Angel & Marie - Chapitre 2

Valérie Bel

2 - Surgissement

 

 

Et puis aux vacances de février, ô surprise ! Elle était au café à Suresnes en train de tuer le temps avec Sophie quand elle vit l'incomparable silhouette d'Angel passer la porte et s'attabler un peu plus loin en compagnie de deux autres garçons et de deux filles. Marie connaissait l'une d'elles : c'était une de ses voisines qui, comme on dit, avait mal tourné. Cette fille, en plus d'être vulgaire et grossière, avait la réputation d'être dangereuse, toujours très agressive et très vite violente. Marie l'avait vu un jour agonir d'injures un pauvre commerçant qui lui demandait d'ouvrir son sac. Jusqu'à cet incident elle n'avait jamais imaginé qu'une fille puisse s'exprimer avec une telle véhémence et avec des mots si  orduriers. Marie savait que c'était le genre de fille qu'il valait mieux éviter de regarder avec insistance. Aussi se détourna-t-elle du groupe des nouveaux venus et leur fit dos. Mais cela n'empêcha pas ses mains de se mettre à trembler et sa cuillère de tinter dans sa tasse à café. Ce qui n'échappa pas à Sophie :

- C'est l'arrivée de ta voisine qui te met dans un tel état ou c'est celle du beau brun ? Oh mais … regarde ! Je le reconnais : c'est le mec qui venait attendre Elodie au lycée !

- Oui j'ai vu, dit Marie.

- Ah alors c'est lui qui te trouble comme ça ! Je m'en doutais ! Je m'en étais bien aperçue au lycée !

En réalité Sophie ne s'était aperçue de rien et ignorait tout des émois provoqués par Angel sur Marie, car celle-ci ne lui en avait rien confié. Non par manque de confiance en son amie d'enfance, mais parce qu'elle-même doutait du bien-fondé de ses impressions. Ces regards qu'elle avait cru lui être adressés, n'étaient-ils pas un pur fruit de son imagination ?

- En tout cas, Mr Beau Brun, il les collectionne ! Entre miss Pétasse et Miss Vulgos, il fait fort ! remarqua Sophie.

Comme Marie était de dos et ne les voyait pas, elle demanda :

- Tu crois que Sandra sort avec lui ?

- Ça y ressemble ! Si c'est pas encore fait, ça devrait pas tarder, elle fait tout pour. Elle arrête pas de se coller à lui.

« C'est encore bien la preuve, se dit Marie, qu'il n'y avait aucune chance pour qu'un garçon comme lui remarque une fille comme moi. Il ne risque pas de s'attarder sur une fille qui en dix-sept ans d'existence a réussi le formidable exploit de se faire embrasser une seule fois par un garçon, en 5ème, le dernier soir de la colo, après un mois d'amours transies et platoniques ! »

Depuis ce premier et unique baiser, Marie n'avait pas connu d'autres amourettes. Il faut dire qu'elle était difficile : elle trouvait la plupart des garçons « limités ». Elle, elle s'intéressait à plein de choses : la musique, la mode bien sûr, mais aussi la peinture, la photo, la littérature, le cinéma, le théâtre, l'écologie, l'histoire, l'actualité … Parler foot ou sport n'était pas son truc. Cela rendait rares les possibilités de conversation à son goût. Et les quelques fois où elle avait trouvé un garçon avec lequel échanger sur ses sujets de prédilection, l'aspect boutonneux ou premier de classe de celui-ci n'avait en rien éveillé sa libido. Bref, elle attendait le mouton à cinq pattes ou le Prince Charmant.

Marie était plongée dans ses pensées, n'écoutant même plus les commentaires de Sophie, quand elle sentit cette dernière lui donner un coup de coude. Le groupe de Beau Brun passait devant elles pour sortir du café. Sandra, apercevant Marie, leur jeta un « salut » peu amène sans s'arrêter et sans desserrer les dents. Beau Brun, tout en tenant la porte pour laisser sortir Sandra et les autres, planta ses yeux dans ceux de Marie et dit distinctement dans un doux sourire :

- Bonjour Marie, bonjour Sophie.

Il connaissait leur prénom ! Le temps qu'elles se remettent de leur étonnement et qu'elles balbutient à leur tour un « salut », Beau Brun avait disparu, appelé par Sandra : « Tu viens, Angel ? »

Ainsi il s'appelait Angel, pensa Marie. Drôle de prénom pour un garçon à la beauté quasi diabolique. En même temps, il y avait en lui une douceur presque … angélique.

- Eh oh Marie ! Come back ! On redescend !

Sophie claquait des doigts devant les yeux de Marie. Celle-ci souriait béatement, le menton appuyé dans ses mains, les coudes sur la table. Elle se redressa :

- Oui, quoi ?

- Tu lui avais déjà parlé à Beau Brun ? s'enquit Sophie d'un ton suspicieux.

- Non, jamais.

- Alors comment il connaît nos prénoms ?

- Je sais pas. C'est Sandra qui a dû lui dire.

- Sandra, ta voisine ? Mais elle ne connaît pas mon prénom !

- Alors peut-être Elodie…

- Elodie ? Je vois mal pourquoi ou quel intérêt elle aurait eu à parler de nous !

Sauf si Angel lui avait demandé qui elles étaient, se dit Marie.

- T'es sûre que tu lui as jamais parlé ? poursuivit Sophie.

Marie fit non de la tête.

- C'était quoi alors ce truc entre vous ? On aurait dit que vous étiez hypnotisés, aimantés ! Dans un film, il y aurait eu à ce moment-là un ralenti, avec le monde autour des deux acteurs qui serait devenu flou ! Tu lui as jamais adressé la parole ?

- Non, je t'assure, mais…

- Mais quoi ?

- Non, rien.

- Vas-y, dis !

- Je me fais sans doute des idées, mais plusieurs fois quand il venait attendre Elodie, j'avais  l'impression qu'il me regardait intensément comme pour me dire quelque chose …

- Alors là, ça m'étonnerait, tu rêves, t'es pas son style ! s'exclama Sophie abruptement.

Marie ne répondit rien. Elle plongea le nez dans sa tasse de café, surprise par la vive réaction de son amie. Elle se serait davantage attendue à des encouragements de sa part, à des paroles d'espoir du style « Mais oui, ça se trouve, il t'a remarquée, tu lui plais !  Ce sera Marie et Angel, la belle rousse et le beau brun ! » Mais pas à cette remarque acerbe et définitive ! Pourtant d'ordinaire, Sophie avait toujours le mot pour complimenter et valoriser Marie. C'est elle qui n'avait de cesse de lui répéter : « Marie, défais tes cheveux, oublie ton éternel chignon, tu as les plus beaux cheveux du monde ! » Et c'était vrai : quand Marie libérait sa chevelure roux foncé, elle se retrouvait auréolée d'une crinière dont les longues boucles ondulaient comme des flammes lançant des ors cuivrés, auburn, dorés. Marie détestait ses cheveux, comme elle détestait sa peau diaphane parsemée de taches de rousseur et ses yeux aux éclats émeraude. Elle aurait voulu avoir le teint mat, être blonde aux yeux bleus ou brune aux yeux noirs. Sûrement pas ressembler à un personnage mal dessiné d'un livre pour enfants !

Mais ce que Marie retint aussi des paroles de Sophie, c'est qu'Angel et elle avaient l'air « hypnotisés, aimantés ». Elle n'avait donc pas rêvé : il se passait bien quelque chose entre eux, quand leurs regards se croisaient ! C'était fou ! C'était vrai qu'elle se sentait aimantée par ce garçon. Même quelques minutes plus tôt, quand elle lui tournait le dos, elle sentait sa présence qui, tel un courant irrépressible, l'attirait vers lui et aurait pu la pousser à se retourner vers lui contre son gré.

Marie dit à Sophie qu'elle rentrait chez elle. Elle avait envie d'être seule pour pouvoir penser à Angel et à ces découvertes. Sophie s'étonna :

- Déjà ? Tu boudes parce que je t'ai dit que t'étais pas son style ?

- Mais non je ne boude pas, j'ai juste envie de rentrer.

Arrivée chez elle, Marie répondit à peine à sa mère qui lui demandait si ça allait, elle ferma précipitamment la porte au nez de son petit frère qui essayait de se glisser dans sa chambre, et se jeta sur son lit. Allongée sur le dos, les bras repliés sous sa tête, les yeux mi-clos, elle s'adonna à ses rêveries. Elle faisait surgir la belle silhouette d'Angel tel qu'il lui était apparu la première fois, elle passait en revue les différentes postures dans lesquelles elle l'avait vu, elle faisait défiler les regards qu'il lui avait adressés. Elle en était troublée. Rien que de penser à lui, une onde inconnue  parcourait sa peau, une exquise tension la saisissait. Elle murmurait son prénom : Angel…, elle le faisait rouler dans sa bouche comme une gourmandise que l'on veut savourer lentement.

Le lendemain, elle retrouva Sophie au même café, qui était leur QG pendant les vacances. Sophie attaqua d'emblée :

- Alors, t'as bien fantasmé sur Beau Brun ?

- Non, mentit Marie. Et toi ?

- Ah moi j'avoue que si lui me demandait, je dirais pas non. Tu le trouves pas incroyablement canon ?

- Si, il est pas mal…

- Comment ça, pas mal ? Ce mec est canonissime, il est beau comme un dieu et sexy comme le diable. T'es pas d'accord ?

-  Si, si, répondit Marie sans enthousiasme.

Sophie ne lâcha pas :

- Non mais qu'est-ce que tu me fais là ? Tu te fiches de moi, non ? Ce mec est sans doute le plus beau mec que nous ayons jamais rencontré et toi tu dis du bout des lèvres « il est pas mal » ! Ce mec est divin !

C'est le moment que choisit justement Angel pour faire son entrée dans le café, suivi de Sandra et ses acolytes. Il ne les salua pas mais il jeta un regard en biais à Marie, avec une petite moue amusée. Celle-ci, gênée, rougit et baissa la tête. Elle aurait juré qu'il souriait à cause des propos échangés avec Sophie.

Manifestement cette dernière ne l'avait pas vu entrer et s'apprêtait à poursuivre sur sa lancée :

- Angel, c'est …

Marie lui donna un coup de pied sous la table.

- Aïe ! Quoi ? demanda Sophie sans discrétion, en se retournant.

Cela mit Marie encore plus mal à l'aise. Qui plus est, le mouvement de Sophie n'échappa pas à Sandra, toujours prête à démarrer au quart de tour :

- Y a un problème ? dit cette dernière à Sophie sur un ton très agressif.

Sophie comprit aussitôt sa bourde et se retourna dans l'autre sens vers Marie, en se contentant d'hausser les épaules. Malheureusement, ce haussement d'épaules ne fut pas du goût de Sandra qui vint se planter devant Sophie :

- J't'ai posé une question, et quand je pose une question, j'aime bien qu'on me réponde ! Y a un problème ?

Sophie, comme Marie, n'était pas bagarreuse. Pour autant, si on la cherchait, elle ne se laissait pas facilement faire. Elle répliqua :

- Y a aucun problème, j't'ai pas parlé.

- J'aime pas trop ton ton, que tu te foutes de ma gueule, fit Sandra menaçante.

Marie intervint :

- C'est bon Sandra. C'est pas pour toi qu'elle s'est retournée, c'est pas de toi qu'on parlait, laisse tomber s'il te plaît.

Sandra, qui avait de toute évidence envie d'en découdre, s'apprêtait à répliquer, quand Angel la prit par le bras pour l'entraîner plus loin et lui dit :

- C'est vrai Sandra, j'ai entendu de quoi elles parlaient, ça n'a rien à voir avec toi, laisse-les.

-  Ah ouais et de quoi elles parlaient ?

- D'un garçon qui les fait craquer, répondit Angel avec une malice évidente.

- D'un garçon ? Ouah, ce serait une grande nouvelle pour Marie ! J'ai jamais vue ma voisine avec un mec ! ajouta Sandra dans un éclat de rire mauvais en s'éloignant.

Marie et Sophie étaient rouges de confusion. Sophie se demandait à quel moment Angel était entré dans le café pour qu'il ait pu surprendre leur conversation. Marie, elle, avait bien vu qu'il n'était arrivé que sur les derniers mots de Sophie et se demandait donc comment diable il avait pu comprendre la teneur de leur échange.

Mises mal à l'aise tant par la clairvoyance d'Angel que par l'agressivité de Sandra, Marie et Sophie convinrent de ne pas s'éterniser au café. Elles rentrèrent chacune chez elles – Marie avait promis à sa mère d'aider son petit frère à travailler ses maths- et se fixèrent rendez-vous à vingt heures devant le cinéma. Marie se mit à l'œuvre avec Jules, son frère. Celui-ci était en sixième, détestait sa prof de maths et du coup faisait un blocage dans cette matière dans laquelle il avait été pourtant toujours eu de bonnes notes jusqu'alors. Marie entreprit de reprendre les leçons une à une et de les lui expliquer à sa façon. Elle faisait preuve d'une infinie patience avec son frère qu'elle adorait. De temps à autre, l'image d'Angel s'imposait à son esprit  mais elle la chassait pour ne pas être distraite. Elle était extrêmement concentrée. Tant et si bien que, quand elle regarda l'heure, elle s'aperçut qu'il était déjà 19h45 et qu'elle risquait fort d'être en retard à son rendez-vous si elle ne se pressait pas.

 

Il lui fallait un bon quart d'heure de marche pour rejoindre le cinéma en passant par les grandes artères éclairées, un peu moins si elle passait par les petites rues que sa mère l'enjoignait toujours de ne pas emprunter parce qu'elles lui semblaient plus propices aux mauvaises rencontres. Marie hésita sur le chemin à prendre, mais vu son probable retard elle opta pour le plus rapide des deux. Elle marchait d'un pas vif et décidé, la capuche de son manteau rabattue sur sa tête. Elle ne prêta pas attention aux deux hommes qu'elle croisa, jusqu'à ce que dans son dos elle entende l'un d'eux l'interpeller : « Eh toi ! ». Elle fit mine de ne pas entendre et poursuivit sa marche. Soudain elle sentit une main sur son épaule, qui la força à se retourner.

- Mais c'est la jolie rousse du café ! Celle qui a peur des garçons !

C'étaient les deux acolytes qui accompagnaient sa voisine Sandra au café.

-  Alors comme ça on a peur des garçons ?

- Non, répondit Marie sur un ton qu'elle espéra suffisamment neutre pour ne pas les provoquer et suffisamment ferme pour les décourager.

- Non ? On n'a pas peur ? dit l'un d'eux en approchant son visage du sien et en lui prenant le menton.

Marie le repoussa et tenta de repartir dans l'autre sens, mais les deux hommes se précipitèrent pour lui barrer la route. Elle fit un pas vers la gauche pour les esquiver, mais ils se replacèrent devant elle. Elle tenta vers la droite, ils la bloquèrent.

- Laissez-moi passer, on m'attend, je vais être en retard, dit-elle d'une voix la plus affermie possible.

Mais les deux énergumènes ne semblaient pas disposés à lâcher leur proie. L'un d'eux poursuivit :

- Peut-être que t'aimes les filles et que t'as jamais goûté du garçon. Ça te dit de goûter du garçon ? dit-il en saisissant dans un geste obscène son propre sexe à travers son jean.

- Laissez-moi tranquille ! cria Marie en essayant de passer.

- Tiens-là ! ordonna le plus excité des deux à son comparse, qui obtempéra et vint derrière Marie la saisir par les bras.

Le premier vint se coller contre elle. Il commença à glisser ses mains sous son manteau et son pull, à la recherche du bouton pour défaire le jean de Marie.

- Tu vas voir comme c'est bon le jus d'homme, tu vas en redemander ! dit-il.

Marie se mit à hurler et à se débattre. Et puis soudain, elle entendit une voix d'une puissance incroyable :

- Lâchez-la !

C'était Angel, surgi d'on ne sait où.

Mais l'homme continuait à chercher frénétiquement à déboutonner le jean de Marie.

- Allez viens Angel, on va juste s'amuser un peu !

- Lâche-la, tonna Angel. Immédiatement !

Comme l'homme restait sourd aux ordres d'Angel, Marie vit ce dernier le saisir  par les cheveux derrière la tête et le soulever d'un bras à cinquante centimètres du sol. Il le maintint ainsi quelques instants en l'air.

- Je t'avais dit de la lâcher, dit Angel d'une voix calme mais noire de colère.

L'autre, celui qui tenait Marie, effrayé par cette démonstration de force surhumaine, la relâcha aussitôt. Angel reposa le premier, celui dont les jambes battaient l'air, et lui intima :

- Ne refais jamais, tu m'entends bien, JAMAIS cela. Ni à Marie, ni à aucune autre fille. Sinon, où que tu sois, tu auras affaire à moi. Maintenant, dégagez !

Les deux compères ne se le firent pas dire deux fois et partirent en courant.

Angel se tourna vers Marie et lui demanda avec une immense douceur :

- Ça va ?

Marie était incapable de répondre. Elle était muette de stupeur, encore sous le choc de ce qu'elle venait de subir. Si Angel n'était pas apparu comme par magie, ces deux types l'auraient sans doute … L'idée la glaçait, elle se figea encore plus. Elle vit alors Angel ouvrir lentement ses bras, l'invitant à venir se réfugier contre lui. Et à sa propre surprise, c'est ce qu'elle fit. Elle vint se blottir contre ce garçon qui certes venait de la sauver, mais qu'elle connaissait à peine et qui pourtant lui inspirait une confiance absolue. Elle posa sa tête contre le large torse d'Angel et se mit à sangloter. Il referma ses bras autour d'elle et se mit à la bercer doucement. Elle sentait le souffle chaud d'Angel dans ses cheveux, le rythme lent de sa respiration. Une profonde sérénité l'envahit, elle fut enveloppée par une douce quiétude. Dans les bras de ce quasi-inconnu, elle avait le sentiment d'être protégée. Il l'apaisait. Elle aurait pu rester des heures ainsi s'il ne lui avait pas dit :

- Je t'accompagne au cinéma rejoindre Sophie.

Docile, Marie se mit en marche. Angel l'entourait de ses bras, l'un autour de ses épaules, l'autre sous son coude. Elle était bien. Cependant, malgré ce bien-être pénétrant, une question finit par s'imposer à elle :

- Comment sais-tu que j'ai rendez-vous avec Sophie au cinéma ?

- Je sais, c'est tout.

Le ton d'Angel était doux mais sans appel. Marie s'apprêtait à insister, mais elle se retint sous le regard tendre et franc d'Angel. Elle faisait confiance à cet homme. Bizarrement, avec lui, elle pouvait accepter de ne pas comprendre ou savoir immédiatement. Elle posa cependant une autre question qui la turlupinait :

- Que faisais-tu dans cette rue ?

- Je suis venu te sauver.

Il dit cela sur le ton de l'évidence, avec un gentil sourire qui ne portait aucune trace d'ironie. Devant cette simplicité affichée, Marie ne sut qu'ajouter. La réponse et l'attitude d'Angel transpiraient la vérité même si quelque chose échappait à l'entendement de Marie.

Le portable de Marie vibra. C'était Sophie qui s'impatientait. « Qu'est-ce tu fous ?!! » lui textotait-elle. Marie regarda l'heure : il était 20h30, le film allait commencer d'un instant à l'autre. Angel intervint :

- Réponds-lui de prendre trois places et de nous attendre.

Marie eut envie de lui demander comment il savait que le texto était de Sophie, mais elle s'abstint. Elle s'enquit plutôt :

- Tu viens avec nous au cinéma ?

- Oui et je te raccompagnerai après.

Angel avait de nouveau parlé d'une façon paisible et assurée qui désamorçait toute remarque ou question supplémentaire. Cette tranquille assurance amenait Marie à un lâcher prise qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Peut-être pas depuis le temps, où toute petite fille, elle se laissait porter, à moitié endormie, par son père, de la voiture jusqu'à son lit, lorsqu'ils rentraient tard d'une soirée chez des amis. Elle adorait ces moments où elle s'abandonnait complètement dans les bras de son père. Angel lui donnait la même envie. Sauf qu'elle le connaissait à peine ! Et que les réponses lapidaires qu'il fournissait à ses questions entretenaient le mystère plus qu'elles ne le dissipaient !

Ils arrivèrent au cinéma et virent Sophie qui leur faisait signe de la main. Ils la rejoignirent. Sophie jeta d'abord à Marie un regard qui semblait dire « Waouh, le Beau Brun ! Bravo ! », mais rapidement elle remarqua une ombre dans les yeux de Marie. Elle comprit que quelque chose n'allait pas.

- Marie, qu'est-ce que tu as ? Qu'est-ce qui t'es arrivé ? interrogea-t-elle d'un ton alarmé.

Angel répondit pour Marie :

- Elle a fait une mauvaise rencontre.

Sophie crut un instant qu'il parlait de lui, mais en le regardant elle vit qu'il ne plaisantait absolument pas.

- Quelle mauvaise rencontre ? Tu veux dire quoi par là ?

- J'ai croisé les deux copains de Sandra qui ont essayé de me… Angel les a mis en fuite, dit Marie.

Sophie était interloquée, son regard passait de l'un à l'autre. Elle allait ouvrir la bouche pour poser tout un flot de questions qui se précipitaient légitimement dans son esprit, quand Angel dit :

- Le mieux pour l'instant, c'est d'aller voir le film.

Sa façon de parler eut sur Sophie le même effet que sur Marie. Elle ravala ses questions et le suivit sans broncher jusqu'à la salle de cinéma, où ils s'installèrent, Marie assise entre eux deux. Pendant toute la séance, Angel garda la main de Marie sur ses genoux, au creux de ses propres mains. Cela ressemblait à un geste d'amoureux, et Sophie ne manqua pas d'interroger Marie du regard en pointant leurs mains. Marie lui répondit d'une moue qui signifiait : « non, rien de spécial ». Pour elle, c'était juste un geste de protection, pas un geste de séduction. D'ailleurs plusieurs fois pendant le film, elle sentit qu'Angel l'observait. Il veillait sur elle.

Lorsque le film fut fini, Angel prit congé de Sophie :

- Au revoir Sophie. Je vais raccompagner Marie jusqu'à chez elle.

Sophie aurait bien aimé passer un moment seule avec son amie pour que celle-ci lui raconte ce qui s'était passé, mais la fermeté d'Angel ne lui laissa pas le choix. Elle rentra chez elle.

Marie et Angel cheminèrent jusqu'à l'immeuble où elle habitait, sans dire un mot. La soirée avait été si riche en émotions pour Marie que les mots n'étaient pas à la hauteur. Comment expliquer qu'elle était passée du cauchemar le plus absolu à des instants divins ? Comment traduire l'indicible bien-être qu'elle ressentait à marcher entourée des bras d'Angel ? Parler aurait peut-être brisé le charme. Elle gardait le silence, Angel aussi. Arrivés au pied de l'immeuble, Angel la prit de nouveau contre lui dans un geste apaisant. Puis, la repoussant légèrement pour voir son visage, il caressa tendrement sa joue avant d'y déposer un chaste baiser.

- Bonne nuit, Marie. Dors bien, je suis là.

Puis, éloigné déjà de quelques mètres, il ajouta :

- A demain, au café.

Marie, médusée, ne put qu'articuler un au revoir du bout des doigts. Trop de sentiments et de questions l'assaillaient et la laissaient pantoise. Comment Angel avait-il fait pour surgir d'un coup à temps pour la sauver ? D'où tenait-il sa force surhumaine ? Pourquoi avait-il veillé sur elle toute la soirée avec une telle délicatesse ? Comment faisait-il pour lui faire un tel effet ? C'était quoi ce qu'elle ressentait ? Que voulait-il dire par « dors bien, je suis là » ? Elle restait là, immobile, quand elle entendit une voix lui murmurer à l'oreille : « monte te coucher ». On aurait dit la voix d'Angel. Pourtant elle l'avait vu partir.

Elle obéit. Elle se glissa sans bruit dans l'appartement jusqu'à sa chambre. Elle se déshabilla dans le noir, enfila un vieux T-shirt et se faufila sous la couette de son lit. Malgré l'épreuve qu'elle avait vécue ce soir, elle baignait encore dans la paix insufflée par Angel. Elle ignorait ce qu'il voulait dire par son « dors bien, je suis là », mais elle se sentait en sécurité, comme veillée par une présence invisible. Elle plongea rapidement dans le sommeil et dormit d'une traite jusqu'au lendemain. Quand elle ouvrit les yeux, la dernière phrase d'Angel s'imposa à ses pensées. « A demain, au café. » Il lui avait donné rendez-vous ! Oui, mais à quelle heure et pourquoi au café ? Elle n'avait aucune envie de tomber sur les deux copains de Sandra. Cette idée la terrorisait. Mais elle avait une telle confiance en Angel qu'elle se dit qu'elle ne risquait rien s'il était dans les parages. S'il lui avait donné rendez-vous au café, ses agresseurs n'y seraient pas. Elle en avait l'intime conviction. Restait la question de l'heure. Devait-elle s'y rendre comme d'habitude vers 15h ? Peut-être, mais alors elle ne serait pas seule avec Angel. Il y aurait Sophie. Elle décida d'y arriver un peu en avance dans l'espoir de passer un moment seule avec Angel. Les heures jusqu'à son départ pour le café lui semblèrent interminables. Même sa mère à table remarqua son impatience et lui en demanda la raison. Elle fit comme si elle n'avait rien entendu et quitta le déjeuner dès que possible pour filer au café.

  • Son ange gardien? Hâte de lire la suite.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Stylo1

    laecyli

    • Merci pour ta visite, ton vote et cette hâte qui me fait bien plaisir ! J'espère que la suite continuera à te plaire ! Bon w-e ! Valérie

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Couv2 a   m plumes pour twitter

      Valérie Bel

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