Alvéoles (3)
Eric Descamps
Milos regardait défiler les lignes sur son écran. Il avait paramétré son script pour afficher la trace de ses activités toutes les demi-secondes. Dans trois minutes, il serait fixé.
L'adrénaline le maintenait éveillé depuis plus de trente heures. Pour une fois qu'il travaillait pour le compte d'un tiers (et dans la légalité), l'objet de ses travaux l'obligeait paradoxalement à pénétrer au sein des systèmes informatiques prétendument les mieux protégés de la planète. Ce n'était pas tant le fait de jouer les intrus qui s'avérait difficile : d'habitude, quelques heures de travail suffisaient à trouver n'importe quelle brèche dans les murs électroniques qui lui étaient opposés. Nombreux étaient les cerbères de l'internet qui pouvaient être trompés ou endormis, ne fût-ce que durant quelques microsecondes, ce qui pour un hacker de sa trempe était largement suffisant.
Non, le problème n'était pas d'entrer, de voler ou de corrompre les données. Toute la difficulté était de ne pas se faire voir. Et Milos était sur le point de réussir.
Son commanditaire n'était pas n'importe qui. Dix ans plus tôt – c'est-à-dire au moment où Milos jouait encore aux billes – son pays d'origine faisait encore la fierté du « bloc de l'est ». Aucun responsable des forces de l'OTAN n'aurait envisagé un instant qu'une telle mission lui fût confiée. Et pourtant.
Il était sûr de son coup. Avec une désinvolture telle qu'il en eût volontiers souri en d'autres circonstances, Milos afficha son rapport à l'écran et en vérifia le contenu avant envoi.
La « chute des dominos » est opérationnelle depuis ce jour à 01:06, heure de Berlin. Vous trouverez en annexe la trace de la disparition des 10 blocs. Sauf contre ordre de votre part, les vannes seront ouvertes au moment convenu.
Milos jeta un œil distrait sur la fenêtre où une interminable suite de lignes apparemment identiques achevait de s'afficher. C'était la seule et unique trace de ses manipulations du jour : le reste serait à jamais effacé. Satisfait, il fit glisser grâce à son touchpad les éléments à joindre au courriel, puis l'expédia.
Il ferma son ordinateur portable, qui aussitôt se mit en veille. La voiture à moteur électrique s'éloigna en silence. Moins de trois minutes plus tard, le routeur ADSL que Milos avait piraté – il y en avait plus de trente par rue dans cette partie de la ville – redémarrerait à zéro, totalement amnésique. Son propriétaire ne remarquerait rien.
À quelques kilomètres de là, un homme de garde prit connaissance du rapport de Milos, et, selon la procédure prévue, décrocha immédiatement son téléphone.
— Monsieur ? Je suis désolé de vous réveiller, mais Milos confirme.
— Bien. Je serai là lorsqu'on jettera les filets. Tout est prêt ?
— Oui, monsieur. Tous les renifleurs sont déjà actifs.
— Parfait. À tout à l'heure.
— À tout à l'heure, monsieur.
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