Amour imaginaire
jacques-sullivan
Aimer quelqu'un qui n'est pas là.
Est-ce de la lâcheté ? Est-ce de la simplicité ?
C'est un amour en pause.
On se dit qu'on aime cette personne qui n'est pas là, elle est au loin, elle ne le sait pas. Vous vous dites qu'elle vous aime aussi mais ne le sait pas encore. Vous l'aimez et c'est bien plus facile comme ça, elle n'est pas là. Pas besoin de lui dire. Elle ne le sait pas car elle n'est pas là et le lui dire par correspondance ferait montre de bien trop peu de hardiesse.
Vous vous ennuyez d'amour, partout où vous êtes, rien ne vous attrape le regard. Vous pensez à cette personne qui n'est pas là. Tout vous semble fade quand vous pensez à cette personne, et vous y pensez tout le temps. Plus rien ne vous excite, plus rien ne vous donne la chair de poule. Penser à elle, penser à l'amour que vous avez pour elle et à l'amour qu'elle a (peut-être) pour vous vous suffit, par instant tout du moins. A d'autres moments vous anticipez son retour et vous vous dites que rien ne se passera comme vous l'imaginez, qu'elle ne tombera pas dans vos bras dès que vous vous retrouverez. Que vous n'êtes qu'un idiot de plus aveuglé par l'illusion d'amour. Vous n'êtes qu'un cliché de plus. Un mec qui n'en a pas. Vous devriez faire comme les autres et baiser à tout va. Mais vous ne pouvez pas, ça n'est pas vous, malgré tout ce que les gens qui vous entoure peuvent penser. Vous aimeriez pouvoir utiliser des substituts, des palliatifs, des génériques, mais ça ne marcherait pas. Vous préférez être déçu seul qu'accompagné.
A-t-on le droit d'aimer quelqu'un sans qu'elle le sache ? Si quelqu'un me hait, je veux le savoir. Il en va de même pour l'amour. Il faut connaître ses amis, ses ennemis et ses amours.
On parle d'amour par correspondance, on y croit ou non, mais c'est un autre sujet. Je vous parle d'amour imaginaire. L'amour sans fait. Je l'aime et c'est tout. Cela me suffit. Ca n'est pas très nourrissant, certes. Cela se révèle être un très bon produit d'entretien pour la frustration. Un petit coup de polish tous les matins est utile à la décompression mais vous ramène vite au vide face auquel vous vous trouvez. Cela vous semble une bonne idée au départ, vous vous branlez, c'est bon, vous fermez les yeux, vous pensez à elle, vous vous finissez et là, le temps qu'un électron fasse le tour d'un atome et vous vous trouvez ridicule, la queue à la main, un mouchoir plein de morve pour essuyer tout ces enfants morts qui seront vite oubliés répandus sur votre abdomen. Vous aimeriez pouvoir garder cette semence, la mettre dans une petite fiole et lui envoyer en présent avec un petit mot du type "J’ai pensé à toi ce matin", et puis l'idée vous passe, cela ne serait probablement pas de
très bon goût. Elle n'apprécierait pas et ne serait plus amoureuse, si jamais elle l’eût été un jour. Vous avez d'ailleurs tellement pensé à elle ces derniers jours que vous en avez mal. Physiquement parlant. A la limite de la rupture de frein, l'expression "se ronger le frein" devient alors la candidate idéale pour résumer la situation. Se branler jusqu'à la moëlle. Se branler à s'en déchirer le gland. Se branler à s'en brûler la verge. Et tout ça par amour.
Bordel, l'amour rend adolescent. L'amour imaginaire en tout cas. Que faire d'autre ? J'aimerais pouvoir la toucher, lui faire la fête comme le chien à son maître quand il rentre du travail le soir et va bientôt lui servir un bon bol de croquette, célébrer sa sexualité, lui faire honneur. Réciter son alphabet à ses lèvres jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus. Parcourir chaque grain de son corps, s'envelopper de sa peau, se rouler en elle, sentir ses seins, fermes et fiers, contre sa poitrine, contre son dos, contre son sexe, contre sa nuque, contre sa bouche, contre sa langue. S'en lasser puis recommencer, encore et encore. Se protéger dans sa grotte, y faire son trou et y rester pour toujours. Siamois sexuels par intermittence. Une partie de moi rentrerait en elle en cadeau, don de soi originel. J'aimerais pouvoir m'y engouffrer tout entier, retourner dans un ventre de femme, mais celui de la femme que j'aurais choisi. J'y ferais des fresques d'art pariétal pour marquer ma présence et rappeler à de potentiels futurs aventuriers que j'avais découvert cette terre promise avant eux. Je remonterais la rivière et irais planter ma tente sur le mont des merveilles, d'où la vue est magnifique. Une vallée paradisiaque, pleine de nervures, de collines, de coins et de replis où s'allonger, prendre le temps, s'arrêter, bouquiner, profiter, admirer, se reposer, se relaxer. Un camp de vacances nudiste ne pouvant héberger qu'un seul hôte à la fois.
L'amour imaginaire ne vous comble pas de bonheur, il ne fait que vous rappeler votre solitude et vous rappelle vos années d'erg sexuel. D'ailleurs, je vous laisse, je vais m'en tailler une petite.
Merci. Reviens quand tu veux, ma porte est ouverte !
· Il y a plus de 12 ans ·jacques-sullivan