Amour Rivaux

judy-may

 Un vent glacé soufflait dans le vieil entrepôt désert malgré l’ambiance explosive. Dans la zone Est de la ville de Gaprine, une bataille se prépare.

La ville bien qu'étant désertée, l'Est de la ville était sous le joug du gang de la Luna Rossa, très ancienne organisation criminelle italienne, famille dérivée de la célèbre mafia Casa Nostra, et n'avait qu'un ennemi. Le gang des Tiger Steel leur faisait de l'ombre depuis bien trois longues années, où ils n'avaient fait que se battre, jouant de leur rivalité sûrement éternelle.

Désormais, plus personne ne pourrait arrêter l’imminent massacre qui se préparait. Les membres de chaque gang étaient un peu partout, caché derrière des cartons, des morceaux de tôle... Pas un regard ne fut échangé, pas un mot ne fut prononcé, dans cette autre dimension qu'est l'attente, tout ça était révolu.

Déjà, le cliquetis inquiétant des armes qui se chargent se fit entendre. L'odeur de la poudre attaquait les gorges et la poussière volait dans les faibles rayons de lumière, intactes. Puis soudain, un coup de revolver retentit. Et ce fut le bain de sang. Cachés comme ils le peuvent, les hommes vident leur chargeur sans merci. Chacun savait pourquoi il était là, et la bataille s'annonçait courte. Tous connaissaient le danger d'une telle vie, mais il ne pouvaient résister à l’adrénaline soudaine, le goût de sang, les coups de feu qui rythment les battements de leur cœurs… Une arme à la main, ils se sentaient vivre, sans savoir s’ils se réveilleront le lendemain. Se sentir puissant, le doigt sur la gâchette, tout simplement !

Le sang giclait, les corps tombaient, les balles tuaient… Et parmi toute cette foule de gens, une femme. Julia avait une nouvelle fois la flamme dans les yeux, l'ardeur consumant son âme, avec la folie du combat. Se protégeant à peine, elle avait une main dans la poche, l’autre sur la gâchette de son revolver. Elle souriait d’un air sanguinaire, son visage encadré par un flot de cheveux roux. Face à elle, Romain, le visage caché par ses cheveux trempés de sueur, vêtu d’un vieux sweat sale, évitait les balles de la jeune fille avec une précision et une souplesse digne d’un félin. Ses missiles fusaient en tentant vainement de toucher la femme en face de lui. Mais il souriait en contemplant le regard de diablesse de la jeune fille. Deux rivaux qu’un dieu farfelu va décider de réunir. 

Le vacarme ne réussissait pas à cacher les rires sonores de Julia. La jeune femme était née dans le sang et les batailles, et n'avait que pour seule passion ces étranges combats, fascinée par cette proximité entre sa vie, sa mort. L’odeur de la poudre a pourri son cerveau jusqu’à lui faire perdre la moindre once de raison. Romain, lui restait toujours face à la rousse sanguinaire, essayant toujours de se rapprocher, toujours plus près, se laissant emporter par la folie de la bataille, jusqu'à ce qu'une nouvelle fois, ils ne soient plus qu'eux deux sur le champ de bataille, au milieu du sang poisseux.

Puis, soudain, Julia tourna les talons. Sans même prendre la peine de se protéger des éventuelles balles de son adversaire, elle sortit de l’entrepôt. Romain la suivit discrètement. Cette attitude restait étrange à ses habitudes

Julia hurla en voyant qu’il la suivait. Elle hurla… De peur ? De rage ? De désespoir ? En tout cas, elle s’enfuit loin de son champ de vision. Non sans avoir tiré une dernière balle dans la cuisse du jeune homme. Il se l’est reçu de plein fouet, stoppant sa course par la même occasion. Il gémit en se prenant la cuisse à deux mains. Jusqu'alors, jamais il n'avait reçu de balles de la jeune femme, aussi étrange soit-elle. Ce n'était pas normal.

La nuit finit par tomber sur la ville de Gaprine, et un splendide coucher de soleil enflammât les toits du centre-ville abandonné des citoyens, occupé à sauver leur peau ou à s’enfuir de cette ville. Devenue le terrain de jeux de violent gang de criminels, plus personne n'oserait jamais s'aventurer ainsi dans ce champ de bataille où ne régnait que l'odeur de la mort.
Romain et Julia avaient l’habitude de se retrouver tous les soirs, dans un sous-bois de l’Ouest de la ville, depuis des années maintenant. Là-bas, dans leur refuge, ils se retrouvaient en secret, avec pour seul témoin de leur relation, les arbres et la forêt.


Romain, après une heure de marche, finit par réussir à atteindre le sous-bois. Il s’était réfugié dans un de ces innombrables immeubles abandonné le temps de faire un garrot avec sa chemise pour sa blessure à la cuisse, et d’attendre la nuit.

S’il avait prévenu quelqu’un du gang, certains en aurait profité pour le tuer afin de prendre sa place, dans cette hiérarchie hypocrite sur laquelle était fondée les Tiger Steel, il n'avait pas droit à l'erreur. Et puis sa blessure n’était pas trop profonde. Il réussit à enlever la balle avec son couteau, non pas sans mal. Il était près de minuit quand il arriva à la sortie de la ville. Il pénétra dans la forêt en serrant son fusil à pompe contre lui.

Julia était adossée à un arbre, elle ne semblait pas avoir d’armes sur elle. Il avait hâte de lui parler, mais il savait à quel point cette fille pouvait être dangereuse s’il avait un geste de travers. Jamais il ne devait oublier qu'ils étaient rivaux, et que dans l'ivresse de l'adrénaline, Julia était capable de tout. Il s’approcha de la jeune femme. Elle regardait le sol, laissant ses cheveux cacher ses beaux yeux verts. Elle paraissait si innocente.

Romain lâcha son arme et toucha doucement l’épaule de la jeune fille. Il ne vit rien venir. Julia, d’un habile mouvement du bras, fit tomber l’homme par terre, puis le plaqua contre le sol en s’asseyant à califourchon sur lui. Romain poussa un léger gémissement en tombant violemment sur le sol. Elle glissa son couteau contre sa gorge en laissant un léger filet de sang couler. Elle approcha son visage tout contre celui de l'homme et lui murmura à l’oreille : « mon père me ramène en Italie, le gang ne trouve plus de clients ici, on ne se reverra jamais. »

Cette simple phrase eut l’effet d’une bombe dans le cœur de Romain. Ne plus jamais se revoir ? Doucement, mais sûrement, Julia est devenue indispensable au bonheur du jeune homme. Il a fini par aimer cette fille, aussi taré soit-elle. Il s’est rendu compte bien vite à quel point sa vie n’était rien sans elle. Sans elle, aucune raison de se lever le matin, autant se fusiller plutôt que de vivre pour le gang et amasser de l’argent pour un bonheur factice. Mais il ne laissât rien paraître de son désarroi. Ce serait un signe de faiblesse que Julia s'empresserait d'effacer de son pauvre visage. Son visage était si proche, qu'elle l’embrassa langoureusement avant qu’il n’eut le temps de le faire. Leur corps, leur langue, un instant, se fusionnèrent sur ses lèvres si douces.

Romain se releva et enlaça la jeune fille. Il eut peur de sa réaction, mais elle resta sage entre ses bras : « depuis le début, on n’est pas sûr de se voir le lendemain, on risque notre vie tous les jours. Ce n’est pas une frontière qui m’empêchera de te voir. »

Julia le gifla. Mieux vaut ne pas chercher pourquoi elle avait fait ça, il n’y a pas d'explication à ses gestes, sûrement juste que cette remarque lui avait déplu.
Elle lui sourit : « Épouse-moi… » Romain eut un mouvement de recul, mais la jeune femme le tenait fermement. Elle continua : « …Ou je te tue ! » Dit-elle en lui décochant un magnifique sourire, tout en brandissant son couteau…

Julia rentra dans le manoir de son père accompagné de Romain. Le parrain du gang les accueillit dans le grand salon en fronçant les sourcils. Romain était gêné de venir comme ça. Des tireurs étaient postés dans des coins de la pièce, son cœur commença à s'emballer, bien qu'il ait déjà préparé maintes fois sa phrase :
« Permettez-moi de vous présenter…» Ma fiancée ? Il ne savait plus quoi dire… Julia le prendrait sûrement mal, mais c’était le terme qu’il trouvait le plus approprié : « mon ennemi intime. »

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