La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 53 : Un Début de Réponse

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Tandis qu'ils reprennent le même chemin une fois encore, le magicien scrute la ruelle avec une attention accrue. Que cherche-t-il donc ? Auraient-ils laissé passer un indice ? Ou songe-t-il au fait que le sorcier a pu leur échapper par quelque trappe dissimulée ? Anya l'observe, dubitative sans oser l'interrompre.

Il se penche un instant, comme pour ramasser quelque chose. Fausse alerte. Rien qui l'intéresse. Il reprend son chemin en maugréant jusqu'à atteindre l'alcôve. Dante ne peut cacher son air dépité et la jeune femme le partage. Ils espéraient obtenir plus d'informations ce soir. Les voilà guère plus avancés.

- Voyons le bon côté des choses, finit par conclure le jeune homme. Nous savons que Charles est impliqué de façon concrète et qu'il s'est associé au sorcier pour arriver à ses fins. Reste encore à savoir ce qu'il veut.

- Je pense savoir, laisse échapper Anya.

Le regard du mage l'encourage à poursuivre.

- Il a parlé de faire chantage sur une dame. Et je crains qu'il ne s'agisse de Dame Inarah.

- La Marquise des Arflors ? Pour quelle raison ?

- Ici, tout le monde sait pourquoi. Il cherche à l'épouser. Non par amour, mais par intérêt.

- Cela lui permettrait de gagner un titre, n'est-ce pas ?

- Oui.

- Et de quelle façon compte-t-il la faire chanter ?

- Je l'ignore. C'est là tout le problème. Et quel lien avec le prisonnier qu'il garde farouchement ?

- Il nous faut à tout prix découvre qui est ce malheureux. C'est le seul moyen de comprendre.

- Mais comment ? Nous ignorons où il est enfermé à présent. Et je ne crois pas qu'un homme ait pu survivre au naufrage du Neptune. C'est impossible. Voilà plus de trois mois que le navire a sombré avec tout ce qui se trouvait à bord. Il ne peut y avoir de rescapé. Je ne remets pas en doute les intuitions d'Évy. Mais tout ça me semble trop… incohérent.

Le silence du magicien est éloquent.

- Nous sommes à nouveau dans une impasse…

- Je donnerais n'importe quoi pour avoir le flair d'un chien ce soir, plaisante Dante.

Anya lui jette un regard interdit.

- Pour suivre une piste à l'odeur. Il n'y a rien de plus fin que le flair d'un chien.

- Je n'ai pas très envie de faire équipe avec un molosse… grimace la jeune femme.

- Rassures-toi, je ne maîtrise pas assez la métamorphose animale pour choisir la forme que je peux prendre. Et puis, je crois que j'ai une prédisposition aux formes félines. Alors, pour devenir un chien, ça risque d'être compliqué.

- Évy nous serait d'une grande aide ce soir.

- N'as-tu pas un autre ami au flair développé ?

- Fidèle ? Mais ça voudrait dire que je dois retourner au Domaine des Arflors alors que je suis censée être de retour chez mes parents à Marosie, rappelles-toi.

Un sourire apparaît sur le visage du magicien. Et la curiosité d'Anya n'en est que plus attisée encore.

- Qu'est-ce qui te fait sourire ?

- Il n'est pas nécessaire d'entrer sur le domaine pour le trouver. Il t'a bien suivi jusqu'aux écuries du Comte le soir où tu m'as surpris. Ce qui signifie que ce chien est rusé et sait comment sortir du Domaine des Arflors, même si le portail est fermé.

- Mais comment comptes-tu l'appeler ?

- Kylian ne t'aurait-il pas confié un sifflet ?

- Si.

- Puis-je ?

Passant la cordelette au-dessus de sa tête, Anya lui tend le petit objet.

- Que comptes-tu faire ?

- Si je peux faire en sorte que le son ne parvienne qu'à Fidèle, peut-être répondra-t-il.

Dante enferme le sifflet entre ses paumes, souffle sur ses mains une vapeur bleutée, avant de rendre l'objet à la jeune femme.

- À toi de jouer.

Anya lui jette un œil dubitatif, puis fait usage du sifflet. Le son qui s'en dégage est imperceptible. Elle n'émet qu'un petit sifflement d'air ténu. Elle a presque l'impression que l'instrument ne fonctionne pas.

- Les chiens perçoivent les ultrasons. Fidèle l'entend, pas nous, la rassure le magicien. Attendons de voir s'il nous rejoint.

À peine quelques minutes plus tard, une ombre s'approche. La silhouette d'un canidé se dessine et très vite ils reconnaissent le fidèle compagnon de la famille D'Avila.

Le chien s'approche, curieux. Il jette à Dante un regard méfiant et se dirige vers Anya. La jeune femme s'accroupit pour être à sa hauteur et il s'assoie, comme s'il attendait patiemment qu'elle lui explique ce qu'il vient faire là.

- Nous avons besoin de toi pour suivre une piste, lui dit-elle.

De ses yeux bruns, l'animal la scrute. Alors, elle poursuit :

- Si tu peux retrouver la trace du pauvre homme qui est retenu prisonnier sous la cité, nous pourrons peut-être rendre justice à Gautier.

Pour lui signifier qu'il est d'accord, le chien se redresse. Anya le guide jusqu'à l'alcôve et il se met aussitôt au travail. Il renifle les abords de la trappe. Une curieuse réaction le gagne. Un sursaut, qui lui donne plus d'ardeur à la tâche. Il reste un instant à sentir le tapis avant de sortir pour prendre la direction du bois. Les deux jeunes gens s'adressent un regard interdit.

 

La palissade de bois empêche le chien d'aller plus loin, mais il longe le mur jusqu'à atteindre une entrée. À cet endroit, le muret est effondré et les planches ont été déplacées pour permettre un passage vers le bois. Un chemin étroit entre les herbes indique qu'il a été plusieurs fois emprunté. Emplis de doutes et de questions, Dante et Anya emboitent le pas à Fidèle qui ne lâche pas la piste du museau.

Ils suivent le muret jusqu'à atteindre le pied des Montagnes du Grincheux. Là, une entrée de mine les attend. Les deux amis se lancent un regard et s'aperçoivent trop tard que le chien est entré.

- Fidèle, appelle Anya. Reviens !

Mais l'animal s'élance dans la pénombre du tunnel qui plonge dans la barrière rocheuse et disparaît dans le noir.

- Qu'est-ce qui lui prend tout à coup ? On le croirait sur la piste d'un lièvre.

- Ce n'est pas un chien de chasse pourtant.

- Suivons-le. Peut-être a-t-il trouvé quelque chose qui vaille la peine.

Anya observe l'obscurité du tunnel. Les toiles d'araignée courent dans les angles et de ne pas voir ce qui les attend l'inquiète. Elle ne veut pas entrer là-dedans. Par chance le chien revient, tenant quelque chose dans sa gueule.

- Montres-moi, lui dit-elle. Qu'est-ce que tu nous rapporte là ?

C'est un morceau de tissu appartenant à un veston de costume. Sale et déchiré, le vêtement dont il provient ne doit pas être dans un très bon état. Une odeur saline s'en dégage, malgré la poussière et la terre qui y sont imprégnées.

- Est-ce que ça appartiendrait au naufragé ? suggère Dante.

- Alors ce serait vrai ?

- Je sens que je vais être obligé de reconnaître que Laïn a raison au sujet des rêves…

- Attends, nous n'en sommes pas sûrs. Pas encore.

- La piste s'arrête-t-elle là ? demande le magicien au chien.

L'animal s'agite. Il vient renifler le morceau de veston dans les mains d'Anya et se tourne vers Félinin.

- Je crois que j'ai compris. Quand ton ami a découvert ce que cachait le Comte, ce dernier a fait déplacer son prisonnier dans cette vieille mine abandonnée. Mais j'ai peur qu'il n'y ait plus rien ici.

- Est-ce que le prisonnier serait…?

- Non, la rassure Dante. Je ne pense pas. Fidèle ne nous désignerait pas une nouvelle piste si c'était le cas. L'homme est toujours vivant. Charles l'a simplement emmené ailleurs.

- Encore ?

- Depuis que ton ami est mort, son plan risque d'être mis en déroute. Il se montre prudent. Son prisonnier est de nouveau à Félinin, quelque part.

- Alors trouvons où ! Vas Fidèle, on te suit.

Le chien ne se fait pas prier et remonte le chemin qui longe la palissade. Les deux jeunes gens le suivent, pressant le pas. Dante sent que ce n'est plus qu'une question de temps avant que le Comte de Richwel ne mette son plan a exécution.

Anya, de son côté, observe le morceau de veston rapporté par Fidèle. Avant de subir un naufrage et un séjour prolongé dans la poussière d'une geôle ou d'une mine, le vêtement devait être de qualité. D'une laine fine teinte d'un bleu profond et brodée de fils d'argent, le veston n'appartient pas à un simple matelot.

Son esprit vagabonde en hypothèses. Elle se demande si un homme peut réellement survivre à un naufrage en haute mer, sous une tempête aussi violente. Puis, ses réflexions reviennent à son ami palefrenier. Qui a-t-il vu dans cette geôle au bout du tunnel pour en perdre la vie ?

- Au départ, se confie-t-elle, je pensais que Gautier avait été tué parce qu'il voulait partir.

- Partir ?

- Oui, il voulait quitter le Domaine de Richwel. Et venir travailler pour Dame Inarah. Nous en parlions souvent. Il n'a jamais franchi le pas, et on ne lui en a pas laissé l'occasion non plus. Alors, en apprenant sa… mort…

Le mot est difficile à prononcer pour elle. Elle n'aurait pas cru que ce soit si dur de dire les choses telles qu'elles sont, sans les détourner ou les imager. Dante pose une main réconfortante sur son épaule, et elle trouve le courage de poursuivre :

- En apprenant sa mort, reprend-t-elle, j'ai imaginé qu'on l'avait tué à cause de ça. Que Charles de Olstin ne voulait pas le laisser s'en aller… C'est stupide.

- Pas tant que ça. C'est un bon raisonnement, la félicite le magicien tandis qu'ils sortent du bois. Si la magie n'était pas venue mettre son grain de sel là-dedans…

- Oui. Quand j'ai eu connaissance de ce détail plus qu'important, mon hypothèse bien fondée s'est effondrée.

- J'en suis désolé. C'est un peu de ma faute.

- Non, au contraire, tu m'as permis d'ouvrir les yeux. J'ai découvert un monde que je ne soupçonnais même pas. Regarde Évy. Moi qui la côtois tous les jours chez les D'Avila, sans savoir qui elle est vraiment. Et toutes ces histoires, que je ne pensais n'être que des histoires et qu'elle adorait me raconter le soir, ont soudainement pris vie. Alors ne t'excuse pas de m'avoir montré combien le monde est magique et combien il est loin d'être aussi morne que je le pensais. C'est à moi de te dire merci pour tout ça.

Touché, Dante ne sait que répondre et reste là à la regarder avec tendresse. Un sourire illumine le visage d'Anya et il rougit presque. La jeune femme vient caresser sa joue, plongeant son regard dans le sien.

- Merci, lui répète-t-elle avec douceur.

Puis, se mettant sur la pointe des pieds, elle pose un baiser sur sa joue.

Le jeune homme reste interdit, savourant, aussi, ce geste plus qu'affectueux. Ils resteraient là à se regarder pendant des heures si Fidèle ne les sortait pas de leurs rêveries. Le chien les brusque d'un jappement et les deux jeunes gens reviennent à la réalité. L'animal se faufile entre les villas et bientôt les voilà de retour chez le Comte de Olstin.


© Lynn RÉNIER
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