Amour vache.

Marguerite De Branchus

Son regard perçant, son petit caractère, son duvet d'homme puissant. Tout me faisait succomber.

L'amour dure trois ans. Quand je l'observe avachi sur le canapé en me regardant avec dédain, je suis obligée de me rendre à l'évidence. Au début de notre histoire, je passais la moitié de mon temps à le dévorer du regard. Quelle chance qu'il fasse partie de ma vie. Son regard perçant, son petit caractère, son duvet d'homme puissant. Tout me faisait succomber. 


L'autre moitié du temps, je la passais à le défendre bec et ongles et à lutter contre les qu'en-dira-t-on de tout mon monde : non il n'est pas méchant, non il n'est pas si feignant. Si, c'est un bon petit gars. Certes il a du carafon mais je vous jure, il a bon fond. J'étais fière de le présenter autour de moi. Rien qu'en le voyant arrivé avec sa démarche, son allure, sa carrure, je savais qu'il allait tous les impressionner. Je savais qu'elles allaient toutes succomber. Le rebelle au cœur tendre qui vivait la nuit et dormait le jour allait tous les faire chavirer. 


On était bien ensemble. C'était ce qui comptait après tout. Je l'avais trouvé. Il était comme chaussure à mon pied. Je le trouvais beau, fougueux  intelligent, malin et surtout très agile de ses 4 mains... Démonter le canapé ne lui posait aucun problème, déballer les cartons et vider la poubelle encore moins. Il était toujours partant pour tout. Tout le temps. Qu'il pleuve ou qu'il vente, le jour et la nuit, j'avais à peine ouvert la porte de notre appartement qu'il partait cheveux au vent au-devant de notre vie, à la rencontre de l'inconnu. Il allait toujours de l'avant. Rien ne lui faisait peur, tout était pour lui une source d'amusement. Un rien aiguisait sa curiosité, tout était sujet d'émerveillement. Il avait appris à croquer la vie aussi bien que dans mes mains. Nous deux, c'était tellement fusionnel que je fermais les yeux sur tout le reste. Ses infidélités d'un soir, ses bruyantes incartades en plein milieu de la nuit, ses repas qu'il laissait en plan au milieu du salon, ses après-midis à glander sous la couette alors qu'il serait tellement mieux dehors à profiter d'une vie sociale, la façon qu'il avait de regarder de la tête aux pieds mes amis que j'avais invité, la nonchalance avec laquelle après les avoir scruter, il partait se coucher la soirée à peine entamée.


Je lui pardonnais tout.


Et puis un beau jour, il y eu la chaussette mouillée de bon matin, les scènes conjugales en pleine nuit, les poils dans l'évier. Trop, tout était trop.

Il était devenu de trop. Ses cris à la fenêtre minuit passée comme s'il était complètement bourré. J'avais beau lui montrer mon indignation, mon ras-le-bol, ma colère, rien ne marchait. Il insistait, il se déchaînait.La seule chose qu'il voulait, c'était resté à tout prix dans ma vie, rentrer dans ma chambre et tester mon lit. Même mon indifférence l'indifférait. L'espiègle minot devenu vieux et mou me donnait l'envie de lui tordre le cou. Inactif comme le peu d'amour qui dormait en moi en souvenirs d'un autrefois, tout chez lui me fatiguait. Agacé dès que je quittais la maison, avide dès que j'ouvrais une porte de placard. Trainant des quatre fers et râleur, il me suppliait partout tout le temps. Il n'était plus le même. 


Les souvenirs d'avant sont restés mais ses poils accrochés sur les pans du lit, ses traces de griffe sur le tapis, ses dents gravées à jamais sur mon poignet ont eu raison de mes sentiments. C'est ce que j'ai essayé de lui expliquer en lui servant une ration de ses croquettes préférées : toi et moi, c'est terminé. Ronronnant mielleusement, il m'a lancé un dernier regard perçant en montant à pas de chat les marches de l'escalier menant droit devant à l'endroit rêvé : à ma place, sous ma couette, dans mon lit, dans ma maison.
Temps de chien, vie de chat et amour vache.

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