La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 63 : Le Sifflet du Garde-Chasse

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Le cliquetis des griffes de Laïn sur le sol et le bruit de leurs pas résonnent dans le tunnel. Ils remontent vers la sortie de l'alcôve à un rythme soutenu. Déjà, au loin, des voix se font entendre. Des hommes discutent, sans se douter que trois fuyards se trouvent dans la galerie. En arrivant près des escaliers, les mercenaires manquent de peu de les croiser. Les trois amis retiennent leur respiration, tapis dans l'ombre des marches, pour que les soldats ne les remarquent pas.

Tandis que ces derniers s'en vont relever leurs collègues sans se douter que leur prisonnier s'est échappé, Anya, Dante et la louve voient les marches menant à la trappe dessiner devant eux dans un liseré de lumière. Ils s'extirpent du tunnel, espérant atteindre la lisière du bois avant qu'ils ne soient remarqués. Mais tandis qu'ils longent la palissade pour trouver une entrée, des voix les font se retourner.

- Ils sont là! Ne les laissez pas s'enfuir !

Une petite troupe arrive à grandes enjambées vers eux. Et d'autres encore les rejoindront bientôt, c'est certain.

- Ils nous ont déjà retrouvés, siffle Anya.

Dante jure dans sa barbe.

- Raison de plus pour ne pas traîner.

Laïn se glisse derrière eux pour fermer la marche. Elle s'arrête une courte seconde pour observer les mercenaires venir dans leur direction, comme un chien de chasse aux aguets, avant de suivre les deux jeunes gens.

- Comment ont-ils pu réagir aussi vite ?! s'alarme Dante.

Mais ni Anya ni la louve ne lui répond.

- Ils attendaient à l'extérieur, suppose-t-il donc.

- Ou la sorcière a prédit ton évasion.

- La sorcière ? Quelle sorcière ?

- Notre sorcier est une sorcière, Dante.

- Et quand comptiez-vous m'en parler ? se vexe-t-il.

- N'est-ce pas ce que je suis en train de faire en cet instant ?!

- Ça suffit, tempête la louve en montrant les crocs.

- Quelle sorcière ? renchérit le magicien plus calmement. Laïn, explique-moi.

- Celle-là même qui a massacré mon peuple.

- Comment…?

Mais Dante n'achève pas sa question. Ses méninges travaillant plus vite que sa langue, il a compris au moment même où il s'apprêtait à la poser.

- Grâce à la magie des Veilleurs. Elle est toujours en vie parce qu'elle profite de la longévité que vous ont accordé les divinités de par votre rôle. Exact ?

- Exact.

Il ne sait plus vraiment quoi dire. La seule idée qu'un être doué de magie puisse s'en servir pour de mauvaises actions le révolte. Mais qu'un tel individu s'octroie les pouvoirs d'autres porteurs de magie pour accroitre sa puissance lui donne la nausée. Lorsque l'on a un don, c'est en y travaillant que l'on le renforce. Et non en le volant à d'autres.

- J'imagine que tu ne connais pas son identité actuelle. Auquel cas, tu nous l'aurais dit.

Le silence de la louve confirme ses dires.

- Dans ce cas, j'ai peut-être quelque chose qui nous permettrait de remonter jusqu'à elle.

- Qu'as-tu trouvé ? s'intéresse Anya.

Il sort l'insecte mécanique de son manteau.

- Tu as, toi aussi, été attaqué par un automate.

- Oui. Je l'ai désactivé à temps. Mais, qu'entends-tu par « toi aussi » ?

- Une de ces horribles machines est venue s'en prendre à moi cette nuit. Sans Évy, je crois que je ne serais plus là pour en parler. Le cyanure a une redoutable réputation.

- En effet, une chance que tu n'aies pas été blessée.

- Cette guêpe pourrait-elle nous mener à cette affreuse femme ?

- Sans nul doute. Malheureusement, j'ai besoin de temps et de calme pour tisser le sort de localisation. Je ne peux pas le faire maintenant.

- Si nous parvenons à échapper aux mercenaires, tu auras le temps nécessaire pour cela.

La louve a raison. Les deux jeunes gens gardent leur souffle pour tenir la distance qui les sépare des soldats. Ils ne doivent pas perdre de terrain, au contraire. Ce n'est pas chose facile quand le cœur et les poumons commencent à chauffer et à se faire douloureux.

- Ne peut-on pas demander de l'aide à Kylian ? propose alors la jeune femme en jetant un regard au loin, comme si elle pouvait apercevoir la maison du garde-chasse. Il saurait certainement nous débarrasser d'eux. Avec son regard de dragon, il brûlerait n'importe qui sur place.

- J'avoue que je ne serais pas contre, lui répond le magicien.

Ils ne remarquent pas le regard quelque peu désapprobateur de la louve qui les suit. Dante, lui, sourit à la comparaison entre le garde-chasse et la créature cracheuse de feu.

- Excellente image que le dragon, Cat. Ça lui va plutôt bien.

- Plus encore lorsqu'il souffle la fumée de sa cigarette par le nez ! ajoute la jeune femme sur le ton de la plaisanterie.

Ils rient une minute, mais la situation les rattrape et le sérieux revient.

Leur rythme à travers les buissons n'est pas aussi rapide qu'ils l'espèrent. Ils sont plus lents que sur le sol pavé des rues de Félinin car trop peu habitués à courir au milieu des racines et des rochers. Anya se félicite d'avoir pensé à troquer ses bottines à talons contre des bottes plates. Elle hasarde un regard en arrière. Les mercenaires sont invisibles à sa vue. Elle ne voit que la louve qui les suit, s'arrêtant parfois pour scruter l'orée du bois avant de reprendre sa course.

La bête est incroyablement à l'aise. Ici, elle est chez-elle. Ce bois est son territoire depuis trop d'années, elle en connait chaque recoin, chaque butte, chaque racine. Sans est-ce pour cette raison qu'elle se permet des arrêts fréquents pour évaluer leur avance sur les soldats qui les poursuivent. Car les hommes n'ont pas hésité à entrer dans le bois. Les arbres lui soufflent la présence des intrus.

Ses arrêts inquiètent Anya. La jeune femme a le sentiment que les mercenaires sont proches. Mais lorsque la louve se remet dans leurs traces, elle s'en sent rassurée. Savoir Laïn à ses côtés lui apporte une certaine confiance, comme si rien ne pouvait leur arriver. Pourtant, au vue de la situation délicate dans laquelle ils se trouvent, un peu d'aide serait la bienvenue.

- Nous pourrions l'appeler, affirme Anya en tendant le sifflet à son cou.

Le mage soupire :

- Cat, c'est un sifflet à ultrasons qu'il t'a donné. À moins qu'il ne soit à moitié canin, ce dont je doute fort, il ne l'entendra pas.

- Pourquoi me l'avoir donné en m'affirmant qu'il répondrait à l'appel dans ce cas ?

- Je ne sais pas. Si nous en avons l'occasion, il faudra le lui demander.

- Mais…

Elle n'a pas le temps d'argumenter d'avantage.

Une brèche dans la palissade se présente bientôt. Ils ne peuvent pas l'ignorer. En écartant un peu plus les planches, ils parviennent à passer. Bien qu'ils soient enfin dans le bois, les trois amis ne sont pas rassurés pour autant. Les mercenaires n'ont pas l'air décidés à les laisser s'échapper et la réputation de l'endroit ne les dissuadera pas d'abandonner la poursuite.

Sa morphologie animale lui permettant de courir plus vite que les humains, la louve finit par devancer Anya et le magicien. En tête, elle file vers le Nord. Plus par instinct qu'autre chose. S'ils s'éloignent d'avantage dans le bois, sans doute les mercenaires cesseront-ils leur traque par superstition.

Le couple la suit sans réfléchir. Tout ce qui importe pour l'heure est de parvenir à semer les soldats. Ils envisageront la suite lorsqu'ils n'auront plus à fuir comme des voleurs.

- Pourquoi me donner ce sifflet s'il ne sert à rien ?

- Il nous a bien aidé hier soir.

- Oui, je le reconnais. Cela mis à part, je ne comprends pas pourquoi Kylian m'a donné un objet en me précisant qu'il nous permettrait de l'appeler à l'aide si ce n'est pas le cas.

- Peut-être avait-il une autre idée en tête en faisant cela.

- Laquelle ?

- Je l'ignore, Anya, je ne suis pas dans la tête du garde-chasse.

La jeune femme se rembrunit.

- Il te l'a donné parce qu'il savait que si tu sifflerais dedans en cas de besoin, moi je l'entendrais, lâche alors la Veilleuse.

Elle s'est stoppée en travers du chemin et les deux jeunes gens lui jettent un regard étonné.

- Alors, d'une certaine façon, il ne parlait pas de lui en disant qu'il répondrait à l'appel. Il parlait de toi.

- Lorsqu'il a pris la relève en tant que garde-chasse, ce sifflet nous permettait de nous contacter. Quand il avait besoin de moi, il savait comment me joindre. Ce n'est pas un sifflet pour chien, corrige-t-elle. Il produit un son particulier que je suis la seule à entendre. C'est en lui jetant un sort que tu as pu appeler Fidèle, Dante, puisque tu as fait en sorte qu'il soit le seul à l'entendre. Mais en temps normal, ce sont les Veilleurs qui perçoivent son appel.

- Vous communiquiez grâce à ce sifflet ? s'étonne Anya.

- Au début. Ce n'est plus le cas depuis longtemps. Kylian et moi échangeons de manière différente maintenant. Nous avons appris à nous connaître et à nous côtoyer. Ce qui n'était pas le cas quand nous nous sommes rencontrés. D'où ce sifflet. Mais il n'est devenu qu'un objet à utiliser en cas d'urgence, si je puis dire.

- Je comprends mieux.

Les pensées d'Anya vont bon train. Un détail la turlupine.

Arrivant à la hauteur de la Veilleuse, le mage et la jeune femme se seraient arrêtés volontiers. Mais la louve leur emboîte le pas, ne les laissant pas souffler. Alors, Anya profite de lui demander :

- Hier soir, quand j'ai soufflé dans le sifflet, j'ai entendu le chant d'un loup. Je veux dire, un autre loup.

- Es-tu en train de me dire que tu sais reconnaître ma voix ?

- Je sais que je t'ai entendu chanter. La seconde fois, c'était toi. Comme pour me prévenir que tu arrivais. Mais le premier chant n'était pas le tien et était plus lointain, plus rauque aussi. J'en suis certaine. Est-ce possible ? Ou l'ai-je rêvé ?

La Veilleuse arbore un sourire sur son museau lupin.

- Comme je te l'ai dit, il y a longtemps que Kylian et moi ne communiquons plus par l'intermédiaire du sifflet, explique-t-elle. Je lui ai appris ma langue. Ce loup que tu as entendu n'en était pas vraiment un.

- J'en étais persuadée ! triomphe la jeune femme.

Soudain, elle réalise que cela implique autre chose. Dans ses réflexions, sa course s'arrête alors brusquement. Elle porte une main à son cou pour en tirer l'objet et lui jette un regard perplexe. À ses côtés, la louve s'est stoppée elle aussi. Anya porte son regard sur elle, une lueur d'incompréhension dans les yeux.

- Évy, attends. Comment est-ce que Kylian a pu me répondre le premier s'il n'entend pas le son du sifflet ?

Les yeux de la Veilleuse restent figés dans les siens. Elle ne lui répond pas. Sans doute n'a-t-elle pas de réponse à lui donner. L'ignore-t-elle vraiment ? Puis, ses prunelles se détournent, comme si elle réfléchissait. Mais c'est de courte durée.

- Qu'est-ce que vous faites ? s'inquiète Dante.

Déjà ils entendent à nouveau les mercenaires approcher. Il faut repartir. Anya et Laïn n'ont pas le temps de résoudre ce mystère. D'un même élan, elles s'élancent à la suite du magicien.


© Lynn RÉNIER
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