Amazone d'octobre
franekbalboa
J'ai vu les larmes dans les yeux de cette femme. Mais aussi, quelque chose de différent. Une force, bestiale, un instinct et une puissance, elle a changé. Longtemps que je la vois, chaque mois, mais cette fois, une nouvelle, pas des meilleures. Une ordonnance, tendue en tremblant, une mesure pour une brassière, et une prothèse. Elle baisse les yeux, souriant, toujours, je lui demande si cela la gêne si je m'occupe des mesures, elle me répond timide qu'elle préférerait. Je l'invite à me suivre, à l'écart du public, une petite pièce où je pourrai m'occuper de tout cela. Je l'invite à ôter le haut, puisqu'il s'agit des mesures à même la peau. Hésitante, elle finit enfin par enlever son t-shirt, je ne la brusque pas, elle a déjà bien trop souffert. J'attends patiemment. Elle prend du temps mais qu'importe. Elle souffre, chaque moment la rapproche de celui où elle me fera face. Osera-t-elle se retourner, je lui demande poliment si elle se sent bien, elle me répond que oui, puis je lui pose la question fatidique:
"Avez-vous peur ?"
Pas de réponse. Juste des tremblements. Elle n'a pas peur elle est terrifiée. Je le sens sans même voir son regard, elle ne peut pas. Je continue un peu, en douceur:
"Vous savez, maintenant que nous nous connaissons bien, est-il quelque chose que vous ne pouvez me dire ? Me montrer ?"
Les tremblements diminuent légèrement me semble-t-il, elle passe la main le long de son bras:
"Montrer quoi? L'ombre de moi-même ?"
Elle se retourne, mais ce n'est pas ce que je vois.
"Une ombre? Laquelle ?
-Osez dire que je suis toujours aussi fringante, j'ai perdu une partie de moi..."
Le ton est triste, mortifié, comme si elle avait vécu sa propre mort... J'ose:
"Vous avez vu partir un morceau de vous mais n'en avez-vous pas vu un arriver ?
-Pardon ?"
Ma question l'a interloquée, pour la première fois elle n'a plus peur, elle est curieuse, et ne pense même plus à cacher sa cicatrice. Sa poitrine est barrée, sur son côté gauche, d'une longue ligne entourée de points. Ses longs cheveux bruns tombent toujours le long de ses épaules, après quelques instants à lui sourire, elle met les mains sur ses genoux et reprend d'un ton plus gai:
"Il accouche mon pharmacien où il se paie ma tête ?
-Voilà je vous retrouve !"
J'eclate d'un grand rire.
"Vous voyez, vous n'avez rien de parti, seulement des doutes arrivés et un petit bout de poitrine, vous avez par contre découvert votre propre force, votre courage, votre résilience, votre côté guerrier."
Elle laissa tomber les bras le long de son corps, en souriant, un vrai sourire, bien qu'agacé, mais je voyais qu'elle en oubliait ce qu'elle était venue faire ici. Je m'amusais à la faire tourner en bourrique, et malgré tout, elle semblait légèrement surprise.
"Vous voyez, vous êtes devenue une vraie amazone."
Il est vrai qu'elle a toujours été jolie, mais sa force incroyable la plaçait parmi celles qui se battent avec courage, et elle avait vaincu son cancer. N'était-ce pas le plus important ?
"Une amazone ?
-Oui une amazone. Il ne vous manque qu'un arc et vous serez parfaite.
-Très drôle, vous avez fini de vous moquer oui ?"
J'éclatais de nouveau de rire, et elle rit cette fois avec moi. Je lui pris les mesures avec beaucoup de facilité et lui commandai alors la prothèse. Elle finit par remettre le haut, et nous sortimes de la salle pour faire son dossier. Elle ne tremblait plus du tout, j'avais gagné, elle avait perdu la peur et récupéré de la joie.
"J'avais peur, avoua-t-elle, mais avec vous, bah ça part vite hein.
-Oh, je n'ai rien fait moi, rien du tout.
-Vous m'avez mise à l'aise.
-C'est vous qui avez choisi de m'écouter. Vous avez fait tout ce qu'il fallait."
Finalement je lui remis le coupon pour récupérer son produit sous quelques jours et elle partit avec un grand sourire. Je suis admiratif devant vos combats mesdames. Celui-ci en est un particulièrement rude. Ne lâchez rien, croyez en vous. Vous êtes fortes.
Je dédie ce texte à toutes les amazones, celles qui ont lutté, luttent, et lutteront sans relâche contre le cancer.