La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 34 : Le Bois Interdit

Le garde-chasse éloigné, Dante saisit de nouveau le poignet d'Anya pour qu'elle le suive. La lisière du bois est délimitée par un muret de pierres, en partie couvert de mousses quand il n'est pas effondré par endroit. Surmonté de hautes palissades de bois, il est assez aisé de comprendre qu'il ne faut pas franchir ce mur pour pénétrer dans le bois. Même si une ouverture, comme une porte invisible, laisse passer le chemin terreux.

Mais Dante ne s'en formalise pas et se glisse entre les pierres et les planches hautes comme les arbres, Anya sur ses traces. Seulement, après quelques mètres parcourus entre les buissons, son assurance s'est envolée et il se met à douter d'avoir pris la bonne décision.

Le bois est sombre et le moindre bruit devient suspect. Il tressaute presque au moindre son qu'il ne parvient pas à reconnaitre comme provenant de la nature. Il a le sentiment que tous les habitants du bois les ont entendu entrer sur leur territoire, et qu'ils les surveillent. Comme si des milliers d'yeux suivent le moindre de leur pas, le moindre de leur mouvement.

Il a un frisson et finit par lâcher le poignet de la jeune femme qui ne cesse le suivre pour autant. Elle n'est pas plus rassurée que lui. Mais il ne veut lui avouer que la peur le gagne peu à peu. Pourtant, son doute lui échappe :

- Le garde-chasse avait raison…, souffle-t-il. Ça fait si longtemps… Peut-être ne me reconnaitra-t-elle pas…

- Qu'est-ce que tu racontes ? demande Anya, inquiète.

- Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure idée de ma vie.

- Pas la meilleure idée de ta vie ? Ah bon ? Et pourquoi ça ? De toute façon, vu la situation, tu n'es peut-être plus à une bêtise près, ironise-t-elle.

- Je n'ai rien fait de mal !

- Je me fiche bien de savoir si c'est toi qui a tué Gautier ou pas ! Tu m'as entraîné dans tout ça, alors que je n'avais rien demandé ! Tu es fautif malgré tout !

- Ah! Ne recommences pas avec ça ! Je n'y suis pour rien, je ne t'ai pas demandé de me suivre !

- Quoi ?! C'est toi qui m'as obligé à prendre la fuite avec toi ! Maintenant, tout le monde croit que je suis ta complice !

- Mais puisque je te dis que ce n'est pas moi qui ai assassiné ton ami !

- Je m'en fiche ! Et puis, qu'est-ce que tu faisais sur les lieux du crime dans ce cas, si tu n'as vraiment rien à te reprocher ?

- Bon sang, je te l'ai déjà expliqué milles fois !

- Oui, je sais. Mais tu ne m'as pas convaincu pour autant…

La peur la fait douter de nouveau, elle s'en rend compte et se reprend aussitôt :

- Enfin, nous reparlerons de tout ça plus tard… Dis-moi seulement pourquoi crains-tu de pénétrer dans le bois ?

- Simplement parce que rares sont ceux qui en sont ressortis en vie, lui explique Dante.

- Comment ça ?

Il reste silencieux et elle entreprend de ne pas laisser le silence s'installer :

- Je sais que ce bois est hanté. Mais je ne comprends pas pourquoi. Il n'a rien de vraiment dangereux…

Le regard qu'il lui jette vaut tous les discours :

- Au prime abord en tout cas, ajoute-t-elle embarrassée.

- Tu ignores seulement ce qui rôde dans ces bois…

- Alors expliques-moi !

- Tu le découvriras bien assez tôt.

- Ta réponse ne me convient pas.

- Oh, mais je me doute bien, plaisante-t-il.

- Alors, dis-moi ce qui vit dans ces bois pour autant inquiéter les hommes.

- Ne me fais pas croire que tu l'ignore, tout le monde le sait.

- Bien-sûr que je le sais ! Je veux te l'entendre dire, c'est tout !

- Tu verras bien, grogne Dante sans toutefois apporter de réponse à la question de la jeune femme aux cheveux clairs.

- Vas-tu me répondre à la fin ?! maugréait-elle alors. Je ne supporte pas tous ces mystères…

- Je n'ai pas à te répondre, tu connais déjà la réponse à ta question. Pas besoin de te renseigner sur ce que tu sais déjà parfaitement !

Anya soupire, exaspérée. Il est difficile d'avoir une conversation avec le jeune homme sans que le ton ne monte. Certes, elle lui en veut pour l'avoir entraînée là-dedans malgré elle. Mais qu'il ne réponde pas quand elle le questionne sérieusement l'agace au plus haut point. Elle n'est pas prête à le laisser s'en tirer ainsi. Elle veut des réponses, et elle les obtiendra. Elle est obstinée. Mais lui aussi, et elle l'a bien compris. Ils ont un fort caractère, l'un comme l'autre. Ce n'est pas gagné pour enterrer la hache de guerre de sitôt…

- Bon, lâche-t-elle pour couper court à cet échange grondant, que fait-on maintenant ?

- Nous n'avons pas vraiment le choix… Il nous faut entrer dans le bois, avant qu'ils ne nous rattrapent.

- Pour une fois, je suis de ton avis.

Il lui jette un regard étrange, qu'elle ne sait pas déchiffrer. Puis, il fait un pas vers l'orée du bois, décidé. Il y pénètre et Anya finit par lui emboiter le pas.

Elle ne veut pas que la milice puisse l'attraper. Elle s'est jointe à la fuite de Dante malgré elle. Elle est donc devenue complice du meurtre de Gautier aux yeux des miliciens. Elle n'a plus de retour en arrière possible. Jamais on ne la croira si elle disait la vérité…

Le jeune homme s'enfonce un peu plus dans l'épaisse végétation du bois et Anya le suit sans vraiment savoir si elle fait bien. Elle craint de se perdre et ne le quitte pas d'une semelle. Il semble savoir où il va, alors pourquoi ne pas lui faire confiance. Après tout, Dante a su les tirer d'affaire jusqu'à présent. Il est dans le même pétrin qu'elle. De fait, elle n'a pas d'inquiétude à avoir. Du moins, le croit-elle sincèrement.

Mais elle ne peut cacher que de s'enfoncer de plus en plus dans le bois la rend profondément anxieuse. Elle ignore ce qui rôde là, bien qu'elle en ait entendu parler nombres de fois. Et les histoires que les chasseurs et les paysans racontent ont de quoi donner des frissons, si ce n'est faire froid dans le dos…

Dante ralentit soudain le pas, et Anya manque de lui rentrer dedans. Trop préoccupée par tous ces bruits environnants, elle n'a pas vu qu'il s'est figé.

- Pourquoi t'es-tu arrêté ? demande-t-elle, presque en murmurant, comme si le bois tout entier l'écoutait.

- Chut !

- Mais…

Il l'interrompt aussitôt, lui intimant le silence. Il scrute les alentours, un air grave sur le visage. Ce qui ne fait rien pour la rassurer.

- Qu'est-ce qui se passe ? ose-t-elle à mi-voix.

- Nous ne sommes pas seuls…

- Sans blague, ironise-t-elle. Le bois est plein de bestioles, ça me paraît évident que nous ne soyons pas seuls…

- Quelque chose nous traque, Catanya.

Elle écarquille les yeux, stupéfaite. Elle ne s'attendait pas à une telle réponse. Et la peur l'envahie alors. Elle jette des regards inquiets alentours, mais ne voit rien. Quelle est cette créature qui les a pris en chasse à peine l'orée du bois franchi ? Son imagination commence bientôt à jouer avec ses nerfs, et son estomac se noue sous la peur de voir apparaître un monstre sorti des pires histoires.

Dos à Dante, Anya scrute les buissons, semblant y percevoir une ombre. Mais l'imagine-t-elle sans doute. Le jeune homme, lui, est tendu, sur ses gardes, presque sur la défensive. Il y a bien quelque chose dans les environs qui les surveille, ou les traque. Elle ne sait plus vraiment ce qu'elle doit penser, ou croire. Cependant, elle ne rêve peut-être pas cette ombre qui file dans la végétation et leur tourne autour comme un fauve autour de sa proie.

Ce qu'elle croit voir n'est pour elle qu'illusion. Ce n'est que le vent qui lui joue des tours dans les buissons, se dit-elle, faisant bouger les feuilles et les branches. Elle ne se rend compte que c'est bien réel que lorsque l'ombre jaillit des fourrés devant eux, laissant à peine le temps à Dante de se placer entre la jeune femme et la créature…

© Lynn RÉNIER