La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 42 : Mandragore et Salamandre
Lynn Rénier
Le dîner consommé, ils s'installent au milieu des coussins. La femme-louve a allumé le foyer et la chaleur qui emplie doucement la grotte est bienvenue. Avec la nuit, la fraicheur s'installe rapidement dans le bois jusque dans la tanière de Laïn et les deux jeunes gens n'y sont pas habitués. Les couvertures que leur a installées leur hôtesse ne sont pas de trop.
- Il faut que nous retournions en ville, fait remarquer Dante alors qu'ils discutent autour de l'âtre. En restant ici, mon enquête n'avancera pas. Et l'Assemblée attend mes conclusions.
- Ce serait prendre un risque que de retourner à Félinin, tu ne crois pas ?
- Si, bien-sûr, Catanya. Mais, je n'ai pas le choix. Il y a de la sorcellerie derrière tout ça, j'en suis certain. Et je ne peux pas laisser les choses ainsi. On m'a confié cette mission. Je dois la mener à bien.
- Je comprends. Seulement, la milice te cherche. Ce ne serait pas très judicieux de se montrer.
- Elle n'a pas tort, Dante, souligne Laïn.
Le jeune homme se renfrogne. Il sait qu'elles ont raison. Mais comment résoudre l'affaire s'il est coincé dans le bois ? Il ne voit que cette solution. Et ça ne l'enchante pas. Anya s'en rend compte et revient vers lui.
- Je comprends très bien que ce soit important de résoudre cette histoire. Et je le souhaite autant que toi. Pour Gautier. Mais prendre des risques n'avancera à rien. Bien au contraire.
Il pose sur elle un regard un peu perdu.
- À moins que tu n'aies un tour de magie dans ta manche qui pourrait nous être utile, reprend-t-elle avec malice.
- Mais, bien-sûr ! S'exclame-t-il, une étincelle dans les yeux. Pourquoi n'y-ai-je pas pensé ?! Laïn, as-tu toujours le grimoire que je t'ai laissé l'autre fois ?
- Il n'a pas bougé, sourit la femme-louve tandis qu'elle se rend à l'entrée de la grotte.
Dante se lève sans tarder pour revenir avec le fameux manuscrit. Un vieux livre à la couverture de cuir et aux pages jaunies, qui semble avoir bien vécu et dont l'épaisseur a de quoi impressionner. Sous les doigts du magicien, les pages sont comme du parchemin très fin. Il les tourne avec précaution, ne parcourant que les titres des yeux.
- Il doit bien y avoir, quelque part dans ces pages, un sort qui pourrait nous aider.
- Il n'y a pas de problème, que des solutions, souligne Anya. Pourquoi, n'y as-tu pas songé dès le début, grand magicien que tu es ?
- Je ne sais pas. Avec tout ce qui me trotte dans la tête en ce moment, ça ne m'est même pas venu à l'esprit. Ça aurait dû pourtant. En tout cas, merci, lui sourit-il. Je crois que nous formons un brillant duo. Peut-être qu'après toute cette histoire, je pourrais t'apprendre quelques tours, comme tu dis. Enfin, si tu as toujours envie que quelqu'un t'enseigne la magie.
- Je croyais que les femmes ne pouvaient pas apprendre.
- L'Assemblée n'en saura rien. Ils n'ont pas à savoir. Et tu as l'air bien disposée pour qu'on t'enseigne les rudiments. Tu penses comme un magicien. Enfin, comme une magicienne devrait-je dire, la complimente-t-il d'un clin d'œil avant de retourner à sa lecture du manuscrit.
La jeune femme se sent rougir et est presque soulagée qu'il ne s'en aperçoive pas.
Le laissant à sa lecture, elle s'empare d'une couverture avant d'aller rejoindre son amie au dehors. Laïn a pris forme animale et guète les bruits nocturnes. Cette fois, sa taille est bien plus commune et elle ressemble presque à un grand chien.
Anya l'observe, sans un mot. Elle aimerait tellement glisser ses doigts dans le pelage sombre de la louve. Elle sait pourtant que ce n'est pas à faire. Que ce n'est pas comme avec Fidèle, qui aime les caresses derrière les oreilles et qu'on lui gratte le ventre. Sous cette apparence, Laïn est un animal sauvage qu'on ne touche pas sans y être autorisé.
S'emmitouflant dans le plaid, la jeune femme s'assoit à ses côtés. Le hululement d'un hibou résonne tout près, les buissons bruissent sous le vent du soir. Parfois, Anya a l'impression que dans l'ombre, un monstre rôde, s'apprêtant à jaillir en rugissant. Cette obscurité l'impressionne. Avec ses lampadaires, Félinin est baignée de lumière toute la nuit. Alors, là, dans la pénombre la plus profonde, Anya a le sentiment que les ombres sont mouvantes et que tout bouge.
Elle jette un œil à la louve. Sereine, cette dernière pose ses yeux ambrés sur l'horizon, semblant voir à travers l'épaisseur de la végétation environnante. Si elle n'est pas inquiète, Anya n'a aucune raison de l'être. Si la pénombre abritait un quelconque danger, son amie le sentirait. La jeune femme se détend, et se laisse alors aller à fermer les yeux.
Doucement, Laïn s'approche et se glisse contre Anya. Se couchant autour de son amie, la louve ne quitte pas l'horizon des yeux. Inconsciemment, somnolant, la jeune femme se muche dans le pelage sombre de la Veilleuse. Cette dernière pose ses yeux d'ambre sur elle, et elle aurait presque un sourire amusé sur le museau.
- Dors, petit chat. Vous allez avoir besoin de toutes vos forces ces prochains jours, lui dit-elle.
***
Quand Anya se réveille le lendemain, c'est à cause des premiers rayons de soleil. La lumière du jour l'a toujours tiré du sommeil. Elle constate que Dante n'a pas fermé l'œil de la nuit et est toujours plongé dans le manuscrit. Emmitouflée dans les couvertures, elle ne se souvient pas s'être couchée. Laïn n'est pas là et un délicieux petit déjeuner l'attend. L'odeur du chocolat chaud réveille son estomac.
Ajustant le plaid sur ses épaules, elle prend le temps de siroter sa tasse. L'humidité de la nuit est venue s'installer jusque dans la tanière et Anya n'est pas vraiment décidée à sortir de la chaleur du lit. Inconsciemment, elle observe Dante en pleine lecture. Son regard n'arrive pas à se détacher de lui.
Elle scrute le moindre détail de son visage. Ses yeux de félin aux étranges reflets violets, ses sourcils fins comme dessinés d'un trait de charbon, ses pommettes hautes, son nez aquilin, ses lèvres fines, son menton altier. La jeune femme ne peut s'empêcher de le trouver charmant, en fin de compte. Il est vrai que sa première impression n'était pas très flatteuse. Elle l'avoue. Elle le voyait comme un monstre, un meurtrier. Mais elle a appris à connaître le sorcier et désormais, elle le voit tout autrement. Il n'a rien de l'abominable criminel qu'elle s'était imaginé.
Le jeune homme perçoit sans doute son regard observateur et tourne le sien vers elle. Anya feint l'innocence et joue la rêveuse. Par chance, ses pommettes ne s'empourprent pas et Dante ne se rend compte de rien.
- Laïn n'est pas là ? demande-t-elle pour détourner l'attention.
- Sorti, répond-t-il simplement, accaparé par ses recherches.
Elle comprend que l'absence de son amie au Domaine des Arflors risquerait d'être remarquée si Laïn restait à leurs côtés dans le bois. Et elle n'aurait pas posé la question si leur regard ne s'était pas croisé. C'était simplement pour qu'il ne se rende pas compte qu'elle le regardait avec attention. Cela fait trois ou quatre jours qu'ils sont là et que la Veilleuse les abandonne durant la journée pour rejoindre la demeure des D'Avila afin d'assurer son rôle de lavandière. C'est une façon, aussi, de se tenir informé de ce qui peut se passer à Félinin et des avancées de l'enquête du côté de l'Inspecteur Hotch.
Un soupir lui échappe et elle se décide à se lever. Un bain lui ferait le plus grand bien. Elle sait que le Lac du Serpent n'est pas loin, mais elle ne se risque pas à y aller seule. La petite bassine au fond de la grotte lui convient. La Veilleuse a aménagé un renfoncement dans la roche en petite salle d'eau. Un paravent offre assez d'intimité pour qu'Anya ne se sente pas gênée de s'y dévêtir tandis que Dante se trouve non loin.
L'eau est froide mais revigorante. Ça réveille. La jeune femme regrette tout de même ses douches chaudes au Domaine des Arflors. Le système de vapeur dans le sous-sol de la maison est une petite merveille et apporte un confort dont Anya a du mal à se passer. Elle espère que cette situation ne durera pas. Elle ne saurait vivre comme Laïn dans cette grotte plus longtemps.
Tandis qu'elle se sèche, se frictionnant pour chasser la chair de poule qui couvre sa peau, Dante laisse échapper une exclamation de joie. Aurait-il trouvé quelque chose d'intéressant dans son grimoire ? Elle enfile les vêtements que son amie lui a ramenés du Domaine des Arflors et sort de derrière le rideau pour lui adresser un regard interrogateur.
- Cat ! l'appelle-t-il, un enthousiasme évident dans la voix. Viens voir !
Anya retient son souffle une seconde. Voilà qu'il ne l'appelle plus par son prénom complet. Ça la touche. Elle ne peut le nier, elle se sent toute chose qu'il l'appelle ainsi. Il est bien le seul d'ailleurs. Même ses parents utilisent la fin de son long prénom pour la nommer. Elle se sentirait presque rougir. Pourtant, elle n'en montre rien et dissimule son émotion sous un regard curieux.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Viens voir ça. J'ai trouvé ce qu'il nous faut, reprend-t-il enthousiaste.
- J'arrive, lui sourit-elle.
Elle vient s'asseoir à ses côtés et il lui désigne un paragraphe du doigt. Curieusement, elle parvient à lire cette langue qu'elle ne connaît pas. Et comprend qu'il s'agit d'un sort de morphose.
- Si je comprends bien, ça modifie notre apparence aux yeux des autres ?
- Oui, c'est un peu l'idée. Disons que pour les personnes qui nous cherchent ou qui nous connaissent, nous n'aurons pas le même visage. Nous passerons inaperçus.
- Plutôt pratique. Crois-tu que ça va fonctionner ?
- Il suffit d'essayer pour le savoir.
- Et de quelle façon ?
- En le testant.
- Maintenant ?
- Oui. Laïn nous dira si ça fonctionne.
- Pourquoi ne pas le tester sur l'un de nous deux, que l'autre juge si cela fonctionne ou pas ?
- Vu le sort, je préfère le réaliser sur nous deux en une seule fois. Ce n'est pas le genre de formule qu'on utilise à tout va et que l'on peut réciter plusieurs fois.
- Ne nous reste plus qu'à attendre son retour, dans ce cas.
***
Il ne leur faut pas patienter longtemps. La Veilleuse revient en fin de matinée, leur apportant de quoi se rassasier par la même occasion. Ils ne lui laissent même pas le temps de s'installer, les voilà déjà en train de lui expliquer leur idée. Laïn les écoute, dubitative.
- Je ne serais pas bon juge, précise-t-elle. Les sorts de dissimulation et de morphose ne fonctionnent pas avec les Veilleurs.
- Vraiment ? s'intéresse Anya.
- Nous avons la faculté de voir les choses telles qu'elles sont vraiment.
- Y-a-t-il quelque chose contre laquelle les Veilleurs ne sont pas immunisés ?
- En ce qui concerne la magie, rien ou presque. Nous sommes nés de la magie, Dante.
- Ah ! C'est bien ma veine, soupire le magicien.
- Comment vérifier que le sort fonctionne, dans ce cas ?
- J'ai peut-être une solution, sourit Laïn.
- Laquelle ? s'enquièrent les deux jeunes gens.
- Kylian connaît vos visages et il n'est pas immunisé face aux sorts de morphose étant donné qu'il est humain. Il pourrait peut-être vous aider. J'ai confiance en lui, il a su garder mon secret, il saura garder le vôtre.
Dante et Anya échangent un regard.
- Pourquoi pas, finit par lâcher le jeune homme. Ainsi, nous serons sûrs que le sortilège fonctionne.
- Tu n'es pas certain que ça marche ?
- C'est un vieux livre de sortilèges. Je ne doute pas de la procédure à suivre, je doute plutôt de mes capacités à le réaliser parfaitement.
- Bon, eh bien comment comptes-tu faire cela ?
- Il suffit de suivre la formule à la lettre et de respecter la recette.
- La recette ?
- Je dois réaliser une potion.
Anya lui jette un regard suspicieux.
- Rien de dangereux, rit Dante, rassure toi. Le mélange des ingrédients permettra au sort de prendre forme et de se fixer. Si le sort ne se fixe pas, il ne tiendra pas longtemps.
- D'accord. Et que nous faut-il pour cette potion ?
Le jeune homme reporte son attention sur le grimoire et suit les lignes du doigt.
- Racines de mandragore, fleurs de sureau, écailles de salamandre, poudre d'agrion, crins de manticore, lait de lièvre cornu et pépins de raisins, énumère-t-il.
- On croirait presque une recette de gâteau, ironise la jeune femme.
- Je dois bien avoir quelques-uns de ces ingrédients ici, leur apprend Laïn en fouillant dans ses fioles et autres petits pots. Ah, voilà ! Poudre d'agrion et lait de lièvre cornu.
- Au moins, nous n'aurons pas à courir après le lièvre.
- Ils sont difficiles à attraper et aussi très rares, précise la Veilleuse. Le dernier que j'ai pu croisé dans le bois n'est plus depuis trois hivers. Une chance que j'ai encore une fiole de lait. En espérant qu'il y en ait assez pour ta potion. Pour le reste, la forêt nous apportera ce qu'il vous manque. Mais j'ai bien peur qu'il soit compliqué de trouver du crin de manticore. Il n'y en a plus dans les environs depuis longtemps.
- Sans ça, la potion ne sera pas tout à fait la même.
- Ne peut-on pas remplacer un ingrédient par un autre, qu'on aurait plus de facilité à trouver par ici ? suggère Anya.
- Je ne sais pas si c'est très recommandé. Ca risquerait de ne pas voir l'effet escompté, si ce n'est un tout autre effet.
- Ne vous inquiétez pas, nous trouverons bien ce qu'il nous faut, les rassure Laïn.
- J'espère, souligne Dante, songeur.
La femme-louve revient vers lui, lui tendant les pots d'ingrédients.
- Crois-tu qu'il y en ait assez ?
- Oui, c'est parfait. Merci, Laïn. Allons cueillir le reste. Tu sais sans doute où trouver les derniers ingrédients.
- En effet. Mais terminez d'abord de déjeuner, nous irons chercher ce qu'il vous manque tout à l'heure. Les salamandres ne vont pas s'enfuir et les fleurs de sureau non plus.
Anya esquisse un sourire.
- Pas faux, reconnait Dante.
Tandis qu'ils terminent leur repas, la femme-louve prépare une besace dans laquelle elle glisse une serpe, de petits bocaux et un linge. Le magicien y ajoute les deux pots d'ingrédients qu'elle a trouvés dans ses fioles : le lait de lièvre cornu et la poudre d'agrion. Patiemment, il copie la formule sur un morceau de parchemin qu'il roule dans la besace et note les éléments manquants sous forme de liste. Ne leur reste plus qu'à aller les chercher. Ainsi, leur estomac repu et leur manteau sur les épaules, ils suivent la Veilleuse à travers bois à la recherche des derniers ingrédients.
La mandragore n'est pas difficile à trouver pour celui qui sait reconnaître ses feuilles, ses petites fleurs violacées, et ses fruits ronds et jaune. Anya est fascinée par cette racine à la silhouette étrangement semblable à celle d'un nourrisson potelé.
- Je croyais qu'elles hurlaient quand on les sortait de terre.
Dante ne peut s'empêcher de rire.
- Oh, non, ce n'est qu'une légende. La plante a des racines anthropomorphes, certes, mais c'est tout. Ce n'est qu'une plante que nous autres jeteurs de sorts apprécions beaucoup pour ses propriétés diverses.
- Dommage, me voilà un peu déçue, plaisante la jeune femme.
Les racines convoitées dans la besace, la femme-louve les mène ensuite au Lac du Serpent, suivant le lit du fleuve. L'eau est d'une incroyable clarté. On devine sans mal les poissons qui y nagent, leurs écailles reflétant les rayons du soleil. Le petit lac est long et étroit, ce qui lui vaut sans doute son nom. Ses berges en pentes douces permettent aux animaux d'y accéder sans danger. Les crêtes des Montagnes du Grincheux toutes proches apportent la fraicheur des sommets et gardent l'humidité. C'est là que Laïn sait où débusquer les salamandres.
Ces amphibiens aux allures de lézard sont discrets. Dans le Bois de Hiamovi, ils aiment à se cacher dans les endroits humides, frais et mousseux. Les alentours du lac où gisent de nombreux amoncellement de blocs de pierre et de bois mort sont un milieu idéal où ils aiment se reposer, ne sortant que rarement la journée et restant bien cachés. La Veilleuse sait qu'elle peut les y débusquer. Peu agiles et peu rapides, les salamandres sont faciles à observer. Mais elles sont à attraper avec prudence : leur corps huileux sécrète un mucus provoquant de légère brûlure jusqu'à des troubles respiratoires aux personnes les plus sensibles. Le linge est là pour les saisir sans souffrir de ces démangeaisons, ou du moins les prévenir.
En retournant un rocher plat couvert de mousse, Laïn réveille l'une de ces créatures. Sa peau noir tachée d'orange la rend très visible sur le sol humide. Surprise d'être ainsi découverte, elle émet un grognement qui étonne Anya. L'amphibien ne s'enfuit pas, observant ceux qui osent le déranger de ses yeux ronds et noirs, la bouche grande ouverte comme pour dissuader tout agresseur d'approcher la main.
- Pardon de te réveiller, mon ami, lui dit la femme-louve. Nous avons besoin de toi pour aider une âme à trouver la paix.
Le petit animal fait face à la Veilleuse, lui jette un regard presque inquisiteur. Puis, son grognement cesse et il se laisse attraper. Anya remarque aussitôt un détail qui la trouble :
- Elle n'a pas d'écaille, mais plutôt une peau lisse et huileuse. Alors, pourquoi la recette parle-t-elle d'écaille ?
- C'est une façon de désigner la mue, lui explique Dante.
- Tu me rassure. J'ai cru un instant qu'on allait tuer cette pauvre bête.
- En aucun cas, reprend la femme-louve. Je défends quiconque de faire le moindre mal aux habitants de ce bois !
- Alors, explique-moi : comment récupérer la mue de la salamandre si celle-ci ne mue pas ?
- Les jeunes salamandres muent de façon régulière. Et celle-ci s'apprête à le faire.
- Comment le sais-tu ?
- Regarde sa tête, vois-tu cette fine pellicule blanche ?
- On dirait un voile de satin.
Doucement, Laïn retire sa mue à l'amphibien qui se laisse faire. D'ordinaire, il se serrait frotté la tête sur les rochers pour décoller sa vieille peau et s'en serait débarrassé par des mouvements saccadés.
- C'est presque comme un gant que l'on retourne, rit Anya.
- C'est un peu l'idée.
- Pourquoi n'en trouve-t-on pas comme les mues de serpent ?
- Contrairement au serpent, la salamandre consomme sa mue. Il est donc difficile d'en voir car elle la mange volontiers.
- Comment savais-tu que celle-ci allait muer ? s'interroge Dante.
- Tu oublies que tout Veilleur est connecté à la forêt qu'il protège.
- C'est vrai.
La femme-louve dépose doucement la salamandre là où elle l'a trouvé.
- Merci. Nous ne t'embêtons pas d'avantage.
Le petit animal lui adresse un regard, sa queue sous sa tête, son corps luisant formant un cercle sur la mousse des rochers. Laïn replace la pierre et confie la mue au magicien. Ce dernier s'empresse de la glisser dans un des petits bocaux pour ne pas l'abimer.
- Que nous reste-t-il à trouver ?
- Fleurs de sureau, pépins de raisin et crins de manticore.
- Pour ce qui est du crin, nous verrons plus tard. Le reste n'est pas le plus compliqué à trouver, sourit la femme-louve. Nous trouverons cela en chemin.
Laissant le lac derrière eux, ils longent le fleuve qui en découle, avant de bifurquer plein Sud et de traverser ce qui reste de bois avant la ville portuaire.
Très vite, ils ramassent ce qu'il leur faut. Le sureau est un arbuste très répandu dans le sous-bois. Quant à la vigne sauvage, elle court aux abords des plans rocheux et des murets en ruines jadis construits à l'orée du bois. Ne leur manque que le crin de manticore, ce qui semble ennuyer Dante. Impossible de remplacer cet ingrédient par un autre, ce serait risqué. Leur plan tombe à l'eau. Un soupir déçu lui échappe, mais très vite Laïn le rassure :
- Je connais sans doute un endroit où en trouver, lui dit-elle.
- Moi aussi, bougonne-t-il, à Armonis. Mais je n'ai pas le temps d'y retourner pour quelques poils de créature magique. Connaîtrais-tu un autre magicien ? Auquel cas, je ne vois pas qui d'autre pourrait en avoir. Ce n'est pas comme si on utilisait du crin de manticore tous les jours pour une recette de gâteau…
- Tu as peut-être étudié dans la plus prestigieuse école de magie du Royaume de Lincéa mais tu ignores encore bien des choses, mon jeune ami. Un garde-forestier n'est pas uniquement là pour surveiller le bois et protéger la magie qui y subsiste. C'est aussi un dépositaire de tout ce qui attraie à la magie et aux créatures qui y sont liées.
- Es-tu vraiment sérieuse ?
- Ai-je l'air de plaisanter ?
- Non, c'est simplement que… je n'imaginais pas qu'il soit plus qu'un rustre personnage.
- Attention à ce que tu dis !
- Pardon, Laïn. Je ne voulais pas…
- Mais tu l'as dit, souligne Anya.
- Mes paroles ont dépassé ma pensée. Néanmoins, il faut reconnaître que chaque fois que je le croise, il n'est pas vraiment… Disons qu'il est plutôt froid.
- Il est ainsi, ce n'est pas dirigé contre toi.
- Je l'espère. C'est un peu vexant d'être reçu de façon si glaciale.
- Kylian n'est pas réputé pour être chaleureux et enjoué, précise la jeune femme. Il passe plus de temps en forêt qu'en ville, alors ce n'est pas quelqu'un de très… sociable.
- Ce qui ne fait pas nécessairement de lui quelqu'un de mauvais, renchérit Laïn. Et s'il peut aider, il le fera. De bon cœur.
- Il suffit d'apprendre à le connaître un peu.
- Si vous le dites… Étant donné qu'il nous faut requérir son aide au sujet du sort, nous ferons d'une pierre deux coups en lui réclamant l'ingrédient qu'il nous manque, conclue Dante sans entrain. Allons-y.
© Lynn RÉNIER