Alzheimer au pesto

On dit que le noix , lire des romans et des articles de presse , réciter les chansons , essayer de se rappeler de détails de sa journée avant d'aller se coucher , renforcent la mémoire et nous protègent , comme par magie , de l'oubli , de l'angoisse d'essayer de restituer le moindre des détails et de nos informations , ça redonne à notre cerveau sa pudeur , ça lui permet la force et la puissance qu'il avait toujours  ... et puis ça nous redonne confiance en nous , en si on veut nous rappeler , on y arrivera ...

Dans la maison il n'y avait aucune personne, aucun bruit,  aucun son et aucun pas.. elle n'étendait d'ailleurs que le bruit stressant de son climatiseur qui devait être réparée depuis la semaine dernière , mais qu'elle oubliait de faire ; elle oubliait peut-être d'enregistrer le numéro du réparateur dans son téléphone ou peut-être elle n'a même  jamais eu d'information sur aucun réparateur , elle ne souvient plus ...elle se dérangeait aussi de sa machine à laver dont elle oubliait comment la mettre en marche , nécessitait-elle de l'électricité pour crier aussi fort , mais elle se rappelait qu'elle mettait dedans sa robe à dos-nu que Marcel l'avait achetée a son retour du Grèce ou du Canne , elle se souvenait plus , mais qu'elle avait salie avec de la sauce pesto quand elle est sortie dîner , mardi soir normalement ,  avec Dominica ,  sa voisine russe ...

Cette soirée , elle disputait le serveur , elle disait qu'elle n'a pas demandé du tagliatelle au  pesto , d'ailleurs elle est allergique au basilic ...Dominica croyait qu'elle  rigolait , car elle connaissait sa copine d'enfance très bien , et elle connaissait aussi sa grande passion pour le pesto et son unique allergie qui est  au cacao , seulement ... mais à ce temps la passion , les soirées , les dîners aux chandelles et tout ce qui est de beau était aux bords de l'abandon , de la disparition et de l'oubli ... et le pesto vert s'est transformé en une peste de mémoire qui contaminait l'âme , le corps et l'existence ...

Tout glace était brûlant, tout silence était assourdissant, tout douceur était rugueux et tout délice savourait le citron jaune ...

Et puis elle se prenait pour une forte voix qui taisait, pour un écho qui disparaît, pour une brillance qui perdait son éclat, pour une expression qui perdait son sens, pour une église qui perdait sa cloche, pour une civilisation qui perdait ses racines et pour une bonne mine qui perdait sa fraîcheur …. Bref, la perte lui était fusionnelle, une évidence inévitable et un scandale inoculable..

Elle se sentait angoissée, perdue, endormie ou morte et lancée dans quelque part indigne, sans avoir pitié d'être enterrée …elle se pinçait pour voir si elle existait encore, elle sautait et appuyait fortement sur le sol pour voir si elle vivait toujours.

Elle essayait de se rappeler son nom, qui est-elle, où est-elle, semblait-elle à la femme brune dessinée sur le mur qui est en face ? , est-elle faite d'argile, du marbre ou du métal ? , enfilée-t-elle de perles, sentait elle la douleur, vivait elle un malheur ? ; est-elle punie pour une de ses vices d'adolescence et de jeunesse, car ceci était très loin d'être une vertu ou une bénédiction…

Elle sentait être un morceau musical silencieux, un tableau de peinture incolore, elle sentait être un art antique dévalorisé  …

Est-elle un vide ou un espace ? Contenait-elle le monde ou bien le monde la contenait ? Est-elle un point d'arrivée, le point de départ ou bien elle est la rupture de la course, à son milieu ?

Est-elle le sifflet de l'arbitre ou un beau but à la minute quatre-vingt-dix ?

Est-elle un coin anguleux ou une terre plate, est-elle un point ou leur assemblement et continuité ?

Est-elle une liaison ou une illusion ?

Elle croyait vivre une crise existentielle, elle qui est si profonde, mais elle était hélas si loin de ça, elle commençait à ce temps vivre une chouette si basique avec l'Alzheimer, ou le pesto vert au basilic se transformera, par magie, en un pesto rouge  , aux tomates si fraîches et si acides .