La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 55 : Chat Blessé

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Se faufilant tant bien que mal hors de la ruelle, le petit félin peine à rejoindre le bois. Il est tremblant sur ses pattes, ne comprenant pas ce qui lui arrive. Blessé, sonné et épuisé, il se traine jusqu'à la lisière d'arbres, où il finit par se coucher dans l'herbe, sans parvenir à faire un pas de plus. Il aurait miaulé pour qu'on vienne le chercher, mais ça aurait été révéler sa présence à ceux qui le pourchassent. Et il doit passer inaperçu. De toute façon, il n'a même pas la force de miauler.

Néanmoins, ses blessures ont besoin de soins. Il ne peut pas rester là, au risque que ses poursuivants le rattrapent, ou encore que quelqu'un le trouve et l'emmène ailleurs. Ou pire, qu'une bête ne le débusque. Alors, se tortillant, il tente d'attraper le petit sifflet de bois blanc qu'il porte autour du cou.

La corde glisse par-dessus ses oreilles et l'objet tombe dans l'herbe. Le petit animal se redresse péniblement pour s'en saisir et souffle à l'intérieur. Aucun son n'en sort, autre qu'un filet d'air étouffé. Le sifflet serait-il bouché ? Défectueux ? Le sort que le magicien lui a jeté fonctionne-t-il toujours ? Ou l'a-t-il abîmé ? Les yeux du chat se mettent à briller, comme s'il allait pleurer. Abattu, il se laisse tomber pour ne plus bouger. Quand le chant d'un loup le fait sursauter.

La bête chante à nouveau, mais cette fois, le son est différent et est bien plus proche. Le bois non loin frémit : la créature arrive. Le petit félin le sait. Fermant les yeux, il patiente. Il ne peut faire que cela. Et il n'a pas longtemps à attendre. Bientôt une silhouette le surplombe. Les oreilles et la queue lupines permettent aussitôt au chat de reconnaître la Veilleuse. Cette dernière le glisse doucement dans ses bras, prenant garde à ne pas lui faire de mal.

- Anya, que s'est-il passé ? Demande la femme-louve en caressant le petit félin avec douceur.

Le chat cherche à lui répliquer mais ne parvient qu'à lâcher un miaulement tout juste audible. En réponse, Laïn murmure quelques mots et passe un doigt sur le museau de l'animal, laissant une légère trace pailletée sur son nez.

- Évy…, siffle alors le chat. Tu es venue…

- Oui, j'ai entendu ton appel.

- Mais… le sifflet… il ne fonctionne pas…

- Il n'est audible qu'aux oreilles averties. Kylian a été avisé de te le donner.

- Je pensais que… ce serait lui qui viendrait…

Un sourire étire le coin des lèvres de la femme-louve.

- Je suis venue à sa place. Il n'aurait pu être là à temps. Tu es dans un triste état. Où est Dante ? Que vous est-il arrivé ?

- Des soldats…

Les yeux du chat se ferment tous seuls et Laïn ne veut pas épuiser son amie d'avantage.

- Dante, siffle le petit félin. Il faut… sauver… Dante…

- Reposes-toi, lui souffle-t-elle. Tu me raconteras plus tard.

La femme-louve chantonne à mi-mot quelques paroles pleines de magie et vient poser un baiser sur le front du félin. Le petit animal s'endort alors dans la chaleur de ses bras.


***


Tout est silencieux quand Anya revient à elle. Muchée dans les coussins, elle ouvre les yeux et découvre l'intérieur de la grotte. Un soulagement immense lui allège la poitrine. Elle voudrait se redresser mais une douleur lancinante au niveau des côtes la freine aussitôt.

- Tu devrais rester couchée, lui conseille Laïn avec la voix d'une mère.

Non loin, la femme-louve prépare un onguent dans un petit mortier. L'odeur est douce, la texture semblable à de la crème de lait et d'une couleur tout aussi blanche.

- Suis-je restée inconsciente longtemps ?

- Non, rassure-toi. Seulement le temps du trajet jusqu'ici.

- Je n'ai pas souvenir de m'être endormie…

- C'est normal, lui avoue la femme-louve en revenant vers elle le pot à la main. C'est moi qui t'ai plongé dans le sommeil.

- Vraiment ?

- Il le fallait, tu étais trop faible.

Anya constate alors que son amie a soigné ses blessures les plus importantes. Les bandages de lin sont imprégnés d'une solution à base d'herbes médicinales dont la Veilleuse a le secret. Ne reste que les égratignures sur lesquelles la femme-louve s'apprête à appliquer le baume apaisant qu'elle a préparé.

- Pour pouvoir te rendre ta forme humaine, c'était nécessaire, lui explique Laïn tout en appliquant la crème sur les plaies de son amie. Tu n'aurais pas supporté la transformation en étant éveillée et consciente, je suis désolée. Je n'aime pas faire cela.

- Merci, lui répond seulement Anya en serrant les dents sous la douleur.

La femme-louve fait preuve d'une extrême douceur, pour ne pas lui faire mal. Mais la peau de la jeune femme est si sensible qu'elle a le sentiment d'être brûlée aux endroits où elle est égratignée, que sa peau est aussi fine que du papier et que chaque contact est insupportable.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Des soldats nous ont surpris. Nous étions sur le point de retrouver la trace du sorcier et celle du prisonnier, quand ils nous sont tombés dessus. À croire qu'ils nous attendaient…

- Des soldats ? s'étonne Laïn.

- Oui. Mais leur uniforme n'était pas aux couleurs de celui de la Brigade du Lynx, ni même de la ville. Il était d'un bleu sombre, avec des surpiqures dorées.

- Les couleurs du Roi.

- C'est ce que j'ai pensé moi aussi, à première vue. Mais le symbole cousu dessus n'était pas le lion couronné.

- Il y avait un blason ?

- Oui. Je crois. Il m'est inconnu. Un sanglier, ou bien peut-être… une créature étrange que je n'ai encore jamais vu. J'ai pensé à un dragon en le voyant, mais ça n'en était pas un. Il y avait deux têtes. Non, trois. Un serpent et puis… Oh, Évy, je ne sais plus…

- Ce n'est rien, ça te reviendra. Tiens, bois ça, ça t'aidera à récupérer.

Le bol qu'elle lui tend contient une soupe épaisse à la couleur orangée. Du potiron ? L'odeur lui met l'eau à la bouche et elle saisit le récipient avec envie.

- Merci. Ce n'est pas pour me faire dormir au moins ?

- Non, sourit la femme-louve.

En effet, la mixture est douce et la réchauffe. Elle lui fait un bien fou. La fatigue en serait presque oubliée.

- Des nouvelles de Dante ? ose-t-elle demander.

- Aucune. Ton état me préoccupait trop pour que j'aille à la chasse aux renseignements en ville.

- Je suppose qu'il a été livré à la Brigade du Lynx.

- Rien n'est moins sûr… soupire la femme-louve.

Le visage d'Anya se ferme soudain. Elle cherche alors à se lever, jetant sur ses pieds les couvertures dans lesquelles Laïn l'a emmitouflée.

- Non, attends, l'arrête son amie en sachant pertinemment ce qu'elle compte faire, tu ne dois pas y aller, Anya.

- Mais je ne peux pas le laisser…

- L'impatience et l'empressement ne te mèneront à rien. Tout ce que tu pourras y gagner à vouloir aller trop vite, c'est de le mettre plus encore en danger. Et toi également. D'autant que tu n'es pas en état. Regardes-toi, bond-sang ! Tu es tremblante, tu ne tiens pas sur tes jambes.

Anya ne peut nier l'évidence : elle est bien trop faible pour aider Dante en quoi que soit.

- Il te faut réfléchir avant d'agir, gronde la femme-louve en guise de conseil.

La jeune femme sait que Laïn a raison. Elle ne peut pas foncer tête baissée. C'est trop risqué. Il lui faut réfléchir, élaborer un plan, une stratégie. Mais le stratège c'est Dante, pas elle. Comment va-t-elle lui prêter main forte si elle est incapable de trouver un moyen de le tirer des ennuis ?...

 

Tout en se laissant retomber dans les coussins, Anya ne cesse d'y penser. Dante est innocent et pourtant il sera traité comme un criminel par les agents de la Brigade. Elle ne peut se résoudre à le laisser seul face à l'épreuve de l'interrogatoire. Son intuition lui souffle qu'il n'aura aucune chance de se défendre.

Un profond sentiment d'injustice la saisit alors. Le magicien n'est coupable de rien, elle en est convaincue. Sa seule faute imputable est celle d'avoir voulu découvrir la vérité. L'Inspecteur Hotch comprendrait-il ? N'est-il pas lui aussi en quête de vérité et de réponses sur son enquête ? Laissera-t-il Dante lui prouver son innocence ? Ou du moins, lui permettra-t-il seulement de s'expliquer avant de l'accuser ?

Elle se sent si impuissante. Pourquoi n'a-t-elle rien pu faire pour l'empêcher de se faire prendre ? Et comment a-t-il osé la transformer en chat ?! Elle voulait l'aider ! À quoi pensait-il quand les soldats les ont surpris ? Croyait-il vraiment pouvoir les combattre seul ? Un soupir presque exaspéré lui échappe.

- Il a cherché à te protéger, lui explique Laïn comme si elle avait entendu ses pensées.

- Sors de ma tête ! lui reproche Anya avec une hargne incontrôlée.

Laïn stoppe son geste et toutes deux échangent un regard.

- Va-t'en ! Laisses-moi ! Je n'ai pas besoin de toi ! lui lance Anya, hostile.

La femme-louve pose alors sur elle de sombres yeux lupins. Ces paroles, la jeune femme n'aurait jamais dû les lui dire. Dans les pupilles de Laïn brûle une colère qu'elle ne libèrera pas. Elle perçoit que la jeune femme est sous la trop forte influence de ses émotions exacerbées. Seulement, son hospitalité et sa gentillesse sont bafouées.

- Dans ce cas, assène-t-elle durement mais d'un ton calme déconcertant, débrouille-toi.

Puis, abandonnant le pot d'onguent aux bons soins d'Anya, elle se lève pour se détourner d'elle.

La Veilleuse gagne le bois, ne lui adressant pas le moindre mot ni le moindre regard. La jeune femme la suit des yeux, un air fautif sur le visage. Elle sait combien elle a dû la vexer. Elle voudrait la retenir, mais aucun son ne sort de sa gorge pour s'excuser.

Laïn partie, Anya se laisse aller à la culpabilité. Elle baisse les yeux, laissant ses cheveux tomber devant son visage. Puis, serrant les dents à chaque mouvement de son corps douloureux, elle se redresse pour saisir le bol de crème et terminer de soulager ses ecchymoses. Comme elle regrette d'avoir été si injuste, de n'avoir su tenir sa langue et son amertume face à son amie. Elle qui est venue à son secours sans se soucier des risques qu'elle encourait à sortir du bois sous son apparence de Veilleuse... Elle qui l'a accueilli chez elle sans une once d'hésitation, qui lui a sauvé la vie et qui l'a soignée…

- Anya, se dit-elle à elle-même, tu n'es qu'une idiote !

 

Le temps passe sans que Laïn ne revienne. La faim se cramponne bientôt à son estomac. Si elle pouvait se lever, elle irait bien se préparer de quoi manger. Mais elle en est incapable. Tout son corps lui crie douleur et courbatures. Elle a le sentiment qu'une horde de chevaux sauvages l'a piétiné.

Jetant un regard au dehors en espérant voir son amie revenir, la jeune femme s'aperçoit que la femme-louve n'est pas là mais que le jour tombe doucement. La nuit porte conseil, se dit-elle. Et puis, même si la pénombre est idéale pour fuir, elle aurait pris un trop grand risque à vouloir faire évader Dante sans préparer quoi que ce soit.

Dépitée, les yeux rougis des larmes qu'elle ne veut pas verser, elle se cale dans les coussins du mieux qu'elle peut pour ne pas ressentir de douleurs. Demain, elle s'excusera auprès de Laïn et réfléchira plus sereinement à la façon de sortir Dante de prison.

Se laissant aller au sommeil, elle ferme les yeux, abandonnant un soupir. Quelle idiote elle fait parfois, se maugréait-elle. La couverture la réconforte un peu, chaude et bienvenue avec le froid du soir qui pénètre la grotte. Elle s'y muche sans se douter que, dans l'ombre, de petits yeux rouges l'observent.


***

© Lynn RÉNIER
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