Amarrée à toi

marine-d

Ce fut ta voix qui, la première, me frappa en plein cœur, bien avant que je puisse seulement distinguer ta silhouette, bien avant que je puisse apercevoir les traits de ton visage, ce visage qui, dès le premier regard que je posai sur toi, me bouleversa à jamais. Le son de ta voix fut le miracle auquel j'avais cessé de croire, ce miracle que je n'espérais plus, que je n'attendais plus, et qui brusquement jaillissait de ta bouche, éclaboussant mon âme, engloutissant mon cœur...

Je ne me rendis pas compte tout de suite que je m'étais arrêtée de respirer. Tandis que le flot de tes paroles me submergeait, une vague d'émotions déferlait sur moi, soudaine, redoutable et inévitable... Je ne pouvais plus respirer, car j'étais en train de me noyer dans ce torrent d'émotions inconnues, étranges et indescriptibles. À l'instant précis – éphémère instant aux accents d'éternité – où le son de ta voix se fit entendre, brisant le silence et bouleversant mon existence, je ressentis tout au fond de moi quelque chose d'intense et de paradoxal. C'était une sensation tout à la fois merveilleuse et terrifiante, douce et violente, une sensation qui m'était totalement étrangère et qui pourtant résonnait en moi comme une évidence...

Marguerite Duras disait : « Les femmes jouissent d'abord par les oreilles ». Et je compris ce jour-là qu'elle avait diablement raison, tandis que ta voix m'enveloppait, me fascinait, me transportait. Je devais à tout prix mettre un nom et un visage sur cette fabuleuse voix, qui ne pouvait qu'appartenir à un ange, ou à une fée...

Enfin, je levai les yeux. Ce jour-là, le soleil coulait à flots par les fenêtres et inondait toute la pièce, baignant d'une lumière dorée et éclatante le visage de chacune des personnes présentes. C'est ainsi que je te découvris, magnifique et resplendissante, le visage nimbé d'or et les cheveux flamboyants. Une fée de lumière... 

                                                  *

Je me réveillai en sursaut, des mèches de cheveux collées aux tempes et les lunettes complètement de travers. La monture m'avait blessée et je m'empressai de les retirer aussitôt pour les poser sur la table de nuit. Je passai le pouce et l'index sur le haut de mon nez, là où les lunettes s'étaient enfoncées, tout en me redressant dans mon lit. Les draps, tout poisseux de sueur, étaient littéralement collés à ma chemise de nuit.

Je regardai l'heure sur le radio-réveil : 3h15.
Je poussai un juron. Je m'étais encore endormie alors que j'étais en train d'écrire dans mon lit. Ce n'était pas la première fois.
« Voilà ce qui arrive quand on s'acharne à écrire alors qu'on n'a même plus les yeux en face des trous ! » pestai-je intérieurement, en apercevant mon calepin qui gisait face contre terre.
Nulle trace du stylo bille par contre, il avait dû rouler sous un meuble. Tant pis, je le chercherai demain.

Je me penchai pour ramasser le calepin et relus ce que j'avais écrit avant de sombrer dans le sommeil. Il s'agissait de ma dernière histoire en date, celle d'une rencontre, à la fois hasardeuse et providentielle. Elle m'avait été inspirée par un rêve que j'avais fait quelques jours plus tôt. Et ce rêve, je venais justement de le faire à nouveau. Je rencontrais une femme sublime dont je tombais éperdument amoureuse. Chose étrange, je voyais le visage de cette femme, j'entendais très distinctement le son de sa voix. Tout paraissait si réel... C'en était perturbant.

Une fée de lumière. Mes doigts caressèrent les mots sur le papier. Ma gorge se serra tout à coup, et je sentis mes yeux se remplir de larmes. Bon sang, mais que m'arrivait-il ? Pourquoi donc étais-je autant affectée par ce rêve ? Ce n'était qu'un rêve, rien de plus ! Alors qu'est-ce qui clochait chez moi ?

Je refermai brutalement le calepin et éteignis la lumière. Je m'allongeai à nouveau entre mes draps moites, mais gardai les yeux grands ouverts dans l'obscurité. Je venais de réaliser quelque chose qui m'avait échappé jusque-là. Ma culotte était trempée...

J'eus alors le souvenir d'une sensation de chaleur dans le bas-ventre. Cela s'était-il passé juste avant que je me réveille ? Ce dont j'étais certaine, c'était que ce rêve avait quelque chose à voir avec cette sensation inconnue que j'avais ressentie.

Tout me revenait clairement en mémoire à présent. Je dormais à plat ventre, le visage enfoui au creux de mon oreiller, lorsque cette sensation de chaleur était apparue et avait fini par envahir tout mon être, le transformant en un véritable brasier. Mes mains avaient alors empoigné l'oreiller tandis que j'étouffai un cri de plaisir et de frustration mêlés.

Je sentis le rouge me monter aux joues. Mon tout premier orgasme. Et je l'avais eu en dormant ? Et en rêvant d'une personne qui n'existait que dans mon imagination? Une femme qui plus est...
Alors que je n'étais pas... Je n'étais pas...
Lesbienne, compléta une petite voix sournoise dans ma tête. 
 
                                                  *

Ce matin-là, n'étant pas parvenue à refermer l'œil de la nuit, je me rendis à la Fac dans un état presque second. Mes doigts écrivaient de façon purement machinale tout ce que disait la prof de littérature comparée, une petite femme replète et joviale, mais je n'écoutais pas un traître mot, absorbée dans mes pensées. Elle posa alors une question et le silence se fit dans la pièce, le temps que quelqu'un se manifeste.

Pour ma part, j'étais tellement absente que mon cerveau ne parvenait pas à saisir le sens de l'interrogation, et je restai assise tête baissée, yeux rivés sur ma feuille, tandis que ma main droite griffonnait distraitement des petits dessins dans la marge.

Une étudiante ne tarda pas à prendre la parole. Et à peine eut-elle commencé à parler que mon sang se figea dans mes veines. La mine de mon crayon se cassa. Cette voix... C'était celle de la fille dans mon rêve... Se pouvait-il que... ?

Mais je ne pus me résoudre à jeter un seul regard vers elle. Si je le faisais, serais-je seulement capable de détourner mes yeux d'elle après cela? Arriverais-je à la quitter des yeux sans ressentir comme un immense vide dans mon cœur ?

Pourtant, lorsque le cours prit fin, je ne pus l'éviter complètement. Elle passa tout près de moi au moment précis où je franchissais la porte de la salle, et nos épaules se frôlèrent. Ce contact déclencha en moi un délicieux et douloureux frisson de plaisir, tandis que je respirai, pendant une fraction de seconde qui me sembla une éternité, le parfum de sa peau, qui se révéla sensuel et épicé. J'eus même le temps d'apercevoir une masse de cheveux blonds et bouclés avant qu'elle disparaisse au détour d'un couloir, et mon cœur s'emballa aussitôt.

                                                  *

- Rêve prémonitoire ?
Albane me regardait d'un air tout à fait sérieux en me disant cela, la bouche pleine et les sourcils froncés.
Albane, c'était ma meilleure amie. On se connaissait depuis le primaire et on se racontait absolument tout. Tandis que j'avais choisi sans l'ombre d'une hésitation d'étudier les lettres modernes, Albane quant à elle avait longuement hésité entre étudier l'anglais ou l'histoire de l'art, et n'ayant pas réussi à trancher, avait finalement décidé de suivre un double cursus pour ne pas avoir de regrets.

Je venais de lui raconter toute l'histoire, mais j'avais omis volontairement certains détails gênants, l'orgasme que j'avais eu pendant mon sommeil notamment...
Mon esprit rationnel refusait l'idée même de rêve prémonitoire, de destinée ou autre aberration selon moi. Mais je devais admettre qu'il y avait quelque chose de troublant dans ce rêve qui me perturbait au plus haut point.
- Je dois filer, m'annonça Albane, qui venait tout juste d'engouffrer la dernière bouchée de son sandwich. Je reprends les cours à 13 heures et je ne veux pas arriver à la bourre ! Mais si je peux te donner un dernier conseil ma belle, c'est de te lancer dans le grand bain si tu vois ce que je veux dire...
- Comment ça ? M'étranglai-je, même si je devinais parfaitement ce à quoi elle faisait allusion.
- Je parle de ta virginité ma grande ! Claironna-t-elle, confirmant mes soupçons. Tu as vingt-deux ans, il est plus que temps de te jeter à l'eau, je suis sûre que c'est parce que tu n'as pas encore eu de mec dans ta vie que tu ne sais pas où tu en es, et que tu fais des rêves bizarres. Alors vas-y fonce, et tu m'en diras des nouvelles...

Sur ce, elle fila en cours sans me laisser le temps de lui répondre quoi que ce soit. Mais je n'aurais de toute façon pas su quoi lui répondre...

                                                  *

Les mois passèrent, et je n'eus de cesse de revoir l'étudiante à la chevelure ambrée. On était en cours de littérature comparée ensemble, et on avait également le cours de latin en commun.

J'appris qu'elle s'appelait Patricia, et qu'elle avait dix ans de plus que moi.
Parfois, elle venait me parler entre les cours, et alors je perdais tous mes moyens, faisais tomber toutes sortes d'objets ; portable, stylos, tout y passait. Je bégayais ou disais même parfois des choses complètement insensées...

Mon cœur battait tellement la chamade lorsque nos regards se croisaient ou qu'elle m'adressait un sourire, que j'avais peur qu'il finisse par exploser. Elle devait penser que j'étais un peu bizarre, voire totalement dérangée.
Le plus ironique dans l'histoire, c'était qu'alors que je faisais tout pour l'éviter, elle, bien au contraire, venait vers moi tout naturellement, s'intéressait à moi, mais nullement de la façon dont moi je m'intéressais à elle. Elle m'appréciait, me trouvait pleine d'humour et attachante, mais j'avais compris dès le premier jour que je n'avais rien à espérer. Et de fait, je n'espérais rien.

Mais je souffrais. Comme jamais je n'avais souffert jusque-là. C'était insoutenable. Plus le temps passait et plus elle se rapprochait de moi, et plus je me sentais loin d'elle, paradoxalement. J'avais le sentiment qu'elle était faite pour moi, mais que moi je n'étais pas faite pour elle.

Drôles de pensées pour la personne rationnelle et athée que j'avais toujours été jusque-là...

Je décidai enfin, alors que l'année universitaire touchait à sa fin, de suivre le conseil que Albane m'avait donné quelques mois plus tôt. J'irai vers un homme, je perdrai ma virginité et je passerai à autre chose.

Le soir même où je prenais cette résolution, je me retrouvai dans le lit d'Alexis, un étudiant de ma promo. Alexis était plutôt beau gosse, pas mal de filles en pinçaient pour lui à la Fac, et c'était sur moi qu'il avait jeté son dévolu.
Bien entendu, j'avais été flattée qu'il s'intéresse à moi. C'était un beau brun aux yeux noisette, tout à fait mon genre d'homme en fait. Physiquement, il m'attirait, et ce serait donc avec lui que je perdrais ma virginité, c'était décidé.

J'avais toujours pensé que Alexis était quelqu'un de doux, de bienveillant. Je ne savais pas à quel point je me trompais...
Il ne me fit pas l'amour, mais me baisa brutalement, se préoccupant seulement de son plaisir et ignorant mes gémissements de douleur tandis que son membre dur comme la pierre faisait des va-et-vient toujours plus insupportables entre mes cuisses. Les larmes coulaient sur mon visage, qui s'était fermé alors que je m'ouvrais à lui.

                                                   *

Cette première expérience traumatisante ne m'empêcha pas de chercher l'amour partout, à toute heure.
Je savais que je ne trouverai jamais cet amour entre les bras de celle que j'aurais voulue mienne, ceux de mon ange aux cheveux d'or et aux yeux de saphir, et j'espérais pouvoir trouver cet amour dans les bras d'un autre, ou d'une autre...

Mais l'histoire se répétait sans cesse. Des aventures sans lendemain, des sentiments qui n'en étaient pas.

Je passais mon temps à me tromper. Et à rêver de toi. Encore et encore. De tes yeux. De ta chevelure bouclée et soyeuse entre mes doigts. De mes lèvres pressées contre les tiennes. De ma langue sur tes tétons durcis de désir. De mes mains pétrissant ton corps inlassablement. De mes doigts te faisant jouir sans répit.

Dans les bras d'un autre, je demeurerai toujours amarrée à toi, et je doute que je puisse un jour lever l'ancre.

  • je relis ton texte avec plaisir petite Marine amarrée !..... :-)
    tu devrais peut être mettre une image sur ton texte.... juste une chevelure bouclée et ambrée ;-))

    · Il y a environ 8 ans ·
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    Maud Garnier

    • Tu m'as devancée Maud! ;-) J'attendais justement de pouvoir mettre une image avant de partager le lien mais je vois que tu as été plus rapide que la lumière! Hé hé! :D J'ai des soucis à la fois sur l'ordi et sur le téléphone, et pour des raisons différentes je n'arrivais pas à mettre d'image, ni à partir du téléphone ni à partir de l'ordi, mais c'est bon j'ai finalement résolu le problème! ;-) Est-ce que tu trouves que l'image que j'ai choisie va bien avec le texte? Gros bisous ma belle!

      · Il y a environ 8 ans ·
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      marine-d

    • ben il y a la mer, Marine, pour amarrée ? je n'aurais pas choisit ça, mais je ne suis pas toi !... alors l'important c'est qu'elle te plaise à toi !... bisous

      · Il y a environ 8 ans ·
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      Maud Garnier

    • Disons que j'ai souvent du mal à choisir les titres et les illustrations pour les textes, du coup toutes les idées sont bonnes à prendre! :D J'aime bien cette image en fait, la solitude et la mélancolie qui se dégagent de la photo... C'est pour cela que je l'ai choisie. Mais l'idée de la chevelure ambrée et bouclée pour l'illustration, je n'y avais pas pensé!

      · Il y a environ 8 ans ·
      5ba5852c7e880abdebca2e2feacaf4cf

      marine-d

    • le principal c'est qu'elle te parle pour ce texte !....
      et pour les titres, je ne suis pas d'accord, tous tes petits haïkus fantaisie les titres sont très bien, et tu as même les images si tu veux les poster ici :-))
      gros bisous

      · Il y a environ 8 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

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