La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 56 : Le Bruissement des Feuilles

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

La nuit est fraiche et le vent s'est levé. Laïn écoute le bruissement des feuilles à la cime des arbres, les yeux fermés. Elle chasse cette rancœur qui s'est installée en elle quelques instants plus tôt. Après tout, Anya a bien le droit d'être inquiète. La femme-louve sait qu'elle n'a pas voulu être méchante, que ses émotions ont dépassé sa pensée.

La bois s'endort et apporte un certain apaisement à la Veilleuse. Elle a toujours aimé l'odeur du soir dans les buissons. Assise en tailleur sur les rochers près du lac, elle se laisse envahir par tout ce qui l'entoure. La mélodie de l'eau, le chant du vent, le murmure imperceptible des arbres. Son esprit voit bien au-delà de ce que seul l'œil perçoit. Ici tout est vivant et tout communique ensemble, ne faisant qu'un. Un peu comme un infini réseau qui connecte tout ce qui est.

Le langage de la nature est universel à ses habitants. Ils ne parlent pas la même langue, mais ils savent se comprendre, se respecter, se côtoyer. Seul l'homme ne l'entend plus, et ne peut plus échanger avec elle. Autrefois, il comprenait. Maintenant, c'est terminé. Même les Hauts-Mages ont perdu ce lien. La forêt et ses habitants sont devenus étrangers, incompris, silencieux. Si seulement les hommes pouvaient encore comprendre, ils entendraient cette complainte triste que pleure le bois.

La femme-louve, elle, l'entend. Et c'est insupportable. Au fond d'elle, c'est comme une douleur sourde et brûlante qui ne s'apaise jamais. Pas depuis que les Veilleurs ont été chassés et massacrés. En gardienne du bois, elle perçoit et partage cette lente agonie. Tout autour d'elle lui crie désespoir et terreur. La nature se meurt et avec elle, la magie perd son unité, sa force, ses représentants, ses défenseurs. Bientôt, les arbres ne murmureront plus, les animaux ne se comprendront plus, le vent de chantera plus et la dernière Veilleuse ne sera plus. Tout deviendra silencieux, et triste.

Laïn a conscience qu'elle ne peut rien faire pour empêche cela. Qu'il est trop tard et qu'à elle seule, elle n'a plus le pouvoir et la force nécessaire. Ses pouvoirs s'amenuisent et disparaissent peu à peu. Sauver la magie ne dépend plus que des humains. Eux qui ont tant détruit, obnubilés par le pouvoir. Sauront-ils réagir avant qu'il ne soit trop tard ?

 

Elle n'a pas le temps de réfléchir à la question. Un sifflement dans le vent la sort de ses pensées. Un avertissement. Aussitôt en alerte, ses oreilles lupines s'agitent et elle ouvre les yeux pour scruter les alentours à la recherche du moindre mouvement.

Elle semble tout à coup bien plus âgée qu'elle ne le laisse paraître face à Dante ou Anya. Son visage demeure sans âge, bien qu'on puisse lui donner une quarantaine d'années sous ses traits humains. D'ordinaire, seul son regard ambre la trahit, comme celui que seuls les êtres qui ont trop vécus posent sur le monde. Mais une fois dans le bois, l'humaine Évelyn n'existe plus. Seule Laïn la femme-louve reste car en cet instant, elle est la Veilleuse, et seulement la Veilleuse.

- Un intrus ? demande-t-elle d'une voix profonde. Comment est-ce possible ?

Un petit tourbillon vient jouer dans ses cheveux. Elle écoute le chant du vent comme s'il répondait à sa question et ses yeux se perdent un instant dans ses réflexions.

Un nuage de feuilles se dessine alors, prenant la forme d'une silhouette presque humaine. Un être sylvestre avec allure d'homme, chevelure de branches et de feuillages, vêtu de mousse et d'écorce. Sa peau très brune est semblable à du bois. Ses yeux sont totalement blancs et son corps d'une finesse gracile. Timidement, la créature s'avance jusqu'à la Veilleuse.

La femme-louve l'observe approcher sans bouger, la saluant d'un petit hochement de tête respectueux. Elle n'est pas surprise. Pour elle, les arbres et toutes les plantes ont une âme, autant que les autres habitants qui arpentent le bois. Et elle connait chacun d'eux.

- Dis-moi, mon ami. Que se passe-t-il ?

L'esprit de l'arbre lui répond, sa chevelure de feuilles aux teintes rousses s'agitant avec douceur.

- Quelque chose rôde, Laïn. C'est dangereux.

L'être s'exprime dans un bruissement de feuillage. La femme-louve ne s'en étonne nullement. Elle comprend chaque langage comme s'il était le sien, aussi étrange soit-il. Et il en va de même pour toutes les créatures qui peuplent le bois, tant que la magie subsiste. Car elle craint que bientôt ils ne se comprennent plus les uns les autres.

- Est-ce un humain ? lui demande-t-elle.

- Non. Autre chose.

La femme-louve ne cache pas sa surprise.

- Un être sans vie. Il apporte la mort, explique l'arbre. Sa carapace est brillante. Ses yeux sont de sang.

- Quelle créature cela peut-il être ? songe la Veilleuse.

Le vent tourbillonne de nouveau et un clapotis à la surface du lac la rende méfiante et nerveuse. Quel est ce danger dont la nature vient l'avertir ? Un silence s'installe tandis qu'elle réfléchit à l'origine de la menace. À part un être humain, Laïn ne voit pas ce qui peut inquiéter les habitants du bois ainsi.

- La jeune humaine est en danger, prévient alors l'être sylvestre.

Les yeux de la femme-louve s'écarquillent, son pouls s'accélère.

- Anya, siffle-t-elle.

Aussitôt, elle se transforme et devient bête. Son pelage noir se fond dans la nuit et ses yeux dorés brillent comme deux flammes. Remerciant l'esprit de l'arbre, elle s'élance entre les bruissons sans attendre, le cœur battant. Pourvu qu'il ne soit rien arrivé à son amie. Pourvu qu'il ne soit pas trop tard…


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© Lynn RÉNIER
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