Aller au bout de l’expiration .. et la savourer !

elcanardo

Ses chaussures noires italiennes richelieu à bout fleuri, gage du soin et du chic poussés dont il est capable de faire preuve, sont parfaitement cirées. Même les lacets dessinent des boucles aux arrondis parfaits. Tête baissée, ses cheveux sont impeccablement coiffés, légèrement parfumés aux huiles fortifiantes à l’extrait naturel de cactus, de henné et de fleur de camomille. Un soupçon trop à l’étroit entre les épaulettes de son costume, il ne détache plus son regard du bout de ses pieds. Il sent l’assistance complètement pendue à ses lèvres. L’ambiance vient de se transformer en un grand point d’interrogation qui peut aisément se lire sur les visages. Il en a conscience, il entend même quelques grognements étonnés par la longueur qu’a déjà pris son silence… mais il ne s’en soucie guère. Il vient de mettre le doigt sur le bouton « pause » de ce moment incroyablement intense qu’il est en train de vivre.

Cette sensation délicieuse de se trouver au bord du précipice le berce, le rassure, stoppant par là même la sarabande frénétique engagée depuis quelques semaines. IIl le savait, cela en valait la peine. Toutes ces démarches administratives nécessaires et les rebondissements qu’ils avaient connu dans cette petite aventure auraient mérité un documentaire. Ils avaient cru devoir capituler deux, peut-être trois fois mais non, aujourd’hui, ils étaient là. Pour rien au monde, il ne souhaitait lâcher ce bonheur qu’il avait trouvé. Comme disait sa grand-mère, experte en dérision s’interdisant tout blasphème, « on avait plus de chance de convaincre une otarie d’avaler du fromage afin de soigner une bronchiolite » plutôt que de parvenir à le faire renoncer. Et il ne renoncera certainement pas. Malgré les nombreux avertissements et critiques qui ont fusé, il a tenu bon. Il sait qu’il est sur sa route, sa destinée. Mais cela, seul lui peut bien sûr le comprendre.

Il inspire profondément, juste contrebalance de l’interminable expiration qu’il vient d’imposer à toute la salle. Il se redresse, il sourit au même instant qu’un rayon de lumière éclaire son visage. Malgré un soleil hivernal qui depuis ce matin inonde un ciel sans nuage et d’un bleu net, le givre sur les fenêtres et la patinoire à l’extérieur, chefs-d’oeuvre des nuits aux températures polaires de ces dernières semaines, ne laissent aucun doute quant au froid mordant qui sévit au delà de ces murs. Il se laisse encore distraire par le spectacle anodin qui se joue là, dehors. Sur le rebord d’une des immenses fenêtres, une pie, enhardie, tente de dégager une quelconque nourriture prisonnière par le gel. La graine convoitée finit par être engloutie et l’attention de notre principal sujet revient à la scène initiale.

Une phrase est inscrite sur un discret écriteau, l’écriture est fine et relevée, comme tracée à la main : « Lorsqu’on épouse l’objet que l’on chérit, le bonheur embellit. » (Paul de Kock, « Le cocu »). Son coeur bat la chamade désormais. Il prend conscience qu’il vient bien involontairement par son mutisme prolongé de pimenter le dénouement pourtant sans aucun doute heureux de cette cérémonie. Son visage réjoui ne laisse cette fois-ci aucun doute sur son bien-être intérieur, désormais ressenti et partagé par toutes les personnes présentes autour de lui. Sa promise est là, tout à côté de lui. Il entrouvre doucement les lèvres, les humecte en passant sa langue au ralenti. Il prononce le mot qui désormais va unir sa vie à la sienne. Comme victime de cet excédent de bonheur qui le submerge, il hoquète maladroitement. Il se reprend et plus fort qu’il ne l’avait imaginer il prononce très distinctement : « OUI ».

Quelle drôle d’idée que celle de se marier au mois de février…

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