amour adolescence

johnnel-ferrary

AMOUR ADOLESCENCE

***********************************

     Il suffit d’un regard parfois, et tout s’efface. Le quai déserté d’une gare, une silhouette qui se perd sous la pluie battante, une lettre jetée après sa lecture. Et ce regard qui vous suit pendant de nombreuses années, vous fera croire aux miracles de l’Amour, A majuscule de ce désir ardent. Solitaire en bas mot, vous voilà cigare en bouche et verre d’alcool porté à la lèvre. L’oubli, tellement facile d’y croire, seulement les souvenirs hantent le cerveau, et les neurones en rient à dendrites hérissées. La conjugaison à mi-voix se prolonge à l’infini, les rires se fondent entre larmes et rejets de cet autre devenu l’amibe inconnue. Quel est son prénom déjà, quelle est la couleur de ses cheveux, le galbe de ses seins, de sa croupe ? Nous avions l’âge de l’amour, elle quinze ans, moi j’en avais dix sept. Je l’aimais, elle je crois que non. Le départ commence mal, il est certain que la fin est déjà si proche malgré de nombreuses années qui se fanent aussi vite qu’un bouquet de fleurs. Ecrasé le mégot de cigare, bu le reste de la bouteille, et le cerveau qui se dégonde de la boite crânienne. Désespérance totale, le bout du tunnel est proche, la mort aussi. Salut, qu’elle me dit sa mère, elle va se marier bientôt, en avril ou mai. Elle a connu son futur mari à Paris, dans une caserne de gendarmerie. C’est un motard, il accompagne les coureurs du tour de France, les chefs d’état aussi. Quant à elle, je ne crois pas qu’elle me parle de son travail, il parait que cela reste top secret. J’ai raccroché le combiné téléphonique car il y avait du monde derrière moi. Une cabine en pleine gare, il faut dire qu’à cette époque, le téléphone portable n’existait pas encore et encore moins les boutiques de téléphonie personnelle. Ce soir, je retournerai sur les lieux du crime de cet espace amoureux comme par le passé. Pour effacer tout cela, les souvenirs, l’amour défunt, ce goût d’amertume qui me mène aux fins fonds de l’alcoolisme, celui de l’addiction aux cigares qui vous obligent à puer de la bouche. Je suis devenu écrivain, mais je m’en moque. Ce n’était pas mon destin de vivre sans son âme, sans son corps, de sa poitrine trop jeune pour de suaves caresses. Que faire d’autre pourtant puisque le jeu était pipé, fausses cartes du destin, qui a osé vouloir me faire descendre en pleine ascension vers les hauteurs qui mènent au bonheur ? Je n’ai jamais parlé de cela à quiconque, sauf cette putain de page blanche dont la gueule ivre de sang, s’ouvre sous mes doigts qui hurlent de malheur ! Je frappe, je hurle, je cogne, je saigne, les mots s’arrachent un à un pour venir s’éteindre sur ce parchemin douteux. Où es-tu donc, fille de l’adolescence, toi unique amour de ma vie d’une débauche involontaire ? Oui, je sais, je me suis marié, j’ai eu des enfants, et alors ? Tout au fond de moi les restes d’une panoplie amoureuse sont restés accrochés au porte-manteau d’une porte d’entrée, celle d’un cinéma de bas quartier. Mariage, divorce, concubinage, les putes d’un samedi soir, les fêtes entre potes, les bitures qui ne se terminent jamais. Et puis, il y a les bouquins qui se vendent ou peu, un éditeur mesquin, des lecteurs accrochés à mes basques. Demain, oui demain, je dis toujours demain en sachant que ce demain n’existe pas. Demain, je verrais de l’herbe sans cannabis poussé sur les trottoirs et sur les aires d’autoroutes. Je respirerais enfin cet air pur qui vous vient d’une libération anticipée. Pas besoin de se retrouver le cul collé sur un banc de quai de gare, de marcher sans but sur les trottoirs d’une ville devenue abstraite. Il suffit simplement, de mourir à ce destin qui vient pourrir cet autre destin décidé par celui que j’étais autrefois. Un adolescent au pouvoir absolu, ce pouvoir inaltérable que je croyais ainsi. Qui a changé la donne, les cartes truquées, y’avait-il un démon qui crachait son venin dans mon biberon ? Sanguinaire, révolté contre la vie elle-même, et ce soir, tout seul et nue mon âme, j’irai l’attendre comme autrefois l’adolescence.

**********

     Vingt et une heure au Big Ben de la gare de Lyon. Le réseau banlieusard s’active alors que les chemins ferrés s’entrechoquent, les freins se desserrent, les locomotives crachent leur venin d’une fumée noire. Je les vois et pourtant, elles ont disparu. Trains modernes, inutiles dans ce paysage glauque dont mon regard dessine les contours… Kidnappeurs de voyages, ils arrivent et repartent vers des contrées lointaines. J’aimais les grosses locomotives électriques tractant des wagons bourrés de plages, de loisirs rêvés. Un autre convoi arrivait, le mécanicien stoppait sa machine et les portes s’ouvraient. Elle, dans sa jupe année soixante, me cherchait du regard. Oui, je la voyais, je lui souriais. Nos lèvres s’évitaient alors que les miennes n’avaient qu’un seul désir ; écraser les siennes afin de lui donner le sang de cet amour fou. Mais non, ce train imaginé n’est que le fruit d’une absence, d’une détresse confondue par cette envie morbide de tout balancer sur une feuille blanche, unique linceul posé sur une tombe. Ce train, je l’ai imaginé trop souvent, sa silhouette qui envahit le paysage sombre de la gare. Elle est seule, elle est souriante, pas de bagage à la main, aucune valise comme pour revenir et repartir. Rien que son sourire et sa démarche de félin. C’est un chat qui avance vers moi, et soudain, ce n’est plus un chat mais une panthère qui me saute dessus et me dévore. J’ai mal, je souffre terriblement, et voilà que je me réveille. Nu sur mon lit, la sueur perlant sur ce corps dénudé. Senteur de mégots froids, une ombre que dessine le plafond, et cette envie de pisser qui me taraude le bas ventre. Je me lève avec difficulté, mes jambes me font le coup de la tremblote. Sur la table qui me sert de fourre-tout, la machine à écrire m’invite à quelques ébats littéro-érotiques. Mais je ne veux pas chevaucher les touches brûlantes d’une veille atomisée. J’ai trop picolé, il y a deux cadavres mis à mort sur le sol. Deux bouteilles de Bourbon, l’une d’elle est cassée. Misère mentale avalée par l’alcool, je te haïs ! Voilà ce que je retrouve le matin depuis des mois. J’ai comme l’impression qu’une déesse maléfique danse sur les catacombes de ma vie. Elle danse comme les putains sur le ventre de leurs clients, sur les lois que défait la science du sexe prohibé parce que tarification oblige ! Je ne baise plus, je me fais baisé par les bribes de mon passé d’ados… Je me suis assis sur un banc de la gare, et mon regard s’est posé sur les rails d’où glissaient les roues de métal. En finir d’une manière décisive, se laisser aller par le rebus de ma conscience d’homme, mourir par la délivrance dévoilée. Alors je me suis levé, j’ai approché du quai, le convoi arrivait à trop faible allure pour me transpercer et me cisailler les organes. Soudain, il y eut cette main charitable sur mon épaule. Je me suis retourné, et je l’ai vu, le regard brillant, l’élégance sur un costume superbe, saillant. La cravate noire, la chemise blanche, les mocassins sombres. Mais ce fût son regard qui me fustigeait. Et il m’a parlé. Oui, j’ai bien dis, ce morne personnage me parle.

-      On veut mourir, mais à quoi bon ? La vie ne t’appartient pas, tu dois la rendre à son unique propriétaire. Et puisque tu ne peux le connaitre, j’en suis son émissaire. J’ai un deal à te proposer. Ta vie contre l’objet de ce désir qui brûle ton âme. A prendre ou à laisser, tu as le choix bonhomme.

Il fallait me rendre à l’évidence. Je ne rêvais pas, bien au contraire, la réalité me faisait grincer les dents. J’avais la chair de poule, le froid dans le dos. Ma gorge était devenue sèche, je ne pouvais plus parler sauf avec difficulté.

-      Oui, je… Je sais… dis-je en balbutiant. Je veux… Oui, sans doute, je…

-      Oui ou non gamin, je n’ai pas toute la journée à t’offrir. Ta réponse tout de suite, fissa !

-      Mais vous êtes qui, je… Oui, d’accord, je suis d’accord, mais qui est…

-      Tais-toi, désormais, ta vie Lui appartient. Vas t’asseoir, elle va arriver par le train de neuf heures cinquante. Il a quelques minutes de retard.

A peine le temps de le remercier et voilà notre homme disparu. J’ai regardé l’horloge de la gare. Encore dix bonnes minutes à attendre, et enfin…

**********

Le temps passe trop vite, dit-on. Pour moi, les secondes devenaient des minutes, les minutes des heures. Chaque seconde me semblait interminable. Et enfin, le train de neuf heures cinquante se présenta à l’autre bout du quai. Mon cœur battait vite, à l’intérieur de mes veines le sang circulait vite. Les globules rouges et les globules blancs se disputaient une course effrénée. La lourde locomotive, une ancienne machine du dépôt d’Austerlitz, s’approcha de moi et son mécanicien me fit un signe. Il s’agissait de ce mec que je ne connaissais pas et qui avait disparu de mon regard. Oui, c’était bien lui à n’en pas douter. Autour de moi des voyageurs accentuaient le mouvement indicible d’une gare en ébullition. Bizarrement, je n’étais plus à la gare de Lyon mais bel et bien à celle d’Austerlitz d’où devait venir cet amour que je voulais oublier. Puis le convoi termina son voyage dans un bruit effroyable de freins et de boggies mal huilés. Immobile face à moi, la gueule de la machine me fit penser à la tête d’un diable. Superstition ou alors une abominable vérité ? Cette machine hurleuse me semblait vivre sous sa carapace de métal. Avais-je des hallucinations ou bien alors… Je me suis rapproché du premier wagon d’où sortait une ribambelle de mômes. Des gosses qui chantaient, qui hurlaient, jouaient au ballon sur le ballast d’à coté du train. Des fils et filles habillés de l’unique façon que s’habillent les monstres. Regards félins sur panoplie rouge et noire… Ils me fixaient par moments, grimaçants à me voir stupide dans ma tenue de pauvre type. Moi j’évitais ces regards, le ballon entre mes jambes, une petite fille voulu me donner un méchant coup de pied que j’esquivais. Et puis, tout là-bas, une fine silhouette venait de descendre du dernier wagon. Pouvais-je la reconnaître après tant d’années sans l’ombre d’un sourire de sa part ? Je me tenais coi sur ce quai à l’attendre, prêt à lui tendre les bras, la serrer si fort contre moi. Oui, mon Amour, te voilà enfin à moi et pour toujours, l’éternité est à l’image de ce lien si fort qui jamais ne nous quitte. Je savais l’Amour plus fort que le destin, mais s’agissait-il du destin ou plutôt de… plus que dix mètres, neuf mètres, et là, devant moi, cette créature plus belle que dans mes rêves les plus fous. Oui, je te reconnais mon aimée, je te reconnais mon amour d’ados, et tu es là grâce à je ne sais quel miracle ?

-      Bonjour.

Un mot, deux syllabes afin de me saluer. Une bouche qui cherche la mienne sans doute ? Je m’approche, et violemment, je la serre dans mes bras au point de l’étouffer. Je ferme les yeux et je serre, et je serre… Lorsque je les rouvres, je vois jonché sur le sol le corps inerte d’une femme si vieille par sa laideur. Oui, c’est une vieille femme que je viens de tuer. A mes cotés, le mécanicien de la locomotive que je reconnais comme étant le type avec qui j’ai accusé un deal avec je ne sais quel personnage mystique. Il est souriant.

-      Bravo, qu’il me lance. Maintenant, tu appartiens à la Morte, Notre Sainte Mère à qui l’on doit tout, y compris la vie ! je repars dans cinq minutes, ta place est réservée. Je t’emmène avec moi.

Un coup violent à la tête me fait me réveiller. J’ai dormi sur le clavier de la machine à écrire. Ce n’était qu’un rêve voire un cauchemar éveillé ? Je n’en sais rien, tout était déjà écrit sur la feuille d’où vous venez de lire cette impasse qui me rongeait depuis de nombreuses années. Il est vrai que je me sens mieux depuis ce phénomène où l’écrit personnel est devenu l’impersonnelle texture d’une vie. Oui, j’ai trop picolé hier soir, et d’ailleurs les deux cadavres de bouteilles le démontrent. Et dans le cendrier meurent petit à petit les mégots de mes cigares préférés. Alors que je me décidais à déchirer ce texte, la sonnerie de la porte d’entrée m’explosa aux tympans. Je n’attends personne depuis de nombreuses années, sauf sans doute la proprio qui tout les mois, me demande de payer le loyer. Or, nous ne sommes que le treize du mois, mon chiffre porte bonheur. Sauf ce matin,  qui sait ? Alors j’ai ouvert la porte et fais face à deux flics en tenue. Et pas d’opérette, vous pouvez me croire.

-      Monsieur J.B.FERRARY je suppose ? Nous vous arrêtons pour le meurtre de Madame DONSKYL. Veuillez nous suivre Monsieur.

Menottes aux poignets, j’ai suivis les deux types dont l’un d’eux ressemblait à s’y méprendre à mon inconnu avec qui j’ai fomenté un deal. D’ailleurs, il m’avait regardé pour me lancer une œillade. Avais-je seulement rêvé ou était-ce là une réalité que je supposais aveuglément littéraire ? Allez savoir ?

****************************************************************

                             Johnnel B. FERRARY

Signaler ce texte