La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 41 : Statuette de Bois

Au fond de la caverne, à l'abri des regards, un petit autel se fond dans la roche. Il n'y a que les bougies en partie consumées et une sculpture en bois pour trahir sa présence. Parfois, une offrande vient s'y poser. Mais ce soir, la femme-louve n'y allume qu'un peu d'encens. Elle reste un moment, assise à genoux devant l'autel, son regard perdu dans la fumée parfumée. Dans ses mains, la petite statuette de bois que ses doigts caressent inconsciemment est celle d'un loup dressé sur ses quatre pattes dans une attitude fière, hurlant à la lune.

Rêveuse, plongée dans ses penses, Laïn n'entend pas Anya s'approcher. Pourtant, elle ne sursaute pas quand cette dernière pose une main sur son épaule.

- Je ne suis pas aussi bonne sculpteuse que lui, murmure-t-elle. J'aurais aimé pouvoir les représenter mais c'est un talent que je n'ai pas…

La jeune femme n'ose prononcer le moindre mot, restant silencieuse, respectant le rituel de son amie.

- Il l'avait fait pour notre fille, continue la femme-louve en désignant le petit objet. Pour qu'elle n'oublie pas d'être toujours fière de ce qu'elle est.

Elle pose la petite statuette et tourne le regard vers Anya.

- Si seulement il était encore là… Je suis certaine qu'il t'aurait beaucoup apprécié.

Anya lui sourit :

- J'en suis certaine aussi.

- Il n'est pas bon de regarder toujours vers le passé, je le sais. Mais je ne peux pas nier qu'il me manque. Mon rôle de Veilleuse touche à sa fin. À trop me mêler aux humains, je perds peu à peu ma magie moi aussi. Il me faudrait rester ici, défendre le bois… Seulement je n'en ai plus la force. J'ai le sentiment d'être abandonnée. Que même les Dieux nous ont oubliés…

- Ne dis pas cela, Évy. Tout n'est pas perdu.

- J'aimerai avoir autant d'optimisme.

- Les Dieux ne peuvent pas avoir oublié ceux qui se sont battus pour eux.

Laïn reste silencieuse.

- Je suis certaine que ton compagnon serait d'accord avec moi, sourit Anya en regardant le loup de bois.

La femme-louve esquisse un rictus. Sans lui laisser le temps de replonger dans ses souvenirs, la jeune femme glisse son bras dans celui de son amie pour l'entraîner avec elle.

- Allez, viens. Tu as deux enfants affamés à nourrir, plaisante-t-elle. C'est que nous avons besoin de forces pour notre enquête.

- Il me faut aller chasser…

- Ne t'inquiètes pas, j'ai chargé Dante de s'en occuper. Nous pourrons préparer un peu de soupe ou du riz en attendant.

Laïn se laisse entraîner, finalement sans regret. Anya est une vraie bouffée d'air frais. La femme-louve sait pourquoi se rendre chez les D'Avila est si plaisant en fin de compte. Cependant ce n'est pas la seule raison qui l'a poussé à sortir du bois.

Même si rien ne transparaît encore vraiment aux yeux de tous, elle sent bien que quelque chose se prépare depuis ces dernières années. Elle ne peut l'avouer à Anya, mais sa présence au Domaine des Arflors n'est pas anodine. Certes c'est aussi une façon de se fondre au milieu des hommes. Mais pas uniquement…

Sur ses raisons, Laïn ne peut rien en dire. Du moins, tant qu'elle n'est pas certaine que son instinct a vu juste. Anya ne comprendrait pas. Après, plus rien n'a d'importance, elle sait qu'elle ne sera plus là pour le voir…

Son visage sans âge ne trahit pas les années. Mais son corps lui, bien qu'il semble figé dans le temps et ne pas vieillir, lui rappelle qu'elle a déjà trop vécu. Les douleurs se font sentir, plus vives, plus souvent. Sa mémoire aussi, habitée de ces images d'un temps passé qu'elle préfèrerait oublier.

Elle vit au présent sans vraiment avoir de but. Que les Dieux la pardonnent pour cette pensée. Laïn n'a plus foi en l'avenir et elle est si fatiguée. Elle se dit qu'elle aurait aimé connaître Anya bien plus tôt. Sans doute aurait-elle eu envie de rester un peu plus longtemps sur cette terre.

Car en dehors de Kylian qu'elle affectionne, jamais Laïn n'aurait imaginé tant tenir à un être humain. Pourtant cette jeune femme aux yeux de chat lui est très attachante. Alors, ces moments avec Anya, aussi court soient-ils, elle tient à les savourer.

© Lynn RÉNIER