuir. Une douleur lancinante traversa son torse mais il n'en laissa rien paraître, sinon de la colère exacerbée.
-Tu es vraiment collant, tu sais le sais, ça ?
-Depuis quand tu me tutoies, gamin ?
-Depuis que j'ai réalisé que je n'avais plus envie de te voir.
Si cette remarque l'a blessé, Hakuei le dissimula à la perfection, comme il toisa de toute sa hauteur le jeune homme qui évita soigneusement son regard.
-Si tu ne veux plus me voir, je suis en droit d'en connaître la raison, fit-il d'une voix atone.
-Cela ne te regarde pas.
-Une décision qui a été prise à mon encontre me regarde forcément, répliqua-t-il qui gardait son calme. Si tu ne veux plus me voir, je ne peux que respecter cette décision, mais j'estime pouvoir te réclamer des explications. Si tu avais quelque chose à me reprocher, j'eusse aimé que tu me le dises plus tôt. 

Mia a repoussé l'homme avec véhémence. Était-ce le garçon qui avait enfin mis toutes ses forces, ou Hakuei qui en avait mis beaucoup moins ? Quoi qu'il en soit, l'homme a reculé, laissant tomber le manteau qui s'affala aux pieds de Mia.
-Tu es envahissant, Hakuei, que te dire de plus ? J'ai fini par me lasser de toi.
-Du jour au lendemain, comme ça, toi qui la dernière fois, m'a appelé pour me prier sans préambule de venir chez moi ?
-La dernière fois, c'était il y a plus d'un mois, Hakuei. Si tu es incapable de comprendre des signes aussi clairs, je comprends mieux pourquoi tu es célibataire.
-Si j'avais été si “envahissant”, contra-t-il avec acidité, ne crois-tu pas que je n'aurais pas attendu aussi longtemps avant de venir à ta rencontre ?
-Bordel, tu n'es pas possible… Tu ne vois pas que je travaille ? Avec ta tête de mafieux, tu fais fuir mes potentiels clients.
-Puisque je te dis que c'est moi, ton client.
-Dégage.
-Tu voudras toujours que je dégage, si je te propose deux-cent mille yens pour la nuit ?

Mia a eu envie de hurler. Il était là, acculé contre ce mur, avec cet homme qui le toisait, avec toute sa défiance, toute son arrogance, toute son amertume, et toute sa rancoeur aussi, la rancoeur contenue de Hakuei qui criait à travers ses yeux, qui lui hurlait “comment oses-tu te séparer de moi, toi, misérable catin, comment oses-tu ainsi me manquer de respect ?” ; c'est tout ça que Mia a cru voir en Hakuei, émaner de tout cet être impérieux et écrasant de noblesse.
C'est pour cela que, l'espace d'un instant, il a vraiment cru qu'il allait lui sauter au cou. Mais si Mia se sentait prédateur, il se voyait plutôt du genre chaton affamé que tigre assoiffé de sang aussi, face à la superbe de Hakuei qu'il prenait à tort pour du mépris, il a baissé les yeux.
-Puisque tu as compris comment soudoyer le monstre vénal que je suis, Hakuei, alors, emmène-moi à l'hôtel.










-Je t'avais prévenu, Mia. Je l'avais prévenu aussi, que s'il osait s'en reprendre à toi, j'allais le tuer.  Sur ces mots, Hakuei se précipita vers la porte de leur chambre d'hôtel, mais Mia fut plus rapide qui lui barra la route en se plaquant contre elle, les bras écartés. Le regard que lui lança Hakuei alors fut glaçant, et si l'homme apparaissait légèrement moins grand qu'auparavant, il semblait toujours imposant à Mia qui se sentait écrasé par cette majesté.
-Je ne plaisante pas, Mia. Écarte-toi de là.
-Premièrement, a riposté le jeune homme avec toute l'assurance dont il était capable, tu n'as jamais dit que tu le tuerais, mais que tu ruinerais sa carrière. Deuxièmement, tu ne feras de toute façon ni l'un ni l'autre, comme les deux sont injustes.
-Injustes ? a cinglé l'homme comme il se passait la main dans les cheveux dans un rire nerveux. Mia, as-tu même la notion du bien et du mal pour déterminer ce qui est juste ou injuste ? Parce que si j'en crois les atrocités que tu laisses faire, je dirais que cette notion là t'est totalement étrangère. 

-Voilà pourquoi je ne voulais pas te revoir, Hakuei. J'avais appréhendé cette réaction, comme je ne te connais que trop bien.
-Alors, tu avais peur ? Peur de la façon dont je réagirais en voyant les nouvelles mutilations que ce salaud t'a infligées ? Peur de moi, Mia, alors que c'est lui qui devrait te terroriser ?
-Lui, me terroriser ? cingla-t-il avec provocation. Je n'ai pas peur de lui, Hakuei, mais j'ai peur pour lui, comme Dieu seul sait de quoi tu es capable.
-Dieu m'accueillerait à sa droite pour me remercier de l'avoir tué. Mia, pour la dernière fois, écarte-toi de cette porte.
-Plutôt mourir, Hakuei.

Dans un accès de rage qu'il ne contint plus, Hakuei saisit le premier objet à sa portée qu'il projeta de toutes ses forces à l'autre bout de la pièce dans un fracas épouvantable.
Le lourd miroir de style baroque qui était suspendu au mur, Hakuei l'avait saisi d'une main comme s'il se fût agi d'une plume avant de l'éclater en mille morceaux de verre. Le cœur battant, Mia s'est tétanisé comme les mains de Hakuei lui enserrèrent fermement les épaules. Dans le regard de l'homme irradiait une haine d'une intensité que le garçon ne lui avait jamais connue jusqu'alors.
-C'est lui qui va mourir, Mia ! Ce démon, cette créature faite de perversion et de cruauté, ce savant fou de barbarie et de sadisme, cet être sans principes ni morales, ce salaud qui use de toi comme bon lui semble, Mia, c'est lui qui doit mourir, et tout ce qu'il t'a fait, il doit le subir, Mia, tu m'entends ?! Je vais lui arracher les côtes, lui sectionner les tibias, je vais lui mutiler la poitrine et couper sa langue en deux, je vais détruire sa mâchoire et alors seulement, peut-être seulement, qu'il regrettera tout le mal qu'il t'a fait !

Mia le repoussa si violemment qu'il en serait tombé à la renverse, si la table derrière lui ne l'avait retenu comme son dos s'y heurta brutalement. Ignorant la douleur lancinante qui traversa sa colonne vertébrale, Hakuei a fixé sur Mia un regard effaré. Devant lui, c'est un jeune homme transmué qui se tenait. Un jeune homme dont le corps tout entier se contractait, ses muscles saillants comme ceux d'un doberman sur le point de bondir sur le criminel qui menace la vie de son maître, et dont le regard, pourtant, se nimbait des nues de la détresse. Mia était un guerrier féroce et pourtant, un guerrier déja vaincu.

-Hakuei, calme-toi, maintenant ! Tu peux me maudire, tu peux me hair, tu peux avoir soif de sang et faim de meurtre, si tu le veux, mais ne fais rien contre lui ! Hakuei, décharge-toi sur moi, toute ta haine, décharge-t'en en moi, toute ta rage, défoule-la sur moi, toute ta colère, toute ta frustration, ton indignation, ton dégoût, ta déception, ton amertume, ta violence, Hakuei : tout ça, je suis là pour t'en soulager, Hakuei, mon corps sera ton réceptacle alors pourquoi, pour une fois, juste une fois, Hakuei, ne prends-tu pas ce qui t'est dû pour te délester de toutes ces émotions néfastes qui te font du mal ?
-Et toi, Mia, tes émotions néfastes, qui est là pour t'en libérer ?


Même s'il avait su que répondre, il n'aurait pas pu. Dans sa poitrine il les sentait, là, bien trop lourdes pour les porter, bien trop écrasantes pour pouvoir respirer. A bout de souffle, Mia sentait sur son visage des rivières de larmes qui coulaient sans bruit. Hakuei était là, à deux mètres, qui le dévisageait avec contrition, un Hakuei inoffensif qui semblait attendre une réponse que Mia se sentait incapable de lui donner ; qu'il pensait ne jamais pouvoir donner un jour.
Dans sa gorge étranglée, dans sa poitrine compressée, se mêlaient sanglots et hoquets qu'il tentait désespérément de retenir, en vain. Son visage rougi par les larmes, hoquetant, haletant, les mèches de ses cheveux platine collées sur son front et ses joues, emmêlées ; tout ça, il aurait tout donné pour le lui cacher et pourtant Mia était là, offert à sa vue, offert à son jugement, offert à son mépris aussi qu'il était certain de recevoir alors, désemparé, à bout de forces, à court d'oxygène, à court de volonté aussi, Mia, dans une tentative désespérée d'échapper à ce regard qui ne pouvait que le condamner, a saisi un débris de verre qu'il porta à sa gorge.

La main de Hakuei autour de la sienne, cette main qui se cramponnait de toutes ses forces pour ne pas la lâcher, cette main, si proche de sa gorge tendue, qui se mit à saigner, c'est cette main-là qui, à elle seule, arracha l'arme tranchante de celle de Mia pour la jeter au sol avec hargne.
C'est aussi cette main-là, couverte de sang, qui le saisit comme l'homme sans transition prit dans ses bras le garçon demeuré sans voix. La poitrine nue de Mia contre celle, battante, de Hakuei, son dos nus ceint par ces bras puissants, et sa joue se posant délicatement au creux de son épaule, tout cela a fait naître en Mia une sensation de chaleur qui, doucement, le réconforta. Peu à peu ses hoquets s'espacèrent, ses sanglots s'apaisèrent, ses larmes se séchèrent et, dans le cocon lénifiant de son étreinte, Mia a fermé les yeux.






-Laisse-moi faire.
Mia n'a pas répondu. Accroupi sur le sol, il semblait prostré en position foetale comme un enfant qui se sent en danger pourtant, c'est avec un calme absolu qu'il ramassait un à un les bris de verre du miroir dont le cadavre  gisait au sol. Posant délicatement les mains sur ses épaules, Hakuei s'est penché à sa hauteur avant de prononcer d'une voix douce :
-Je vais le faire. Tu es déjà assez mutilé comme ça.
-Mais c'est à cause de moi si tu t'es mis en colère.
Mia parlait d'une voix étouffée comme son visage était appuyé contre ses genoux repliés, sans lever les yeux vers l'homme. Juste, il entassait un à un les tessons au creux de sa main blanche, sans un bruit. Hakuei a senti son coeur se nouer.
-Non, Mia, ce n'était pas à cause de toi.

Il n'obtint aucune réaction. Même en réitérant sa demande d'une voix plus ferme, sans se départir de sa tendresse, Mia ne semblait pas l'entendre. Ce n'est lorsque Hakuei posa ses paumes tièdes sur les joues du garçon que ce dernier se stoppa net. Il était là, dans sa position foetale, son regard vide rivé sur le sol avec sa main tendue en forme de coupole dont les tessons entassés menaçaient de s'écrouler à tout instant.
-Mia, au moins, ne le fais pas à mains nues.
-Mais personne ne m'a jamais proposé deux-cent mille yens pour une nuit, Hakuei.
Hakuei a étréci des yeux intrigués, et si le trouble était visible sur son visage, Mia ne le savait pas comme son regard demeurait perdu dans le vide.
-Cela n'a absolument aucun rapport. Allez, lève-toi. C'est ton client qui te l'ordonne.
Il l'a doucement saisi par la taille et, tel un androïde actionné par un interrupteur invisible, Mia s'est redressé, raide.
-Va jeter ça et repose-toi, Mia. Ne fais plus rien.

Il était d'une telle docilité qu'il semblait ne plus penser par lui-même. Juste, la voix de Hakuei agissait comme un déclencheur, aussi le jeune homme s'est exécuté avant de s'asseoir au bord du lit, inexpressif. Sous ses yeux mornes, Hakuei a entrepris de nettoyer les dégâts causés et lorsqu'il eut enfin fini, il est venu s'installer aux côtés de Mia qui se retourna pour lui faire face. Assis en tailleur sur le lit, ses doigts serrés autour de ses pieds, il fixait l'homme comme s'il attendait quelque chose de lui. Mais Hakuei ne savait que dire ni faire face à cette attente dont il ne savait rien, aussi il a fini par échapper un rire mal à l'aise.

-Tu n'es pas obligé de me dévisager comme ça, tu sais. 

-Tu es beau, Hakuei.
Il avait le don pour troubler les autres sans le vouloir. Parce que la franchise était une chose innée chez Mia lorsqu'il s'agissait d'exprimer ses pensées positives, il ne voyait pas le problème à clamer haut et fort ce qu'un autre aurait pensé tout bas. Mais lui était là, serein dans sa position en tailleur, et ce sourire spontané qui illuminait ses lèvres closes.
-Eh bien… Merci, je suppose, hésita l'homme, confus.
-Tu veux coucher avec moi cette nuit, Hakuei ?
-Non.
-Tu coucherais avec moi, si j'étais plus beau ?
-Non.
-Pourquoi ?
-Tu ne peux pas être plus beau. Ensuite, tu n'es qu'un gosse.
-Mais tu m'as donné deux-cent-mille yens.
-Eh bien, tu es un gosse avec deux-cent-mille yens.
-Quand j'y pense, Hakuei, je me dis que tes actes n'ont aucun sens.
-Je rirais bien de t'entendre, toi, me dire une chose pareille, mais je n'y arrive pas.
-C'est bizarre parce que, même si tes actes n'ont aucun sens, j'ai l'impression que tu en donnes un à ma vie.


Et comme si de rien n'était, le garçon s'est allongé qui s'est enfoui sous les draps. Le dos tourné à Hakuei, son corps prostré dont les contours se dessinaient à travers les couvertures, avec juste quelques bouts de mèches blondes qui dépassaient, il était là, tranquille. Comme s'il ne venait pas de déballer la chose la plus troublante qui soit.
Ah, a songé Hakuei, mélancolique. Ce garçon-là, avec sa gentillesse sans filtres et son cœur qui s'attache trop vite, comment va-t'il s'en sortir ?
Lorsque Hakuei a éteint la lumière, il pouvait déjà entendre le souffle régulier de Mia, étouffé sous les couvertures. Il est venu s'enfouir sous les couvertures aux côtés du garçon qui ne bougea pas, et quelques minutes s'écoulèrent ainsi, durant lesquelles Hakuei laissait une ruée de pensées l'envahir, les yeux grands ouverts dans le noir, jusqu'à ce qu'un bruissement ne se fit entendre dans le silence absolu et, dans un faible gémissement ensommeillé, le corps de Mia est venu se coller au sien. 


Lorsque Hakuei se réveilla, le lendemain matin, le monstre vénal avait disparu, laissant derrière lui la liasse de billets qu'il lui avait donnée.


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