Amours d'enfance

redstars


Bou-boum. Bou-boum. Bou-boum. Il faisait ça, mon cœur : bou-boum. A chaque fois que je te voyais. J'avais quoi ? Huit, dix ans ?

C'est un âge sucré ça, mais pour moi, c'était plus de l'édulcorant que du sucre-glace : ça sonnait faux, ça faisait mal dans la cour de récré. Les autres n'étaient pas tendres. Mais je t'avais toi, dans la tête, et alors ça faisait bou-boum, et bou-boum dans mon cœur.

 

Pendant les récréations, j'étais toute seule, tout le temps. Comme un animal mis en quarantaine. Je te regardais jouer au foot avec tes amis, je regardais les autres filles ensemble, à se raconter des secrets ou prendre les plus petits par la main.

Par contre, le soir après les devoirs, les quelques enfants du voisinage et toi, vous m'acceptiez parfois dans vos folles aventures. Et ça, t'imagine pas, combien ça me faisait du bien.

 

Tu habitais en haut d'une petite bute. Près de la gendarmerie. Le soir, je guettais ta silhouette sur la route qui en descendait. Chaque soir, quand je distinguais ton vélo filer, je t'attendais. Je savais que tu viendrais m'embêter. Et moi, j'adorais ça, que tu m'embêtes.

 

On jouait à se courir après. Je portais toujours une queue de cheval, et tu me volais toujours mon nœud d'un geste habile et rapide. Alors je te poursuivais, en vélo, et tu pédalais plus vite que moi, et tu me moquais gentiment : tu m'auras pas, tu m'auras pas ! J'essayais d'aller plus vite, le cœur qui battait fort en dedans, bou-boum, bou-boum, si fort. Je volais presque au-dessus du goudron, des champs, là, sur mon vélo à toute vitesse, juste derrière toi.

 

Tu as dû en récolter un paquet, de nœuds. Des noirs, des roses, des bleus. Les cheveux dans le vent, ça me faisait du bien de penser que tu les garderais pour toi. J'espérais que ça serait un peu comme des reliques à tes yeux, des petits morceaux de moi que tu emportais chez toi à la nuit tombée – quand toutes les mères appelaient leurs gosses en criant par la fenêtre. Oui, j'espérais que ça comptait pour toi, ces petits nœuds que tu récoltais sans jamais me les rendre.

 

On avait construit quelques cabanes éphémères. Des colonies d'enfants de la ville – comme on les appelait - venaient souvent dans nos montagnes, et voilà, ils détruisaient tous nos efforts, tous nos recoins à nous, juste bons à tout casser. On avait de super cabanes de l'automne à l'été, et puis une fois les grandes vacances arrivées, les gamins des colonies venaient tout foutre en l'air. Alors on a laissé tomber les cabanes où on discutait, entre deux courses-poursuites.

 

Et puis, tu t'es mis à me pourchasser sans cesse. Je faisais semblant de détester ça. Je me plaignais même le soir à mes parents, pour surtout pas qu'on sache mon cœur qui faisait bou-boum et bou-boum dès que je te voyais.

De légères tâches de rousseur, le regard malicieux et des mèches blondes mi-longues te zébrant le visage. Un faux air de DiCaprio jeune, quand j'y repense.

D'autres filles t'aimaient bien, mais c'était derrière moi que tu courrais dans les hautes herbes, et tant pis si on traversait des zone d'orties, tant pis si ça grattait les jambes après, tant pis si ça faisait mal.

 

Tes copains te taquinaient. T'es amoureux. Tu disais non, tu répétais non, c'est pas vrai. Moi, ça me suffisait, qu'ils disent ça. Ca voulait peut-être dire que c'était vrai. Et je rêvassais, et je rêvassais pendant des heures, j'imaginais plein de jolies choses, je nous imaginais plus tard, plus grands, ensemble. A la rentrée, l'institutrice nous a placés côte à côte, c'était inespéré. Alors tu piquais des babioles dans ma trousse. Et moi je te laissais faire. Puis les cours finissaient. On faisait tous nos devoirs en quatrième vitesse. On se retrouvait dehors, entre jeux de ballon, vélo, cabanes. Et ce sourire que tu m'adressais, et cet air victorieux quand tu avais attrapé mon nœud et que mes cheveux s'envolaient alors dans le vent.

 

Et puis, elle est arrivée. Tout droit de Martinique. Avec un petit accent sympa que j'ai immédiatement détesté. La peau claire, de longs cheveux blonds noués en une tresse interminable. Elle avait plein d'anecdotes à raconter mais surtout, elle était belle, sans aucun doute la plus belle de la classe. Moi, avec ma coupe au carré, mes lunettes et mes vêtements trop grands… je ne faisais définitivement pas le poids.

 

J'ai vu ton regard dévier sur elle, la petite nouvelle. Elle s'est intégrée le plus naturellement du monde à nos sorties le soir, habitant dans le même quartier, juste à côté de chez toi, à la gendarmerie. Je l'aimais pas, et pourtant, je me suis mise à la suivre partout. C'est elle qui m'a appris à mentir, à voler, à arriver à mes fins par n'importe quel moyen. C'est elle qui disait ce qu'on allait faire, c'est elle qui choisissait, c'est elle que je suivais. Et des deux, côte à côte, c'est elle que tu regardais en souriant maintenant.

On s'est un peu disputées pour toi. De façon tacite. Des regards. Des sous-entendus. Mais je me sentais pas de taille, moi. Je détestais cette façon minaude qu'elle avait quand tu étais là, je détestais son regard mielleux, son assurance.

 

Un jour, nous étions en bas du rocher d'escalade où je prenais souvent des cours, et là, j'ai décidé de lui faire mordre la poussière. J'ai montré du doigt la voie de droite, une facile. J'ai déclaré, je vais monter sans corde, jusqu'en haut, et redescendre par le petit chemin dans la forêt. Cap. Pas cap ? J'ai commencé à grimper, en lançant un regard de fierté à cette fille qui avait enfilé sa plus jolie robe ce jour-là. Je suis arrivée en haut, je suis redescendue, on me regardait comme une grande sportive – ou une folle, je sais pas. Mais il y avait de l'admiration dans tes yeux, ça, je l'ai bien vu. J'étais peut-être pas mannequin mais moi, au moins, j'étais aventurière, j'avais peur de rien.

 

Moi aussi, je peux le faire, qu'elle a déclaré. Si, si. Et dans sa robe de princesse, elle a grimpé le rocher, comme moi, et est redescendue. Je l'ai maudite. Parce que c'était elle que tu regardais. Alors bon, j'ai laissé tomber. Je repensais à nos courses dans les champs, en courant ou en vélo, je repensais à la vie avant qu'elle ne débarque de son île à la con, avec son joli petit accent et ses longs cheveux dorés.

 

Au final, personne n'a gagné.

Tu as déménagé sans prévenir.

 

Je crois que ni elle ni moi n'étions préparées, personne ne nous avait prévenus, pas même toi. Je me rappelle ton départ, c'était après une sortie de classe. Le bus t'as déposé dans une ville sur la route, où tes parents t'attendaient. L'institutrice nous a dit de te dire au revoir, que tu changeais d'école. Je suis restée sonnée, bouche-bée, choquée. Je t'ai observé descendre du bus, et je t'ai fixé du regard quand ce dernier a démarré, jusqu'à ce que tu ne sois plus qu'un petit point imperceptible dans le crépuscule. J'ai pensé, ce petit point au loin, c'est toi, et c'est la dernière fois que je te vois. Je crois que j'ai pleuré calée dans le recoin de mon siège, jusqu'à ce qu'on rentre. Le cœur brisé.

 

Je suis restée quelques temps à traîner avec la fille. On a fait des conneries. Enfin, elle m'a apprit à faire des conneries. Et puis, elle s'est trouvé des super-meilleures-amies avec qui elles se foutaient de moi.

 

Alors je suis retournée m'assoir sur le rebord des escaliers dans la cour de récré, et tu me manquais tellement, et je me sentais si triste. J'ai juste pensé, c'est ça, la vie.

 

J'aurais juste voulu que tu me prennes une fois dans tes bras. J'aurais juste voulu rien qu'un peu, pas grand-chose, j'aurais juste voulu que cette fille ne débarque jamais, j'aurais juste voulu que nos messages à la craie sur le mur de l'immeuble où j'habitais voulaient dire quelque chose : des dessins de cœurs, des initiales, des petits mots. Au moins, je n'aurais pas tout perdu.

 

Alors j'ai repris ma vie.

J'ai mis du temps à me remettre de ton départ. J'ai même des preuves, j'ai un journal intime où je n'ai écrit que sur toi de la première à la dernière page... ça a pas été facile. Tu m'as laissé un manque béant, quand t'es parti comme ça, sans prévenir.

 

Même aujourd'hui, quand j'y repense... ça me fait un petit truc acide et amer à la fois, là, dans le creux du ventre.

Comme pour tout le monde, après le premier chagrin d'amour, quand on est encore tout petit, tout vulnérable, et qu'on ne comprend pas tout très bien cette sensation, ce cœur qui résonne en dedans : bou-boum... bou-boum...


  • Quel beau texte si émouvant ! Et dire que ça commence tout petits les histoires des grands ! Avec toi, je replonge dans mes sept ans et cet amoureux que j'ai perdu de vue. Là c'est moi qui ai déménagé sans crier gare. Je sais qu'il m'a cherché, je ne l'ai jamais retrouvé. Mon premier amour, il était tellement adorable ! Dès que j'ai eu Internet, il y a quelques mois seulement j'ai cherché son nom, j'ai bien trouvé des numéros de téléphone mais je n'appellerais jamais et pourtant j'aurais aimé converser avec lui en toute amitié ! Il a fait sa vie et moi, la mienne. Merci pour ce texte redstars !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • J'ai fait comme toi il y a quelques années, fouiller sur internet, mais comme tu le dis si bien, chacun a fait sa vie :) merci pour ton commentaire en tout cas, à bientôt

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Zt245dd

      redstars

    • A bientôt red !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

Signaler ce texte