Amsterdam

Pierre Magne Comandu

Quand on part de la gare du nord jusqu'à la gare d'Amsterdam on est déjà à Amsterdam, et quand on part de la gare d'Amsterdam jusqu'à la gare du nord on est encore à Amsterdam.

Avec la voix de Brel et le gris du brouillard sur tes verts polders, je te quitte Amsterdam.

Avec le jour qui tombe et la nuit qui se lève devant les lumières blanches sur les sièges rouges du Thalys 9394, je quitte la voûte en verre de ta gare Centraal.

Avec Le plat pays et les sons lancinants enregistrés sur la scène de l'Olympia, je quitte ton tramway GvB et la ligne 3 qui transporte de Muiderpoortstation à Zoutkeetsgracht, sous le ciel profondément bleu des premiers jours de septembre.

Avec les poteaux et les fils électriques fondus dans la nuit naissante, je quitte les douces couvertures blanches des chambres à l'étage et les murs verts du réfectoire, au sous-sol de ton auberge de jeunesse devant Sarphatipark.

Avec les ondes Martenot et le silence agonisant de Ne me quitte pas, je quitte les petits orbes de lumière verte posés sur les arbres de ta Rembrandtplein entourée de coffee shops, à la nuit noire quand on croirait que c'est l'hiver.

Avec des parpaings qui s'entassent en bas des rails et les entrepôts de Punt BV et autres C1000 quelques kilomètres après, je quitte tes quais larges de pierre pavée devant la mer du Nord, tes docks de bois sur les côtés de la rue de Spui et leurs reflets des rayons du soleil.

Avec les notes déferlantes de flûte d'On n'oublie rien, je quitte ton Turkish Koffie entouré de baies vitrées qui bordent l'entrée du port, les octogones éclatants de blancheur sur la façade de ton EYE, au nord sur l'IJpromenade où arrivent en quelques minutes les va-et-vient des bateaux. 

Avec les fenêtres du Thalys, immobilisées en gare de Rotterdam derrière les escaliers gris qui se suivent à chaque quai et les panneaux bleus éclairés de blanc, je quitte les lumières sous tes ponts reflétées sur les flots où on rit et on boit et on pisse entre potes.

Avec les tic et tac et les gongs de J'arrive, je quitte tes odeurs de longues femmes brunes avec leur homme, qui poussaient doucement la porte de la chambre dans le noir pour ne réveiller aucun des voyageurs de la nuit, et des grands mecs noirs qui dorment le matin et prennent des bières le soir et puis recommencent après.

Avec un club sandwich Starbucks poulet fumé - bacon grillé - tomates fraîches - laitue croustillante pour dîner de voyage, je quitte les rires de ton Madame Tussauds, où comme tout le monde on prend Nelson Mandela pour Morgan Freeman, et les engueulades cordiales entre amis quand on se perd à deux heures du matin autour de la plaine verte et humide du Rijksmuseum en imitant Stéphane Bern.

Avec les derniers feux de Quand on a que l'amour, je clos mes yeux et quitte les souvenirs d'un monde ancien, dans lequel par manque d'exigences et de rêves je ne serais jamais parti vers toi depuis les voies de la gare du Nord, et l'aurore qui se lève au fil du voyage.

Et puis, avec le vent de la nuit sur les éoliennes du plat pays, je quitte ces images-là des petites filles allongées dans l'herbe des parcs, du sable dans tes rues même à des kilomètres de tes plages, des hommes et des pigeons de la place Dam, passants d'une heure et puis s'envolent.

Dans le silence, enfin, et l'éclat de la Lune à travers le couloir illuminé du Thalys, je te quitte et je t'aime, je te quitte et je vis, je te quitte Amsterdam.

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