Amour Ambré

Florian Lapierre

Une mystérieuse cabane trônant au sommet d'une colline perdue au milieu de la nature. Voilà le lieu de destination des pèlerins en quête de pardon, de rédemption et d'oubli. Couverture: Louisa B.


L'aube s'éveilla, en compagnie d'un astre irradiant de chaleur. Les rayons jaunes, pures, éclaircissaient les arbres étincelants de vie. Les boutons d'or bourgeonnaient et les fleurs ouvraient leurs pétales pour accueillir le monde. Les abeilles aux corps zébrés d'une couleur mielleuse, allèrent butiner et récolter le savoureux nectar ambré qui s'offrait à elles. L'herbe ondulait gracieusement sous la brise matinale et le chant des oiseaux berçait de mélodie la nature en effervescence.

La terre fertile, abreuvée par l'eau abondante, épousa la marque de la jeune femme lors de son passage. Sa robe jaune se mariait parfaitement avec les feuilles verdoyantes, qu'elle repoussait délicatement d'un doux geste de la main. Ses cheveux semblables à des épis de blés dansaient majestueusement derrière elle, alors qu'elle gambadait, sourire aux lèvres, en direction de la colline. La lumière chatoyait son visage, passant d'une blancheur à l'aspect doré à une ombre envahissante qui la recouvrait entièrement. Embrassant à merveille le paysage enchanté, elle se mêlait comme partie intégrante de ce décor, à la beauté de la vie.

Alors qu'elle grimpait les petites marches en pierre, elle vit un oisillon s'envoler et se poser sur une branche, contemplant l'horizon derrière la colline. Un chant d'amour suivit et les notes s'envolèrent au loin, emportées par le vent, transportant l'espoir de voir revenir sa moitié. Témoin, elle continua son ascension.

Les nuages n'existaient pas, car le ciel baignait dans un soleil presque zénithale. Arrivée en haut, face à la cabane, un air chaud l'accueillit et caressa ses épaules dénudées. Elle admira un instant la petite maison et le charme qui s'en dégageait. Ce refuge si loin de toute civilisation, fuyant les hommes et vivant au milieu de la nature la faisait rêver. Il y avait une harmonie qui émanait de cette demeure, alors qu'elle se mêlait aux plantes environnantes, longeant la rambarde du petit escalier qui menait à la porte. Un rayon jaune passa furtivement à travers la toiture en bois et fit briller la poignée de la porte.

S'engageant avec entrain dans la mystérieuse maisonnette, la demoiselle contempla ce qui s'offrait à elle. Un puits de lumière gorgeait le centre de la grande pièce, formant par la suite plusieurs cercles d'intensité décroissante. Au sein de cette matière impalpable se trouvait le cœur de la vie, niché chaudement dans de la paille et des branches séchées. Les œufs au blanc pur, reflétaient l'éclat lumineux que l'étoile diurne couchait délicatement sur leurs enveloppes fragiles. Quelques plumes noires éparpillées prouvaient la présence d'une mère, toute proche, veillant sur sa progéniture.

Au fond de la pièce, un vieil homme assis face à la fenêtre, son regard perdu dans les champs d'or, où brillaient mille feux sous les rayons ardents qui plongeaient sur les tournesols. Ces derniers récoltaient la précieuse énergie qui les alimentait, en suivant, de façon inextinguible, la source vitale. Devant ce magnifique tableau, elle sourit et l'homme se retourna, plongeant ses yeux topazes, brûlants comme deux soleils, dans ceux de la jeune femme. Pour la première fois depuis longtemps, elle partagea sa vie avec quelqu'un, ne fusse qu'un court instant, mais bien assez pour qu'il puisse la connaître. Cependant, quelque chose la dérangeait, elle s'était sentie accessible, sans aucune barrière pour protéger ses souvenirs, ses sentiments. Cela n'était pas en soi un problème pour elle, car elle ne ressentait pas un quelconque danger de la part de l'hôte. Non, ce qui lui déplaisait était le fait qu'elle ne sache rien en retour de cette personne.

Devant le silence de celui qui observait de nouveau le paysage enivrant de beauté, elle demanda curieusement :

— Comment vous appelez-vous ?

Il tressaillit, presque imperceptiblement, mais elle eu le temps de le voir et ainsi apprendre une infime chose sur lui. Il avait l'air de chercher son nom. Comme si la réponse était perdue à travers de nombreux souvenirs, il fouilla l'horizon en quête de vérité. Après un long moment, durant lequel elle n'osa pas l'interrompre, la réponse ne fut pas celle escomptée.

— Cela n'a pas d'importance, tu peux m'appeler comme tu le souhaites.

Une moue de déception se dessina sur sa bouche, elle s'apprêta alors à répondre quand l'homme entama le vif du sujet.

— Pourquoi es-tu venue ?

Oubliant sa nouvelle question, elle répondit, sans même réfléchir, comme si elle avait toujours su :

— Pour oublier ma peine.

L'hôte se retourna pour observer les traits de son invitée afin d'y déceler le sentiment qu'elle venait d'évoquer. Cependant, là où aurait du se lire tristesse et regret, il ne vit qu'un masque affichant un léger sourire. Toutefois, il savait que les émotions les plus douloureuses étaient très souvent enfouies au plus profond de notre être, et puis, il avait discerné la couleur de son âme.

—Penses-tu véritablement que cela te seras bénéfique d'oublier ce qui t'as blessé auparavant ?

Le visage de la femme laissa passer une expression non feinte de surprise, elle ne s'attendait pas à ce qu'elle dut se justifier pour obtenir ce qu'elle était venue chercher. Et lui savait que cela ne faisait pas partie de son rôle de poser cette question. Les lèvres de son invitée se fermèrent en un pli lorsqu'elle déclara :

— Je suis venue dans ce but, et l'on m'a dit que vous ne refusiez en aucun cas.

C'était vrai, il ne refusait jamais. Il regretta aussitôt d'avoir entamé cette conversation de la sorte, car il ne pourrait lui expliquer sans qu'elle sache, sans qu'elle comprenne. S'apprêtant à demander son dû pour le service, il fut prit de court lorsqu'elle déposa une bourse en tissu fermée sur son bureau. Il ne regarda pas, ne prit pas la peine de demander s'il s'agissait bien de pierres précieuses. Il avait été trop négligeant et trop intrusif de part sa question.

Fuyant le regard fermé de son interlocutrice, il s'éloigna en direction de la lumière extérieure. De sa main tremblante, il ouvrit la fenêtre laissant une douce brise faire virevolter les cheveux blonds de la jeune femme. Un piaillement plus tard, un bel oiseau au plumage noir s'introduit dans la pièce, rejoignant son nid et ses futurs petits. Couvant avec amour, offrant la chaleur de son corps et se blottissant pour propager sa vitalité à travers ce riche sentiment.

La voix du vieil homme se fit clair bien que faible.

— Contemple l'amour de cette mère, quand j'aurai fini, je te ferai oublier ta peine.

Alors s'asseyant par terre pour être au plus proche de ce qu'elle devait voir, elle admira autant que possible cet oiseau. Ses yeux ambrés brillant intensément, plongèrent dans ces petites pupilles noires qui lui renvoyèrent l'écho de son âme, ses désirs, ses regrets, ses chagrins. L'amour qui était enfouit au plus profond d'elle refit surface, comme une lumière scintillante par intermittence. Enfin, à travers les formes imprécises aux nombreuses couleurs flottant dans une essence pure, une noirceur se révéla et elle vit ce qu'elle voulait à tout prix oublier.


La coque blanc cassé se fissura révélant de faibles piaillements qui résonnèrent, tandis que la lumière pénétrait à l'intérieur de l'œuf. La peau rosâtre au doux duvet de l'enfant contrastait fortement avec la couleur charbon de la mère, qui se rapprocha pour aider son oisillon à sortir de sa coquille, à coup de bec. Puis, le petit être se débattit dans son nid, la tête plongeant dans les brindilles, en piaillant sans interruption pour accaparer l'attention du monde autour de lui.

La jeune femme avait le regard emplit d'étoiles, un sourire nostalgique sur le bout des lèvres, le tout enveloppé dans une mélancolie certaine. Les bras autour de ses genoux touchant sa poitrine, elle raffermit son étreinte en fermant lentement les yeux, retournant ainsi dans une lointaine époque, dans une autre vie. Elle ne ressentait nulle jalousie, nulle envie, seulement une joie sincère à la vue de cette petite famille.

Le tailleur avait fini son œuvre et dans un fracas sourd, il rangea ses outils sur son établi. Quittant ses pensées, la fille l'observa finement. Ses gestes étaient précis bien que lents et secoués par des tremblements. Sa stature était droite mais légèrement recroquevillée, comme s'il portait un fardeau invisible et tentait, tant bien que mal, de se tenir humble et indifférent à ce poids. Quand il se retourna, elle regarda plus attentivement ses traits du visage. Sa barbe poivre sel était courte mais le vieillissait grandement, ainsi que ses cheveux tirés en queue de cheval d'un blanc éclatant. Mais pourtant, ses traits bien que tirés et ridés à certains endroits ne trahissaient pas une vieillesse si visible. En vérité, elle était persuadée qu'il était plus jeune qu'il ne le paraissait.

— Quel âge avez-vous ?

À cette question impromptue il ne sut quoi répondre. Il la fixa de ses yeux brillants, reflétant la lumière en une fleur blanche vive, ce qui l'aveugla un court instant. Ses deux joyaux étaient ponctués au centre par une couleur semblable à la sève des arbres, se transformant peu à peu en un jaune pollen vers l'extérieur. Il ne la lâcha pas du regard lorsqu'il s'assied à la même hauteur, toujours étonné de recevoir tant d'interrogations :

— Mon âge a-t-il autant d'importance que mon nom ?

Elle ne cacha pas sa déception quand au fait que son hôte ne réponde à aucun des mystères qui l'entouraient. Avec une moue renfrognée la jeune femme posa sa tête sur ses genoux, toujours assise sur le sol, près du nid.

— Pourquoi ne voulez-vous pas que je fasse votre connaissance ? Demanda-t-elle sans grand espoir de réponse.

— Ce n'est pas nécessaire.

— Mais vous pouvez lire en moi et non l'inverse, ce n'est pas juste.

À ces mots le tailleur sourit et regarda le nid où le petit oisillon affamé criait à côté de sa mère.

— Tu viens en quête d'un service que j'accomplis parce que tu décides de t'ouvrir à moi. Dans ce processus, il n'est nul besoin que je fasse de même. L'échange ne se fait pas au même plan.

Toujours mécontente de sa réponse vague et évasive, elle ne put que soupirer, lassée de ses tentatives pour nouer un simple contact avec cet homme. Alors, elle consentit à abandonner son effort vain et revint sur sa requête principale.

— Faites-moi simplement oublier à tout jamais ce qui cause mes tourments.

Sa voix se glaça. Disparue la chaleureuse présence pleine de vie qui animait la maisonnette du vieil homme. Il sentit qu'elle remit à la surface ses sombres sentiments afin de faciliter la disparition de ses souvenirs et émotions qui la torturaient. Il la dévisagea, complètement fasciné par la personne qui se trouvait devant lui. Il y a seulement quelques instants la joie imbibait son visage rayonnant de beauté et d'allégresse. Même s'il était conscient qu'elle cachait une part de ténèbres en son sein, il ne pouvait y croire en voyant ce visage angélique.

Il s'agissait de deux facettes composant un seul et même être. Son regard, pourtant si empreint de bonheur en entrant dans cette cabane, était dorénavant habité par un vide, une ombre omniprésente, douloureuse, planant sur son être, ancrée au plus profond de son âme. Une cicatrice profonde, ouverte et toujours présente malgré le temps.

Lorsqu'elle fut enfin prête, elle leva ses yeux amandes, implorant d'une sincérité effrayante l'aide de l'homme. La colonne de lumière illuminant le nid les séparait, mais à travers les infimes particules innombrables qui flottaient, un lien se créa entre les deux personnes, un lien à sens unique. Envahit par ses démons, elle fut confrontée à deux immenses miroirs, au jaune intense et sombre en son cœur, reflétant entièrement l'essence qui la formait.

Le vieil homme lui, plongea dans l'âme aux multiples facettes fluctuantes, claires et foncées. Il fut accueillit par une harmonie de couleurs somptueuses s'entre-mêlant en des compositions florales magnifiques où se trouvait gaieté et amour. Les pétales jaunes se détachaient et se reformaient en d'autres endroits inexacts, dans des assemblements différents et pourtant tout aussi agréables. Puis, au centre de cet immense soleil éclatant de vie, une encre noire se propageait lentement, corrompant peu à peu ce cœur de l'intérieur.

Toutefois, les terribles souvenirs qui tachaient cette âme si pure, disparurent lorsque la propagation continua son avancée. Les émotions variaient à chaque instant, passant de l'amour au chagrin, de la tristesse à l'acceptation, du bonheur à la rancune, de la colère au pardon. Cette instabilité expliquait enfin ce que l'homme ne pouvait comprendre depuis le début. Puis, quand il vit ce qui constituait les fameux souvenirs qui tourmentaient tant la femme, il comprit. Elle avait parcouru ce long chemin pour les oublier. Pour l'oublier. L'amour qui avait tant bercé son cœur et son existence pendant des années. Un amour perdu. Le tout qu'elle formait avec cet être qui la complétait fut ce qu'elle chérit le plus. Tout cela se mua en un chagrin inexorable quand il partit. La distance était insupportable, et c'est un combat contre elle même qu'elle avait entamée depuis des années. Un combat pour attendre son retour ou pour l'oublier afin de vivre de nouveau. Et depuis tout ce temps, aucun de ses sentiments ne trouvèrent victoire, chacun s'accaparant les émotions de l'autre afin de se convaincre que c'était la solution. Son esprit était confus et torturé par ce choix qu'elle ne pouvait faire. La solitude et le désarroi l'envahirent, comblant tout ce qui avait autrefois fait son épanouissement.

Ayant enfin trouvé ce qu'elle désirait le plus, il entreprit sa tâche.

Aspirant l'essence noire aux reflets brunâtres qui s'attachait au reste des couleurs resplendissantes, certains mélanges ravissants disparurent et redevinrent de simples teintes ternes. Volant une partie de sa vie, il l'emprisonna à l'intérieur de ses gemmes sertissant ses yeux. Le désespoir et la mélancolie s'imprégnant dans son nouveau corps, arrachèrent un cri de douleur au tailleur qui rompit le contact visuel en inclinant la tête en avant.

La fille tomba sur le côté, inconsciente, ses cheveux masquant son visage inerte. Le vent infiltrait toujours la pièce par le biais de la fenêtre ouverte. Seul le cri désespéré de l'enfant résonnait dans la maison, s'enfuyant dans l'air qui menait à la nature vaste et lointaine. Les plaintes d'un être qui attendait sans fin le retour de la personne qui faisait palpiter son cœur.  

  • Une bien belle description de la nature et de ses lumières. L'évolution des émotions est intéressante de même que le thème des couleurs est joliment traité.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

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