An doras dubh

kerby

Chapitre 4:

Renseignements.

   Killian se gare devant le lotissement des O'Malley, il reste quelques minutes dans le véhicule. Il a toujours détesté aller dans les familles des victimes, il préfère laisser cela aux policiers en uniforme, mais ce coup-ci vu l'affaire son chef lui à expressément ordonné de s'en occuper personnellement. Il finit par descendre et se dirige vers la maison. Le portail grince lorsqu'il l'ouvre, ses souliers faisant crisser le gravier de l'allée. En avançant il regarde cette bâtisse datant surement de quelques siècles, un bien familiale surement. De nos jours en Irlande il n'existe presque plus de ce genre de construction dans les grandes villes telle que Dublin. On en trouve encore dans les campagnes et la plus part sont laissées à l'abandon au grés des intempéries. Il se dit que cela doit quand même être chouette d'avoir sa propre maison et qu'il y serait surement mieux que dans son petit appartement. Il sonne. Un bruit de pas se fait entendre, léger, puis celui des verrous. La porte s'ouvre enfin, laissant apparaitre la maîtresse de maison. Elle est vêtue de noir, ses cheveux ébouriffés, les yeux gonflés et rougis surement du à toute une nuit à pleurer.

-Bonjour madame, désolé de vous déranger, je suis l'inspecteur Pluincéid. Je suis chargé de l'enquête sur le meurtre de votre mari, puis-je vous poser quelques questions?

Elle le regarde sans réagir. Cela lui semble encore irréel, comme si tout ceci n'était qu'un mauvais rêve duquel elle allait bientôt en sortir. Rien. L'homme se tient toujours devant elle sur le perron. Elle finit par s'écarter et le laisser entrer. Sans un mot elle le guide vers le salon. Les volets sont à demi-clos et aucune lumière n'est allumée. Cette pénombre donne un air lugubre à la maison pense Killian. Puis il s'en veut de cette pensée, cette femme vient de perdre son mari, bien sur que les lieux ont l'air tristes, comment pourrait-il en être autrement. La veuve s'assoit sur le canapé alors que l'inspecteur prend place face à elle sur un des fauteuils. Il attend. La femme ne réagit toujours pas, comme si personne ne se trouvait avec elle.

-Madame?

-Ma mère est silencieuse depuis le décès de mon père.

La voix qui provient de derrière fait sursauter Killian qui se retourne d'un seul coup. Dans l'encadrement de la porte se tien Flora la fille des O'Malley. Elle s'avance et prend place à coté de sa mère. Il remarque à quel point elle dénature dans cette ambiance morose et sombre avec les vêtements de couleurs qu'elle porte. L'adolescente prend la main de sa mère dans la sienne et la regarde tendrement.

-Maman ce monsieur attend que tu répondes surement à ses questions.

La mère tourne son visage blême vers elle et la regarde comme si elle venait juste de se rendre compte de sa présence. Puis d'une voix tremblotante elle s'adresse à l'inspecteur.

-Je suis désolée monsieur.

-Non ce n'est rien je me doute bien à quel point cela doit être dur pour vous. Et je m'excuse de venir alors que votre deuil n'est pas finit, mais il est important pur nous de retrouver le meurtrier de votre mari et tout renseignements de votre part nous permettraient de faire avancer cette enquête et de le mettre sous les verrous le plus tôt possible.

-Oui. Posez donc vos question.

Killian sort un carnet à spirales et un vieux crayon mâchouillé à l'extrémité.

-Bien tout d'abord est-ce que votre mari avait des ennemis, que ce soit dans sa vie civile ou bien professionnelle?

-Non. Du moins pas ce que je sache. Je pense que si cela avait été le cas il m'en aurait parlé. Et toi ma chérie?

-Non.

-Bien. Votre mari travail dans quel domaine?

-Il est dans la banque. Il s'occupe des comptes et dépôts.

-Aucun client mécontent ces derniers temps?

-Non, enfin rien d'inhabituel, il arrive que parfois des gens viennent faire des réclamations.

-Il n'était pas rentré une fois en colère parce qu'il avait eu un problème à son travail, souviens toi il a pas arrêté de râler toute la soirée?

-Oui en effet. Cela devait être quelqu'un qui avait réclamé un prêt et qui lui a été refusé. Cet homme s'en était pris violement à mon mari. C'est à peu près tout ce dont je me souvient, la banque sera plus à même de vous en dire plus à ce sujet.

-Merci madame cela pourrait en effet nous être utile.

-Bon je suis obligé de poser cette question, est-ce que tout allait bien dans votre couple?

La femme fixe son regard dans celui de l'inspecteur, un regard sombre et violent.

-Bien sur que tout allait bien, vous pensez que moi ou quelqu'un de ma famille aurait pu faire du mal à mon mari?

-Je suis encore désolé, mais il ne m'est pas possible d'écarter toutes pistes, et croyez moi ce n'est pas avec plaisir que je vous l'ai posée mais cela fait parti des questions habituelles.

-Ecoutez inspecteur je suis fatiguée tout ceci m'a grandement usé la santé, je vous prie donc de bien vouloir quitter ma demeure.

-Bien entendu madame et encore désolé de vous avoir dérangée dans ce moment pénible.

Killian remet son carnet et son crayon dans sa poche intérieure et se dirige vers la porte d'entrée suivit de Flora.

-Excusez ma mère, elle ne voulait pas être impolie mais ces dernières heures furent terribles pour elle.

-Ce n'est rien j'ai l'habitude vous savez. En tout cas si jamais quelque chose vous revenait je vous laisse ma carte.

Il sort un petit morceau de carton sur lequel il griffonne quelque chose derrière.

-Voilà, je vous ai aussi mis mon numéro de portable si jamais je ne suis pas joignable au bureau.

La jeune fille prend la carte et la met dans sa poche de pantalon.

-Merci inspecteur. Au revoir.

-A bientôt j'espère.

Puis elle referme la porte délicatement. Killian regarde cette demeure une dernière fois et regagne sa voiture. Pas très fructueux se dit-il, mais au moins il peut suivre la piste de ce client mécontent. Espérons que Cassie est eu plus de chance avec le légiste.

***

   Lorsque Cassie arrive aux bureaux de la garda sa tête lui fait encore mal de sa cuite de la veille. Elle se masse les tempes histoire de faire passer cette douleur semblable à des milliers d'aiguilles chauffées à rouge et qu'un sadique aurait enfoncé une à une dans son cerveau. Elle salue vite fait l'officier de garde et se dirige vers les escaliers. Avec une lenteur inhabituelle elle se rend au premier sous-sol, là où se trouve la morgue. Elle pousse les lourdes portes et passe la tête par l'entrebâillement. Dans l'immense pièce à l'ambiance glaciale se trouve un homme en blouse blanche penché sur ce qu'il semble être des indices.

-Excusez moi le légiste est là?

-Elle est dans son bureau.

-Merci.

Cassie longe le couloir éclairé d'une lumière blafarde venant des fluorescents appliqués au mur. Certains ne fonctionnent pas et il y a toujours ce léger bourdonnement électrique qui titille les oreilles. Devant une porte en bois, sur laquelle est apposée une plaque avec le nom du légiste, elle frappe légèrement. Non pas pour éviter de trop se faire entendre mais surtout pour empêcher d'augmenter le tambourinement dans son crâne. De la pièce on peut entendre la voix du médecin lui intimant d'entrer. L'inspectrice s'exécute et pénètre à l'intérieur. La pièce est spacieuse, du moins assez pour contenir un bureau, un canapé convertible, une bibliothèque et un meuble bas sur lequel est posé une chaîne hi-fi dernier cri. De la musique passe dessus, quelque chose de violent, de fort, le genre de musique qu'aime Ceridwen. Encore un de ces groupes de metal qu'elle affectionne tout particulièrement. En l'occurrence ici un morceau de béhémoth. La voix gutturale du chanteur lui vrille les synapses. Elle avait bien besoin de ça. Instinctivement elle se pince le haut du nez. Ceridwen le remarque et à l'aide d'une télécommande baisse le son de la musique.

-Gueule de bois ma belle?

Elle répond d'un acquiescement de la tête et s'affale sur le canapé. Le médecin se lève pour se diriger vers sa commode. Cassie l'observe, il est rare de la voir sans sa blouse où un de ses longs manteaux. La jeune femme porte sur elle un débardeur noir et un pantalon tout aussi obscure maintenu par une ceinture de cuir cloutée. Ses pieds nus s'enfonçant dans l'épaisse moquette beige. Ses longs cheveux noirs sont attachés en une tresse dévoilant ainsi en partie le tatouage qu'elle a dans le dos. Tatouage qui se poursuit sur son bras droit. Quelques fleurs de lotus, des branches de cerisiers Japonais qui s'entremêlent et sur lequel sont posés deux colibris bleus. Sur le dos elle peut entrapercevoir des nuages rosés, le sommet d'une montagne et le haut d'une tête. Sa curiosité de policier la pousse à se demander à quoi peut ressembler complètement le dessin. Ceridwen lui tend alors deux aspirines qu'elle s'empresse d'avaler. Le médecin s'installe à coté d'elle et se met à l'aise, le dos calé contre l'accoudoir, les jambes repliées et les pieds posés sur les coussins. Cassie penche la tête vers l'arrière jusqu'à ce qu'elle touche le dossier.

-Alors je suis certaine que tu veux en savoir plus sur le corps d'hier soir?

Sans même ouvrir les yeux, l'inspectrice poursuit cette conversation.

-En effet. Dis moi que tu as de bonnes nouvelles.

-Tu sais que j'aime toujours te faire plaisir, mais là je suis désolée pour toi mais je n'ai pas grand-chose à te fournir.

Cassie se redresse enfin.

-Que veux-tu dire?

-Et bien d'après mes examens la victime a été tuée à l'aide d'un outil très tranchant avec une lame aussi affutée qu'un scalpel. La grosse majorité des blessures, dont l'éventrement, ont été faites alors qu'il était encore en vie, ce pauvre bougre a du souffrir avant de mourir. Mais mis à part ça il n'y a rien d'autre. Pas de traces, pas d'empreintes de quelques sortes que ce soient, pas de cheveux, poils, pas de liquides biologiques, à part celui de la victime il n'y a pas d'autre type de sang. Rien du tout. Je n'ai jamais vu une scène de crime aussi propre, à croire que le meurtrier a prit son temps pour effacer toutes traces de son passage.

-Et pour la victime?

-Rien. Il était en pleine forme, pas de traces de drogues, alcool ou autres substances illégales, juste un les restes de son repas du midi. Pas de poison ou de médicaments. Comme je te dit je n'ai rien pour te diriger vers une quelconque piste.

-Bien. J'espère que Killian aura plus de chance avec la famille.

-Et toi alors, dis moi pourquoi tu t'es soûlée hier? Soirée entre copines ou rencard amoureux?

-Rien de tout cela. Juste encore un de ces foutus coup de blues. Depuis quelques temps je ne cesse de repenser à ma sœur.

-Et tu es vraiment obligée de te mettre dans tout ces états pour ça. Il y a d'autres moyens pour expulser ta douleur. Je te l'ai déjà dit appel moi et on sortira toutes les deux pour s'amuser. Tu en a besoin, c'est pas bon de rester enfermée chez toi à te morfondre.

-Je sais bien, mais tu me connais c'est ma façon d'être.

-La prochaine fois que je découvre que tu t'es enivrée, je te botte le cul. Crois moi.

Cassie la regarde et se met à rire.

-Je ne plaisante pas, tu as beau être une super flic entraînée, je te mettrai ta pâtée. Je te kickerai.

Et pour accompagner ses paroles, elle lui donne de légers coup de pieds sur la cuisse. Puis les deux femmes rigolent de plus belle.

-Bon et si je te payais un bon petit dej' pour faire passer ce souvenir désagréable de la nuit dernière?

-Je te suis. De toute façon je doit attendre que Killian m'appel.

Ceridwen se lève, enfile vite fait ses chaussettes, suivies de ses doc Martens et d'une veste en jean. Les deux jeunes femmes remontent à la surface et se rendent dans le petit café face au commissariat.

***

   Killian est de retour aux bureaux de la garda. Avant de monter il prend son portable et envoie un appel à sa collègue. Elle décroche après deux sonneries.

-Salut collègue.

-Hello Cass'. Alors tu te sens d'attaque pour affronter notre impitoyable boss?

Un léger rire se fait entendre de l'autre coté de la ligne.

-Fin prête. Je suis au café avec Ceridwen. Je te rejoint tout de suite.

-Ok je t'attend dans le hall, histoire que le patron ait l'impression qu'on était ensemble.

-A toute.

Cassie raccroche et se lève en compagnie de son amie. Ceridwen paye pour les boissons et rattrape sa collègue dans la rue. Dans le hall de la Garda elle passe le bonjour vite fait à Killian et se dirige vers la morgue alors que les deux inspecteurs gravissent les escaliers pour retrouver leur patron. A peine arrivés la voix puissante se fait entendre.

-Ó Súilleabháin, Pluincéid dans mon bureau.

C'est à se demander si il ne les attendait pas ou les épiait par la fenêtre. Les deux inspecteurs prennent place dans les sièges face à lui.

-Alors dites-moi tout?

Killian est le premier à prendre la parole.

-Et bien nous sommes allé voir la famille du défunt afin d'en savoir plus sur la victime. Tout ce que j'en tire c'est que ce bonhomme avait une vie rangée et tranquille. Pas d'ennemis au travail, pas de voisins en colère, une famille aimante, bref un type lambda comme pleins d'autres. Il n'y a rien qui puisse nous donner un nom.

-Ensuite nous nous sommes rendu au service médicolégal pour parler avec le légiste. Elle nous a fait part de son compte-rendu fait suite à l'autopsie de la victime. Résultat plutôt décevant. Blessures faites par une arme tranchante, pas de traces, de fluides, de poils, de cheveux, d'empreintes. Rien, comme si la victime c'était fait ça elle-même.

Le chef Ó Cuinn se masse les tempes comme pour se mettre les idées en place.

-Donc vous me dites qu'on a rien du tout nous permettant de nous mettre sur d'éventuelles pistes afin de retrouver le meurtrier?

-En effet.

Le chef soupire.

-Bon je ne vois pas pourquoi je ferai perdre du temps à deux inspecteurs qui ont mieux à faire que d'enquêter sur une affaire impossible à résoudre. Vous allez rassembler tout ce que vous avez glané jusqu'ici les ranger dans un carton et les donner aux affaires non-classées.

-Mais chef ……………

-Ce sera tout inspecteur Ó Súilleabháin. Veuillez disposer tout les deux.

Les deux flics se lèvent et ressortent du bureau. Arrivés à leur place ils exécutent les ordres de leur chef. Cassie est furieuse de devoir classer cette affaire. Tout comme pour sa sœur voilà encore un meurtre qui ne sera jamais élucidé. Ce carton va finir sur une étagère au fin fond d'une pièce sordide, il se recouvrira de poussière et pendant deux ou trois ans il sera de nouveau rouvert et confié à un stagiaire ou à une bleusaille pour s'exercer à faire de la paperasse et tout le monde finira par l'oublier. Elle déteste ces moments où elle se retrouve impuissante face à une telle injustice. Une rage folle brûle au fond d'elle. Elle se dit qu'un verre lui ferait un grand bien afin d'attiser ce feu.

-Ca te dirait de prendre une bière?

Killian finit de scotcher le carton avec un ruban adhésif sur lequel est écrit « pièces à conviction » et le numéro attribué à ce dossier.

-Ouais je suis partant.

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