Amours parcimonieuses à bon escient

Thierry Kagan

À l'annonce, en fanfare et caleçon, de mon souhait de me marier avec elle, armée de ses gants Mappa et d'une éponge à récurer les plats, elle me stoppe net d'un bras policier me tendant le côté qui gratte plein de hachis parmentier et me demande... quelles sont mes réelles... motivations... à convoler.

Putain ! J'l'avais pas vu venir, celle-là !

J'y vais tout joyeux, la bouche en cœur et d'un coup, paf !le cœur n'y est plus.

Je me sens comme la pièce rapportée qu'on doit coller sur une plaque mouillée.

Pas attendu, en somme.

Je ferme donc mon bec sur le sujet... mais partie remise : j'lui laisse une autre chance.

Plus précisément là, en plein milieu de la nuit, dans le lit.

Pas encore conjugal mais pas mal rodé déjà, vu qu'aux dires de la belle, il a connu tous ceux finalement casés avec ses copines.

Pas mal, comme fait d'armes.

Et pour une femme. Et pour un lit.

En chien de fusil, j'extirpe une main du chaud de mon entrecuisse où elle est calée avec sa consœur et j'opère un arc de cercle au-dessus de la couette, pour aller secouer la femme qui ne porte pas encore mon nom.


Elle dort profondément, bien sûr. Mais accoutumée depuis que l'on se connaît, elle n'hurle pas. Elle aurait pu être remuée un temps plus long, c'est vrai et c'est finalement à une demi molle, évacuant par salve des bruits inarticulés, que je m'adresse.


À 3h17 du matin, je réitère donc mon souhait de me marier avec elle.

À peine sort-elle un nouveau son, que je peux imaginer pour me rembarrer comme la fois dernière, que je réponds «  Aucune ».


Au sens de : aucune motivation solide ne m'encourage vraiment à vouloir me marier avec toi, j'avoue !


Et j'embraye sur l'idée qu'un mariage trop réfléchi peut tuer l'amour.

Que si on était moins analytiques, on serait plus heureux, au moins jusqu'au divorce, etc, etc.


Sur quoi, ma main s'élève à nouveau et trace un arc inverse, pour venir se recaser, en prière, bien au chaud.

Et de nous rendormir, illico.

Le tout en 57 secondes.


Ce n'est qu'au réveil qu'Esmeralda – ce n'est pas son vrai nom, bien sûr ; son vrai nom la vieillit horriblement, alors qu'elle n'a que 33 ans – oui, 33, comme le docteur, exactement ! -, donc au réveil, Esmeralda me dit, très près du nez, la bouche chargée de ce qu'elle n'a pas délogé la veille au fil dentaire : « Oui, d'accord pour tout ».


Ce n'est pas que j'ai la mémoire courte, mais il me faut un petit peu de temps, quand même, avant de mettre une question en face de cette réponse.

Ah oui, c'est vrai. Le mariage !

Mais !!!

Je me serais attendu quand même, pour ce troisième round, à ce que l'on se rentre un peu dedans.

Au sens figuré.

Qu'il y ait des mots plus hauts que les autres. Qu'on s'embrouille, qu'on se brouille et qu'on revienne, l'un vers l'autre, chacun à sa façon, la queue entre les jambes.

Au sens propre. Et de queue, la mienne, surtout !


Cette absence de joute, pour une raison que j'ignore - mais un bon dresseur de Rottweiller pourra m'aiguiller - a complètement et subitement annihilé mon désir et toute projection maritale avec celle à qui j'entends bien, dorénavant, refuser de porter mon nom à tout jamais.


J'allume alors la lampe de chevet, je m'assis sur le bord du lit en tournant le dos à… la dame et je sors les deux tiroirs de la table de nuit.

Un dans chaque main, je vais jusqu'à la cuisine où je prends 2 sacs poubelle format petite benne que je mets l'un dans l'autre pour assurer la charge.

Et j'y vide les 2 tiroirs. Je poursuis en circulant dans l'appart comme un furet qui court, qui court, le furet, en passant par... la penderie, les livres - y'en a aucun à moi, les bibelots - rien à foutre, salle de bains - le minimum.

Et je retrouve Esmeralda en chemise de nuit qui rajoute dans le double sac, 2 paquets de gâteaux de mes achats que je la sais ne pas supporter parce qu'ils lui rappellent le type qui lui rappelle lui-même son père, qu'elle n'a jamais connu autrement qu'en photo.

Ridicule, cette recherche de son père dans un homme !

Il y a tellement plus beau...


Je ressors du contenant quelques habits que je mets. Plus chaussures de ville.

Celles d'à côté, hop ! dans le sac.

J'extrais les clés de l'appart de mon porte-clés qui n'en porte maintenant plus qu'une seule.

Je serre la main de la dame avec ses clés dedans et me fourre, avec le grand sac, dans l'ascenseur, direction chez ma mère, qui garde toujours ma chambre équipée juste ce qu'il faut pour mes transits entre deux conquêtes.


15 jours de vie commune avec une quasi inconnue qui a failli me mettre le grappin dessus mérite, au plus vite, une bonne douche à la maison. avec ce chouette savon à la crème de lait et ce shampoing aux œufs qui ne profitera pas qu'à mon cuir chevelu, je peux vous le confesser.


À table, en famille - enfin, ma mère et moi - on regarde les infos.

Puis, les réflexes habituelles, comme depuis toujours : ma mère qui m'arrête au premier verre que je soulève pour le débarras et qui m'invite à aller plutôt me brosser les dents, avant d'aller me coucher avec un livre.


Je m'exécute sur le champ pour finalement et rapidement, sautant les pages, me retrouver dans le lit, en chien de fusil, les mains jointes, toutes pleines de sainteté.


Et je pense.


Je pense que demain, je vais rappeler celle avec qui j'ai tenu 3 semaines.

Mon maximum.


C'est bien elle, finalement, qui ressemble le plus à maman.




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