Antoine

lune-noire

Il avait des yeux sombres et clairs à la fois. Ni trop bleus, ni trop gris. C'était un peu entre les deux, selon le temps, selon la luminosité du jour, selon son humeur aussi, je crois. Ils avaient une fâcheuse tendance à devenir clair quand il était amoureux, ou heureux. Plus sombres quand il était en colère. Toutes ses émotions passaient par là,  par ses éclats, par la douceur de ses pupilles, ou la cruauté de celles-ci.

Il portait toujours une barbe de trois jours, qu'il ne rasait presque jamais. Je l'avais vu une ou deux fois sans. Cela lui donnait l'air plus jeune, plus adolescent. Or c'était un jeune homme, beau, grand, et fort. Sa barbe donc, prenait place tout le long de son menton, jusqu'en bas de ses petites joues toujours un peu rosées. J'adorais sa barbe. Toujours parfaitement bien dessinée. Il prenait soin de lui, peut-être un peu trop, mais il était beau.

Le matin au réveil, c'était comme s'il n'avait pas dormi. Ses cheveux étaient restés identiques à la veille, au soir. Il avait les cheveux bruns, d'un brun très sombre. Ça s'approchait même du noir, parfois. Et puis l'été, ça s'éclaircissait, le rendant un peu moins mystérieux et plus accessible. C'est d'ailleurs comme ça, que je l'ai abordé. L'été.

"-Bonjour.

-Bonjour! Vous allez bien?

-Tutoyez-moi, Antoine. Nous allons être voisins, tout un été. Passez chez moi ce soir, on dinera, pour faire plus ample connaissance, si cela vous dit.

-D'accord, avec plaisir, Anne."

Et la soirée avait été l'une des plus agréables que j'ai pu vivre de tout cet été. Son rire était loin d'être discret, mais je l'adorais. Sa voix me paraissait être la plus belle mélodie du monde. Et puis je me suis assise sur ses genoux, enroulant mes bras, autour de son cou. Quelqu'un a sonné à la porte, et dans un petit sursaut, je me suis retrouvée à califourchon sur lui, nous deux, sur le canapé.

Je ne fixais que ses yeux. Et sa bouche, un peu. Peut-être, si j'en avais eu l'audace, et le culot, je lui aurais arraché ses vêtements, et je l'aurais relâché qu'au petit matin. Seulement Antoine, il avait quelque chose de spécial dans ses yeux. Quelque chose qui disait "J'en ai marre des plans de l'été, c'est nul et répétitif".

Alors je me suis assise, je l'ai regardé en disant "Je suis désolée". Et il n'a rien dit de plus. Je suis allée ouvrir la porte. C'était une voisine, qui apportait des fraises de son jardin. Sympathique. J'ai refermé la porte, Antoine était encore là. Il m'a dit qu'il voulait prendre son temps, et je le voulais aussi.

Chaque soir de cet été, j'y repensais. Antoine a disparu, du jour au lendemain. Il est parti, ne donnant aucune explication, à sa banale voisine d'été. Peut-être qu'il voulait plus que prendre son temps. Mais il est parti, et l'été est déjà fini.

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