Amour et tyrannie

Dominique Capo

Réflexion personnelle :

C'est stupéfiant comment la jalousie d'un homme vis-à-vis de la femme qu'il est censé aimer peut-être une prison pour cette dernière. Je viens encore d'en faire l'expérience avec une jeune femme que j'ai connu ici récemment. Mais ce n'est pas la première ; et ce ne sera certainement pas la dernière.

Lorsque j'y suis confronté, j'ai l'impression que la femme – jeune ou moins jeune – à laquelle je m'adresse, est la possession entière, exclusive, soumise, dépendante et docile, de cet homme. J'ai le sentiment qu'il lui a fixé des règles, des ordres, des directives, desquelles elle ne doit pas s'éloigner. Quitte, si c'est le cas, à en subir des conséquences parfois extrêmes : cris, reproches, humiliations, disputes, voire violences, punitions, blessures physiques ou morales.

La jalousie est un vrai fléau pour ces femmes qui en sont les victimes. Car elles ne peuvent – elles ne doivent – pas exister sans l'approbation de leur compagnon. C'est lui qui décide de tout : des vêtements qu'elle doit porter lorsqu'elle se promène dans la rue. Il ne faut pas qu'ils soient trop sexy pour qu'elle n'attire pas le regard des autres hommes qu'elle croiserait ; forcément concupiscents et dans les bras desquels elle se jetterait à la première occasion. Il ne faut pas qu'elle sorte de leur domicile sans son consentement ; il faut qu'il sache à qui elle téléphone, quand et pourquoi. Il faut qu'il connaisse et qu'il surveille les gens qu'elle rencontre, que ce soit chez eux ou à l'extérieur. Elle a des horaires à respecter à la minute près. Elle doit être joignable à tout instant, prête à revenir auprès de lui au moindre doute, et sans qu'elle ait à rechigner. Sinon, ce sont les hurlements, les réprimandes, et la raclée assurés. Combien de femmes meurent aujourd'hui sous les coups de l'homme qui dit les aimer, et qui agit de cette manière ? D'après une étude que j'ai lue il y a peu de temps, il y en aurait une tous les trois jours environ.

Ce qu'il faut savoir, c'est que si ces hommes se comportent ainsi, c'est davantage par manque de confiance en eux que par manque de confiance envers la femme qui partage leur vie. Ils n'ont pas confiance en la force de l'amour qu'il partage avec elle. Il se dit : « Je ne suis pas assez bien pour elle. Elle va donc forcément aller voir ailleurs à la première occasion. ». Et malgré toutes les preuves de tendresse, d'amour, tous les échanges, les dialogues, toutes les soumissions et les humiliations auxquelles elle consentira afin de lui démontrer qu'il se trompe, il ne parviendra jamais à la croire entièrement. Il doutera en permanence. Parce qu'il a tout le temps besoin d'être rassuré sur ce qui fait de lui un homme. Et il ne l'exprime dès lors que par un comportement castrateur, dégradant, pour celle qui l'aime. Il finit par la détruire ; et par détruire le lien qui les unit.

Et plus le temps passe, plus la femme lui laisse une marge de manœuvre afin de tenter d'apaiser ses souffrances, plus celui-ci en profite pour l'enchaîner davantage. Plus il exige de sacrifices de sa part : ne plus sortir, ne plus voir ses ami(e)s, ne plus téléphoner, y compris à sa famille, sans qu'il ne soit présent pour entendre et contrôler ses paroles. Par suspicion, juste au cas où, il lui retire ses moyens de paiement : chéquier, liquide, carte bleue. A la moindre action qui ne le satisfait, qui ne le rassure pas, il se met à l'invectiver, à la frapper ; de plus en plus violemment au fur et à mesure des semaines, des mois, et des années qui s'écoulent. Et de la jalousie, on passe à la violence conjugale chronique, à la destruction du couple, puis, finalement, de la personne aimée. Et, enfin, dans les cas les plus graves, et les plus dramatiques, à sa mort…

Ces hommes sont malades, il faut le savoir. Dès le moindre signe de jalousie, dès la moindre interdiction ou inquiétude exagérée qui va dans ce sens, la femme qui en est la cible, a pour devoir de s'inquiéter, et de rester vigilante. Elle doit prévenir les gens qui l'entourent, des signes avant-coureur qui se révèlent. Elle doit demander l'aide de sa famille, de ses ami(e)s, avant que la situation ne dégénère et ne devienne hors de contrôle. Car, la difficulté, au départ, c'est qu'elle suppose que ce comportement va finir par s'apaiser. Que l'homme qu'elle aime est jaloux parce que ses sentiments pour elle sont sincères, véritables, passionnés. Et que, dans ces conditions, elle est capable de restreindre tout ce qui fait d'elle un individu à part entière, afin d'entretenir la flamme qu'il a à son égard ; dans le but de calmer ses angoisses et ses peur qu'elle le quitte pour quelqu'un d'autre.

Malheureusement, cette tyrannie ne s'apaise jamais. Elle va toujours crescendo. Malgré les promesses, malgré les supplications, malgré le soutien et l'aide plus ou moins pertinente de celle qu'il aime, l'homme qui est la proie de ce genre de démons retombe systématiquement, un jour ou l'autre, dans ses travers. Avec plus ou moins de virulence en fonction des périodes et de la manière dont il a su cadenasser l'existence de sa compagne. Cependant, ce manque de confiance, cette violence plus ou moins contenue, est toujours présente ; prête à se réveiller au moindre événement qui viendrait perturber la domination exercée. Le chantage au suicide s'invite éventuellement dans cet affrontement que devient la vie quotidienne sous le même toit de ces deux personnes. La femme culpabilise forcément ; et c'est en fait le but recherché de ces manœuvres, de ces intimidations.

La seule solution pour la femme qui est la captive d'un homme de cet acabit, est de le fuir le plus tôt possible. A la première manifestation de tentative d'emprise dont la jalousie – et ses dérivés – est le moteur, il faut s'en libérer sans délais. Sinon, chaque jour sera pire que le précédent. La seule solution pour l'homme qui en est à l'origine, c'est de se faire soigner. C'est d'aller consulter un psychothérapeute susceptible de l'aider à trouver les clefs qui sont à la base de son comportement. Qu'est ce qui, dans son passé, l'a tellement marqué, l'a tellement mutilé intérieurement, pour qu'il agisse désormais ainsi avec la femme qu'il aime et qui l'aime ? Qu'a t'il vécu, qu'a t'il subi, qu'a t'il vu, pour qu'il n'est pas confiance en lui à ce point ? Et qu'il reporte ce manque de confiance en lui sur la personne pour laquelle il a des sentiments ? Il n'y a pas d'autre alternative, si ce n'est celle de l'anéantissement complet du couple, et de femme aimée.

Pourquoi parle-je de cela ? Personnellement, je n'ai jamais été confronté à ce genre de situation. Ma mère, un peu, vis-à-vis de mon père ; mais jamais à un niveau tel que je viens de le décrire dans ce texte. Cependant, la façon de fonctionner de mon père à son égard, même si elle n'atteignait pas de telles proportions, m'a toujours profondément heurté. Elle m'a toujours profondément choqué, blessé, humilié ; parce que, par contrecoup, je l'ai subie de plein fouet. L'autoritarisme, les interdits qu'avaient ma mère, le despotisme de mon père se croyant le centre du monde, le meilleur en tout, le plus intéressant, le plus intelligent, le plus cultivé, cette façon de me déconsidérer, de m'humilier, de me faire courber l'échine, sont proches de ce genre d'agissement. Les principaux rouages sont équivalents. Toujours demeurer dans l'ombre du géant du mari, du compagnon, qui détient les rennes du pouvoir sur sa femme, ressemble énormément à cette façon dont ma mère, et moi par la même occasion, avons été terrorisés par cet homme dominateur, à l'ego démesuré, qui ne supportait pas qu'on lui tienne tête, ou qu'on lui montre qu'il avait parfois tort, ou qu'il pouvait faire des erreurs. Je ne m'en suis jamais réellement remis, bien qu'un jour, j'aie dépassé les effrois qu'il suscitait pour lui dire « ses quatre vérités ». Toutefois, il ne me l'a jamais pardonné, et à la suite de cette discussion, il m'a renié ; comme si je n'existais plus pour lui.

Aujourd'hui, je suppose qu'une partie de mon désir de demeurer dans l'ombre, de ne pas vouloir sortir de mon univers si apaisant, si tranquille, vient de là. Pas entièrement, mais partiellement. Mon antre, mon refuge, mon goût pour l'écriture sans me confronter au monde extérieur, est né en partie de ce traumatisme vécu durant mon enfance, mon adolescence, et les premières années de ma vie d'adulte. Et quand je croise des femmes qui sont l'objet du même genre de sévices, invisibles au départ, de leur compagnon, de leur jalousie virant à l'assujettissement, ces images de jadis surgissent aussitôt au fond de ma mémoire. Et je préfère les mettre en garde avant qu'il ne soit trop tard pour elles. Car pour moi, c'est trop tard, nul – homme ou femme – ne pourra jamais réparer mon passé. Une femme pourra peut-être combler les manques affectifs, les marques de tendresse, d'amour, dont j'ai tant besoin. Mais effacer le passé, les cicatrices indélébiles dont mon âme est constellée, nul n'en sera jamais capable…

Dominique

  • Un sujet de société qui malheureusement est encore d'actualité….Mieux vaut vivre seule que mal accompagnée parfois ……et surtout indépendante ….

    · Il y a presque 9 ans ·
    Chc2ah2z

    nombredor75

    • Merci, ce texte me touche beaucoup parce que j'aime les femmes, et les voir souffrir me fait souffrir...

      · Il y a presque 9 ans ·
      4

      Dominique Capo

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