La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 37 : Passé Commun

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Ils se connaissent déjà. Du moins, se sont-ils déjà croisés. Anya le voit bien. À leur façon d'échanger, de discuter tous les deux. À ces souvenirs communs qu'ils partagent, à ces conversations qu'ils disent avoir eu la fois passée. À ces choses que l'un sait sur l'autre.

Elle a bien du mal à comprendre comment ils se sont connus, et dans quelles circonstances. Ça ne peut pas être pendant l'attaque dont la femme-louve a parlé, et qui l'a privé des siens. Dante n'est pas assez vieux pour avoir connu pareil carnage. Et ce n'est pas assez récent pour que les féliniens puissent s'en souvenir. Elle aurait eu vent d'une histoire comme celle-là.

Quoi qu'il en soit, ils se sont déjà croisés, c'est indéniable. De quoi le magicien a-t-il été accusé dans le passé pour venir demander de l'aide à Laïn. Elle a bien dit que le Dieu Félin le connait déjà. C'est donc qu'il est déjà venu ici.

- Comment vous êtes-vous connus ? ose-t-elle.

Dante et la femme-louve échange un regard.

- C'était il y a un an ou deux peut-être, commence-t-il. J'avais été envoyé par l'Assemblée pour recenser les derniers Veilleurs existant dans le Bois Interdit. Je n'y ai croisé que Laïn pour me répondre, et je n'ai trouvé qu'un bout de bois qui survie tant bien que mal. Tous les autres Veilleurs avaient déjà disparu depuis longtemps.

- Ce n'était donc pas pour trouver refuge comme maintenant ? s'étonne Anya.

- Je ne suis pas en cavale chaque fois que je mets les pieds à Félinin !

- Ne te vexe pas. Je pensais que…

- Peu sont au courant que les Hauts-Mages existent encore, mais nous ne sommes pas des criminels en puissance pour autant.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit.

- Alors qu'est-ce que tu voulais dire ?

- Je pensais seulement que tu avais déjà dû venir trouver refuge ici pour savoir que tu pourrais à nouveau demander asile auprès de Laïn cette fois-ci.

Dante ne répond pas. Le résonnement d'Anya n'est pas totalement faux, après tout. Ça aurait pu être ce qui s'est passé.

- Non, je ne suis pas venu trouver refuge la fois précédente. Juste me rendre compte que le Bois Interdit est en train de disparaître si on ne fait rien.

- Le bois est perdu depuis longtemps, Dante. Les anciens Dieux disparaissent, comme les fées auxquelles on ne croit plus.

- On dit que si on clame à voix haute que l'on ne croit pas aux fées, l'une d'elles meurt, explique le jeune homme à Anya dont le regard s'est fait curieux devant les paroles de Laïn.

- Et que se passe-t-il lorsque l'on se met à y croire ? Parce que c'est un peu mon cas. En deux jours, j'ai découvert que la magie existe et que les Dieux aussi, alors…

- C'est le premier rire d'un enfant venant de naître qui donne naissance à une fée, sourit la femme-louve en retournant à la préparation d'une théière pour les deux jeunes gens.

- Alors tu as connu Laïn en venant la trouver, conclue Anya.

- Oui. Et je ne pensais pas qu'elle accepterait de me parler après ce qui lui est arrivé. Mais elle a daigné m'ouvrir sa porte. Enfin, sa Tanière, serait plus exacte, sourit-il. Et elle a accepté de me raconter tout ce dont elle se souvient. Sur la forêt jadis, les anciens Veilleurs disparus, le Lion de Félinin.

- Le Lion de Félinin ? Qu'est-ce que ça a à voir avec le symbole de la ville ?

- C'est aux premiers Veilleurs de la forêt que la ville doit son emblème et son nom.

- Vraiment ? Comme dans le livre que m'a prêté Évy, réalise-t-elle.

- À l'origine, lui explique Dante, la ville est née d'un petit village de pêcheurs et de marchands itinérants. Je crois qu'à l'époque, il n'avait pas vraiment de nom. Les hommes se sont peu à peu installés, plus nombreux. Ce qui a poussé les Veilleurs du peuple-félin à se faire connaître. Ils ont été les premiers protecteurs de la forêt dans la région. Le meneur était un homme-lion sage et grand combattant : Hiamovi. Ce bout de forêt lui doit son nom. Avant qu'il ne devienne le Bois Interdit.

"Hiamovi était un chef réfléchi. Il avait lié amitié avec les hommes qui étaient venus s'installés sur ce territoire. La paix dura des siècles, sans que jamais l'un des deux peuples ne veuille du mal à l'autre. Le Seigneur Lion a enseigné bien des choses aux hommes, leur montra comment tirer profit de la terre sans l'épuiser, comment échanger ses biens avec le voisin. Et il leur donna le goût de la découverte.

"Mais comme partout, comme souvent, un homme voulait bien plus que de l'amitié et du troc. Il voulait le pouvoir, le contrôle, l'argent. Il a alors compris que pour pouvoir s'accaparer ce bout de terre et s'en proclamer propriétaire, il devait en chasser les Veilleurs. Il monta une armée et massacra le clan d'hommes-félins sans aucune pitié, faisant assassiner Hiamovi pour que la résistance prenne rapidement fin. Son but atteint, il s'autoproclama seigneur et maître du territoire conquis et fit détruire la forêt pour y construire une ville, qu'il étendit au bord de la Baie des Oies. Il nomma sa ville Félinin, un renvoie évident au peuple-félin qui vivait là avant. Ironique n'est-ce-pas…

"Enfin, tout ça, c'était sans compter sur les Hauts-Mages qui prirent le parti des Veilleurs. Le despote autoproclamé fut déchu de son trône par la magie. Et les derniers protecteurs purent regagner leur forêt.

- Mais ils étaient si peu… Et quelle forêt leur a-t-on laissé ? reprend Laïn en leur apportant une tasse de thé chaud et parfumé. Un bosquet d'arbres coincé entre les montagnes et la mer, délimité par les routes commerciales et la ville portuaire qui était née. N'est-ce pas malheureux ?...

Elle s'assoit à leur côté, son regard se faisant si triste, si mélancolique, plongeant dans un passé qu'elle aurait sans doute préféré oublier…


© Lynn RÉNIER
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