Allo, ça va - Françoise mix
Florent Lamiaux
ALLO…CA VA ?
(Françoise mix’)
Allo, Hélène ? C’est Françoise, je te téléphone parce que j’ai appris l’horrible nouvelle, et je voulais te dire qu’en tant qu’amie, je suis de tout cœur avec toi. Ca va, tu tiens le choc ? Oui, bien sûr, tu pleures, c’est normal… Il est mort ce matin. Ca, c’est sûr, perdre un mari c’est pas facile, encore que je vais te dire, mieux vaut perdre son mari que ses enfants. (Gênée par sa gaffe) Parce qu’il y a moins les liens du sang… Enfin je veux dire, c’est moins direct… Enfin, le sang de ton mari n’est pas le tien… Pardon ? Non, ce n’est pas de l’humour, c’est une façon de… (Vexée) Oh ! Tu es drôle, je dis ça pour dire quelque chose. C’est pour te changer les idées. Si tu crois que c’est facile d’appeler une veuve fraîche ! (Se révisant) Excuse moi, je m’emporte… Je t’appelais pour te dire combien je suis peinée de ce qui t’arrive… Ca, c’est sûr, il est moins présent à tes côtés, puisqu’il est mort ! Mais non, Hélène, ne dis pas que je prends un plaisir sadique à dire qu’il est mort… Je ne peux tout de même pas dire autre chose. (Copine maternante) Toi, ma chérie, tu n’as pas fait ton deuil… Pardon ? (Se révisant) Oui, là, j’ai dit une connerie ! Mais tu reconnaîtras que tu ne me facilites pas la tâche. Mais enfin, Hélène, ton mari vient de (elle hésite) … vient de « bip », mais je ne dois rien dire… J’peux tout de même pas te parler d’épilation… Mais arrête de dire que ça me fait plaisir. Je ne détestais pas Bernard, je le trouvais lourd, c’est tout ! Mais maintenant tout a changé, il est (un temps) « bip ! ». Je ne peux plus lui en vouloir. Je suis triste pour lui. C’est fou le nombre de qualités que l’on peut trouver tout à coup à un disparu. C’est comme si il n’avait jamais eu de défaut… Quoi que, dans le cas de ton Bernard, il a beau être mort, c’est dûr d’oublier ses défauts ! (Surprise) Quoi ? Qu’est ce que j’ai dit ? Mais non, j’ai pas dit qu’il était mort ! Mais non, Hélène, je n’ai pas dû le dire… Ou bien, ça m’a échappée… Hélène, ne hurle pas comme ça, on dirait ton mari… Comment ça lequel ? Ben celui qui est mort !… Enfin, je veux dire Bernard ! (Maternante) Hélène, je te sens éparpillée… Qu’est ce qui se passe ?… Oui, mais à part ça ? Oui, c’est vrai, c’est déjà pas mal… Tu vas l’enterrer dans le caveau familial ? (S’énervant) Enfin, Hélène, j’ai le droit de dire « caveau », tout de même… « Caveau » c’est pas grave, c’est moins grave que « bip ! »… Quoi qu’on met l’un dans l’autre !… Quoi ? Tu vas le faire incinérer ?… Attend que je comprenne… Tu vas mettre Bernard, rugbyman haltérophile dans une urne… Mais Hélène il était claustrophobe ! (Faussement détachée) Ah ! moi tu sais, je dis ça histoire de parler ! Brûler un type qui a manqué d’eau, c’est tout de même très symbolique… C’est une question de respect de son âme. Maintenant, si tu le préfères en cendre ! Note bien que pour une fumeuse comme toi, c’est révélateur. Mais non, Hélène, je ne cherche pas à t’analyser, j’analyse malgré moi. C’est plus fort que moi. J’ai eu un DESS de psychanalyse appliquée, j’applique, je n’y peux rien ! Et puis aussi, si tu te servais de mes conseils, au lieu de te braquer. Si Hélène, tu te braques ! Mais si, Hélène, tu ne vois dans cet homme qu’une fausse icône déifiée, au lieu de l’être vil et mesquin qu’il a, toute sa vie durant, tenté de symboliser. (Tentant de calmer le jeu) Bon, on va pas se fâcher pour un mec ? On ne s’est jamais fâché pour un mec. Dans deux jours il ne sera plus qu’un tas de cendre et la vie reprendra enfin son cours… En plus je t’appelais pour te dire que Marie-jeanne a ouvert son nouveau restaurant… (Toute pétillante) Ca te dit une salade ? (Déçue) Quoi ! mais tu arrêtes de dire que je suis à côté de mes pompes !… Bon, écoute Hélène, je ne sais pas ce que tu as, mais tu es très agressive… Alors calme toi ! On s’appelle… On se fait une bouffe !