Angoisse à l'usine
peterpanpan
J'avais fini par trouver ce taf en usine. Je travaillais en binôme avec un mec qui était là depuis cinq ans, et nous étions postés sur le poinçonnage laser. Je devais lui apporter les tôles, les caler sur la machine, et les retourner quand le premier poinçonnage était passé. Lui était en charge de la programmation. Pour dire autrement je faisais le sale boulot pendant qu'il se la coulait.
Evidemment, je pouvais rien dire, et de toute façon je ne savais pas programmer. Lui était bien content que je sois là, avant, il devait apporter les tôles lui-même.
Au bout de quelques semaines le type est devenu proche. Nous buvions ensemble après le travail, car dans ces métiers, le soulagement d'avoir fini sa journée doit toujours être séparé de l'abattement qui vient au moment de passer le pas de sa porte.
Nous étions donc dans un rade qui nous avait paru être un sas de décompression honorable pour écumer les bières et les minutes qui séparent le retour à l'air libre, et mon nouveau compagnon avait décidé aujourd'hui de me parler de ses goûts en matière de femmes.
Je ne vais pas m'abaisser à reproduire ici ce que j'ai pu entendre, mais je n'envisageais pas qu'un poinçonneur puisse être aussi créatif. Il faut croire que le temps que je lui avais dégagé en allant chercher ses tôles était désormais employé à l'exercice d'une imagination féconde. Son discours provoquait d'ailleurs un tel effet chez moi qu'à mesure qu'il le déroulait - en y ajoutant tous les détails qu'il trouvait utiles - ma bière prenait un goût étrange. Nous nous quittâmes sur une drôle d'impression et je crois malgré moi, qu'au moment de lui serrer une dernière fois la main, je lui jetai un regard étrange.
Ma gêne perdura jusqu'au lendemain et à l'usine je déployai tous les moyens pour minimiser nos contacts. Je pris beaucoup plus de temps pour amener les tôles, et les retirai de la machine aussi vite que je le pouvais pour laisser le moins de flottement possible, flottement pendant lesquels je craignais qu'il ne se mette à me parler. Il le remarqua, et plusieurs fois me demanda si j'allais bien. Je prétextai avoir mal dormi, à cause d'un problème de digestion,et en profitai pour lui annoncer que je préférerai rentrer directement chez moi ce soir.
Je fis durer le manège trois ou quatre jours, en m'inquiétant chaque jour un peu plus du fait que celui-ci ne pourrait pas durer. La veille du cinquième jour, je commençai à me sentir réellement malade à force de penser à cette maladie que je ne pouvais plus simuler, et que je devais remplacer par un autre argument pour justifier mes distances soudaines avec le poinçonneur. C'est entre deux malaises vagaux que la solution me vint.
Le cinquième jour, au moment d'aller chercher une de mes tôles, je m'écrasai volontairement deux doigts sous l'acier. L'infirmière me diagnostiqua une foulure, et je pu prendre congé d'une semaine supplémentaire.
Ma semaine de congé se termine demain. Je viens d'échanger mes chaussures de sécurité contre des bottes simples.