Amour de cabaret
dhalianoir
Les projecteurs s'allument. La foule se reprend. J'entre en scène et tous se tournent. Sur mon corps la lumière s'amuse et me fait la cour. Parmi les autres il y a ton regard. Curieux et puissant. Ta bouche s'entrouvre quand je fais un tour sur moi. Oui j'ai vu que tu aimes ça.
Les projecteurs découvrent ce que je cache, quand c'est à moi de découvrir ce qui me cache. Un tissu s'envole et atterrit parmi les inconnus. Mais rien pour toi. Petit à petit tes iris s'agrandissent et je souris. Je donne tout le superflu aux autres car je sais quel sera ton cadeau. La barre glacée contourne mes jambes sur lesquelles se tend le contour grillagé de mes bas. Un salut de mes jambes accueillantes devant ton nez et le rideau tombe.
A peine revêtue, les patrons salués et le bouquet envasé qu'une ombre me voit. Face au couloir, tu me défends d'aller plus loin. C'est de nouveau une vive lumière puis le noir ombragé. Pas un mot, on se comprends.
Avec tes gestes, l'automne vient vite pour mon apparat et ma peau devient hivernale. Peau blême sans les néons et la force devant moi. Sans voile au visage, le corps fier et solide, je me laisse tomber face à lui. Tous ces voyeurs ont eu l'emballage, toi tu as l'essence. Ils ont tout vu mais toi tu révèles. Tu n'es pas de ceux qui se désolent de la morale une fois mon exercice rabâché terminé. Tu es de ceux qui viennent consoler les filles comme moi. Sous l'incandescence du noir je ne joue plus, préférant sentir. Toujours sans mots tu sais où tu vas, pourtant toujours un peu désolé de me faire ça comme ça.
Mais les filles comme moi on ne peut pas vous en vouloir, nous, trop solitaires derrière la scène pour prendre les devants en coulisse. On préfère attendre que vous nous consoliez. Que les gestes soignent nos peaux usées par le frottement des parures rouillées et verdies, par les bijoux aussi fantaisistes que nos danses ridiculement interpellatrices.
Un sein par ici, une jambe par là et les voilà dans nos bas. Une main bien ici, une langue juste là et nous voilà dans tes bras. Toi, multiple du différent, moi une différence de la multitude. On a beau changer les couleurs, les vêtements, l'apparence, la poupée reste la même. Et la poupée que je suis en a assez de cligner des yeux, de tourner les rondeurs et creuser les lanières à faire sauter.
Bientôt, une fois la chaleur disparue, éclaboussant les parcelles de ma peau blanche, je retrouverai une rue glauque et triste après que j'eusse fermé la porte grinçante.
Le café de mon T2, amèrement dégueulasse, sera la seule chose que je pourrai avaler.