Anonyme

Jay M Tea

Un début de brouillon pour un texte de concours manqué... ("Requiem pour un tueur")

                      Du fond de l'église, on entendait les pas lourds de la démarche bouleversée de celui qui allait prendre la parole. Il ouvra la bouche sans qu'aucun son n'en sorte, ce qui fit sursauter la foule qui était présente en ces funérailles ; le locuteur fut d'autant plus intimidé quoi qu'il eusse à dire, le regard fixé dans le vide, le nez en l'air comme pour se redonner de la contenance. Il annonça finalement avec beaucoup de courage – c'est ce qu'il se disait dans les murmures – l'entrée à côté de l'autel d'un violoncelliste qui allait interpréter l'un des morceaux de musique préféré de la disparue devenue caisson de bois clair et dont l'ironie de sa présence fut mise en scène au devant du chœur et fit éclater en sanglots les premiers rangs ; les amis chers, la famille.

                      Ceux qui comme l'homme du fond étaient venus par compassion et par curiosité un peu malsaine ne pouvaient s'empêcher de relater les faits de la mort tragique et tout autant mystérieuse de la jeune femme diffusés dans les médias locaux. Ainsi les bancs du fond chuchotaient et se balançaient de droite à gauche pour échanger quelques mots peu discrets ; certains plaignaient la douleur insupportable de la famille quand d'autres écrasaient une larme de temps à autre au fur et à mesure que les discours d'adieu se suivaient, étouffés par les cris et les pleures d'un enfant qu'une mère endeuillée ne pouvait consoler ; d'autres encore, moins bien attentionnés, racolaient des informations en grands reporters et tentaient d'élucider l'origine de cette « tragique découverte » dont les journaux parlaient tant et de reconstituer au mieux l'histoire qui les amena en ces lieux. L'instrumentiste prit place face à l'audience, les yeux rouges, les lèvres clouées sur un menton ridé par la tristesse ; puis il ferma les yeux comme pour exiger le silence et se mit à jouer.

                      L'homme du fond, ravi de ne plus entendre les ragots et les fausses pistes qui circulaient dans les derniers rangs, écarquilla les yeux avant de rejoindre les mouvements de l'archet dans une valse muette logée au beau milieu de son crâne qu'il fit légèrement tournoyer en rythme au gré des notes vibrantes de l'instrument. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres qui contrastait avec l'atmosphère générale. Il tapota le sol de la pointe des pieds et s'imaginait en train de voler de voûte en voûte en capturant sur son passage les lumières multicolores filtrées par les vitraux. Il devenait prisme et rayonnait quand le violoncelliste s'arrêta brusquement dans un élan d'émotion ; il se figea, prit un temps de pause, baissa la tête et courba le dos comme pour s'excuser et saluer la défunte. Il regagna sa place et l'on fit signe aux rangs du fond de bien vouloir rejoindre l'allée centrale et de s'avancer en direction du cercueil pour un dernier geste d'au revoir.

                      L'homme fit mine de rien et se dirigea vers la sortie. Il ne supportait pas l'hypocrisie de ces anonymes à prétendre vouloir saluer une morte inconnue sous prétexte qu'ils s'étaient approprié son histoire. Ils ne savaient rien d'elle. Personne ne savait rien. Ainsi soit-il ! Distrait, il baissa la tête et songea au morceau de musique inachevé. Il manquait quelque chose. Les notes résonnaient et se répétaient sans cesse dans sa tête. Il était resté sur sa faim. Aussitôt sorti, il fut éblouit par quelques rayons de lumière qui perçaient au travers de nuages sombres qui annonçaient de longs jours de pluie.

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