La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 32 : Recherchés

C'est Dante qui la tire du sommeil. Il semble stressé, sur ses gardes. Il s'excuse de la brusquer ainsi, mais le temps presse. La jeune femme ne parvient pas à savoir ce dont il parle, l'esprit encore dans le brouillard.

- Dépêches toi, Catanya, lui dit-il. Ils seront bientôt là.

- Quoi ? Mais qui ça « ils » ?

- Habilles-toi et rejoins-moi dans la cuisine. Vite !

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Ils arrivent !

Il ne prend pas le temps de lui expliquer d'avantage et file dans le couloir. Anya maugréait. Elle n'aime pas rester sans réponse.

Elle se tire pourtant du lit et enfile sa robe en vitesse. Elle prend son tablier et son manteau à la main. Au besoin, elle l'enfilera en route. Elle se glisse dans ses chaussures et files le rejoindre dans la cuisine.

Il tourne en rond, anxieux. Que s'est-il passé dans la nuit pour qu'il soit aussi agité ? Un petit torchon est posé sur la table, avec à l'intérieur une miche de pain tranchée et une pomme.

- Tu mangeras en route, précise-t-il. Nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps.

- La Brigade du Lynx nous a-t-elle retrouvés ?

- Oui, c'était à prévoir.

L'angoisse monte, et Anya prend peur. Si seulement elle ne s'était pas rendue aux écuries la veille… Peut-être ne serait-elle pas dans cette fâcheuse situation.

- Es-tu prête ? lui demande-t-il en nouant le torchon et ce qu'il contient pour l'emporter.

- Je… Je crois oui.

- Alors suis-moi.

Ils sortent par une issue dissimulée dans le garde-manger et débouchent dans une petite ruelle de l'autre côté des bâtiments.

L'après-midi s'achève doucement et Anya réalise que le sorcier l'a laissé dormir toute la journée. Et lui ? A-t-il fermé l'œil ? S'est-il au moins reposé un peu durant tout ce temps ? Elle lui jette un regard : il n'a pas l'air en manque de sommeil. La voilà rassurée. Mais l'inquiétude ne la quitte pas pour autant.

S'il la brusque ainsi, c'est que la Brigade du Lynx les a retrouvés. Son sort ne les a bernés que le temps d'une journée. Si peu, songe la jeune femme. Dans les rues, des avis de recherche ont été posés sur les murs çà et là. Leur description, succincte, y apparait. Et Anya panique un peu plus en s'y reconnaissant.

- Je ne suis pas une meurtrière, souffle-t-elle, déstabilisée par ces affiches qui la font passer pour une criminelle.

- N'y fais pas attention, lui murmure Dante, elles ne sont que mensonges. Ne te laisses pas aveuglée par le message qu'elles véhiculent.

Mais l'esprit d'Anya s'assombrit. Elle le suit sans s'en rendre compte, sans faire attention à l'endroit où il la mène. Elle se laisse guider sans réaction.

Le jeune homme s'en aperçoit et stoppe leur course aussitôt. Il saisit Anya par les épaules et la bouscule un peu. Elle met du temps à poser les yeux sur lui.

- Catanya, écoutes-moi. Ne fais pas attention à ce que pense la milice. Ce n'est que pour te déstabiliser d'avantage. Je sais que tu es innocente et les gens qui te connaissent doivent en être persuadés eux aussi. Aies foi en leur jugement, pas en celui de la Brigade du Lynx.

- Mais… Je n'ai tué personne… chuchote-t-elle, un peu ailleurs.

- Je sais Catanya, reprends-toi ! Il le faut. Allez ! Pour Gautier !

Une lueur anime alors le regard de la jeune femme et le sorcier pousse un soupir de soulagement.

- Excuses-moi, souffle-t-elle, je…

- Ne t'excuses-pas, coupe-t-il. Je comprends. Mais il faut que tu songes au fait que la vérité doit éclater. Et pour cela, il faut que nous puissions poursuivre l'enquête. Dans une cellule, il nous sera difficile de résoudre le meurtre de ton ami.

- Oui. Tu as raison.

Ils échangent un sourire, puis reprennent la route.

Dante la guide dans les ruelles de Félinin, ces ruelles qu'elle ne connait pas et dont elle ignorait presque jusqu'à l'existence. À se demander si elle connait vraiment la cité comme elle le pensait jusqu'à présent. Elle ne savait pas qu'il y avait de si petites rues dans la ville. Ces petites allées si étroites, où l'on ne peut pas se tenir côte à côté. Ces minuscules artères que le jeune homme semble connaître comme sa poche. Et elle lui fait toute confiance, suivant ses pas sans trop se poser de question.

Elle le suit de près, elle ne veut pas se perdre dans ce dédale de rues, au milieu des badauds. Elle a tout de même du mal à le suivre. Il marche beaucoup plus vite qu'elle. Avoir de grandes jambes est un avantage certain. Et au milieu des passants, il manque de la semer.

- Dante ! L'appelle-t-elle. Attends-moi, je t'en prie !

Il ne semble pas l'entendre, et ne ralentit pas.

- Dante, s'il te plait !

Cette fois, sa voix porte jusqu'à lui. Il se retourne, stoppant son pas effréné pour l'attendre. Elle le rejoint, déjà à bout de souffle.

Elle ne sait pas depuis combien de temps ils sont partis de la petite maison qu'il occupe. Depuis sa rencontre avec le sorcier dans les écuries du Comte de Richwel, elle a perdu la notion du temps. Tout s'enchaîne sans qu'elle n'arrive à savoir quand, ni comment, ni pourquoi. Tout se bouscule dans son esprit et la seule chose à laquelle elle parvient à se raccrocher est le moment présent, cette fuite qui ne semble plus vouloir finir.

Dante lui jette un regard un peu inquiet. Il ne repart pas tout de suite, lui laissant le temps de reprendre son souffle.

- Est-ce que ça va ? demande-t-il tout de même.

- Je… Juste le temps de mieux respirer, lui dit-elle.

Il observe les alentours tandis qu'elle calme sa respiration et les battements de son cœur. Elle le sent nerveux, anxieux à l'idée que la milice leur tombe dessus. Elle peut le comprendre. Elle doit être dans le même état que lui.

Le regard que les passants posent sur eux est plein de soupçon, et Anya n'aime pas ça. Elle n'a rien fait de mal, à part vouloir éviter la prison. Pourquoi la regardent-ils tous comme si elle était une dangereuse criminelle en fuite ?! C'est comme un poignard dans sa poitrine.

- On peut repartir, souffle-t-elle au sorcier.

Il saisit son poignet et l'entraîne aussitôt derrière lui. Elle ne proteste pas.

Elle sait qu'il ne lui veut aucun mal. Il l'aurait déjà livrée aux soldats depuis longtemps si c'était le cas. Il l'aurait égorgée dans son sommeil, ou serait parti sans la prévenir que la Brigade du Lynx arrivait s'il avait vraiment voulu lui nuire. Elle s'en veut presque de l'avoir si injustement accusé du meurtre de Gautier. Lui non plus n'y est pour rien, finalement. Il veut simplement aider, trouver la vérité sur ce qui s'est passé.

Comme dirait si bien Évelyn, la nuit porte conseil. Et Anya s'est levée ce matin avec la ferme intention de lui prêter main forte pour trouver le véritable coupable. Si elle est malgré elle entrainée dans cette histoire, autant qu'elle se rende utile.

Ils serpentent à travers la ville depuis un bout de temps. La jeune femme le sent à ses pieds douloureux et à ses jambes qui fatiguent. Elle a vu les abords du port, sentit les parfums annonçant la place du marché, aperçut au loin les colonnes aux lions de l'hôtel-de-ville. Ce lion qui la suit partout du regard, où que Dante et elle passent. Ne peut-il pas s'éveiller pour arrêter les soldats lancés à leur poursuite ?

À plusieurs reprises, ils manquent de tomber sur la milice et l'évitent de peu. La Brigade du Lynx se rapproche, elle est partout. Anya craint de les croiser, que les soldats les prennent en tenaille et qu'ils ne parviennent plus à leur échapper. Mais Dante semble connaître son affaire, et parvient à les semer à chaque fois, au détour d'une ruelle ou au milieu de la foule de badauds qui se pressent toujours dans le cœur de la cité.

Pourtant, à mesure que le temps file, la jeune femme a le sentiment que l'étau se resserre et que la milice ne tardera pas à leur mettre la main dessus. Ce n'est qu'une question de temps. Ils jouent au chat et à la souris. Et la souris, c'est Dante et elle. Rien de très rassurant en fin de compte…

L'Inspecteur Hotch est connu pour être fin stratège autant qu'un excellent limier. Il finira par organiser ses troupes pour les coincer. C'est certain. Anya en est persuadée. Il ne les laissera pas s'enfuir une seconde fois. Il ne peut pas se le permettre. Il doit à tout prix coincer l'assassin présumé, résoudre cette affaire. La jeune femme sentirait presque son regard inquisiteur sur eux, les suivant à travers la ville comme le regard de l'emblème de Félinin. Mais, comme pour la rassurer un peu, elle ne l'aperçoit nulle part.

De son côté, Dante s'agace de ne pas arriver à les semer d'avantage. Chaque fois qu'il pense y parvenir, les soldats se présentent devant eux dans la ruelle suivante. C'est infernal ! À croire qu'ils ne peuvent pas leur échapper et que leur capture ne saurait tarder. Seulement, le jeune homme ne peut pas se résoudre à cette finalité. Il a fait une promesse qu'il compte bien tenir.

Ces avis de recherches placardés un peu partout dans la ville ne font que rajouter à son agacement. À ses yeux, l'enquête a été bâclée, un suspect vite trouvé. Un bouc émissaire plutôt. Le véritable meurtrier n'aurait-il pas payé la Brigade du Lynx et son incorruptible Inspecteur ? Le sorcier n'y croit pas. Personne ne saurait corrompre la milice. Pas avec Frank Hotch à sa tête. C'est impossible. Tout bonnement impossible.

Alors pourquoi le jeune homme a-t-il cette sale impression que l'enquête a été déviée de son cours, que la piste a été remplacée par une autre, fausse. Frank Hotch a été induit en erreur, Dante ne voit que cela. Autrement, il ne chercherait pas à l'arrêter par tous les moyens en le pensant coupable. Il lui laisserait la présomption d'innocence. Du moins, il l'espère.

Il ne comprend pas ce déploiement d'hommes dans toute la ville pour tenter de l'arrêter. Ça ne ressemble pas aux méthodes habituelles de l'Inspecteur. Bien qu'il soit un excellent enquêteur, il n'est pas du genre à bâcler les choses ainsi, et encore moins à vouloir coincer le prétendu coupable avec force.

Dante cogite trop, il le sait. Et ça lui fait perdre un temps précieux. Cette fuite lui fait perdre un temps précieux ! Un temps qu'il pourrait mettre en œuvre pour résoudre cette enquête comme il se doit. Il lâche un juron, qu'Anya n'entend pas. Une étincelle est passée dans ses yeux :

- Je sais où ils n'auront pas l'idée de venir nous chercher ! clame-t-il presque victorieux.

Dante referme alors sa prise sur le poignet de la jeune femme et l'entraîne à sa suite sans lui laisser le temps de comprendre ce qu'il a voulu dire.

© Lynn RÉNIER