La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 64 : Vas les Retrouver...

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Cela semble faire des heures qu'ils courent en tentant d'échapper aux soldats lancés à leur poursuite. La jeune femme n'en peut plus. Elle est à bout de souffle. Ses poumons vont finir par exploser. Ils auront beau fuir, les mercenaires finiront par les rattraper, de toute façon. À quoi bon chercher d'échapper à l'inévitable. Mais elle est convaincue que Dante tient une piste solide et ils ne peuvent l'ignorer. D'autant qu'il n'y a pas que leur vie en jeu.

Elle se force à suivre le rythme, bien qu'elle ne soit pas très endurante. Elle a toujours été plus sprinteuse que coureuse de fond. Elle cale ses pas sur ceux de Dante. Du moins, essaie-t-elle. Jusqu'à ce qu'elle se prenne les pieds dans les racines d'un pin et se retrouve par terre plus vite qu'elle ne peut se retenir. Laïn rebrousse aussitôt chemin pour l'aider à se relever.

- Rien de cassé ? s'enquit Dante en revenant sur ses pas.

- Aïe ! gémit-elle en pliant les genoux pour se remettre debout.

Sur son genou droit, le tissu est déchiré, la peau à vif. Ça saigne et ça fait un mal de chien. Elle sert les dents en se relevant.

- Est-ce que ça va aller, pour continuer ?

- Je ne sais pas.

La Veilleuse reprend forme plus humaine, pour déchirer l'une de ses manches afin de bander le genou égratigné d'Anya. La fraicheur du tissu satiné lui fait du bien.

- C'est douloureux mais ce n'est qu'éraflé, la rassure la femme-louve.

- Je peux continuer, lui assure Anya.

- En es-tu certaine ?

- Oui ! Je ne compte pas faire poids mort.

Son amie guette leurs poursuivants de son regard ambré. Elle est bien sérieuse tout à coup. Ses sens sont aux aguets, ses oreilles lupines attentives, ses muscles tendus comme des ressors.

- Évy, qu'est-ce qu'il y a ?

- Ils sont proches.

- Déjà ?!

Laïn ne répond pas. Elle s'éloigne un peu, revenant sur leurs pas de quelques mètres.

- Continuez, ne vous arrêtez pas, prévient-elle.

La femme-louve s'apprête à les quitter pour rebrousser chemin mais Anya s'agrippe à elle.

Elle a remarqué que son amie n'a pas pris la peine de leur donner un lieu de retrouvailles. Elle comprend sans mal ce que cela implique. Alors, aussitôt alertée, elle cherche à retenir la Veilleuse comme elle le peut par la manche de sa tunique :

- Évy, non, supplie la jeune femme.

Elle n'a pas besoin de l'entendre dire pour savoir ce que la femme-louve compte faire. Elle veut leur faire gagner du temps. Et pour ça, elle est prête à se sacrifier. Non ! Anya ne peut pas la laisser faire. Cette seule idée la terrifie.

- Ne fais pas ça… Je t'en prie…

Laïn prend les mains de son amie dans les siennes. Elle a les mains si chaudes, pense Anya. La louve lui adresse un sourire triste, cherchant à la rassurer.

- On dirait une petite fille, se moque-t-elle avec une affection évidente. Ne t'en fais pas pour moi, je suis d'un peuple guerrier, rappelle-toi. Ce ne sont pas quelques mercenaires qui vont m'arrêter. Et puis, vous avez besoin d'un peu de temps pour leur échapper. Si je peux vous l'offrir…

- Mais… tu vas te faire tuer !

La femme-louve vient caresser les cheveux de son amie. C'est un geste tendre, auquel Anya s'abandonnerait bien si la situation ne l'affolait pas.

- Eh bien, si cela doit arriver…

- Je ne le supporterais pas… la coupe la jeune femme.

- Anya, écoutes-moi. Si je dois périr ainsi, c'est un honneur. Il n'y a pas plus belle façon de partir pour les miens. Et il est peut-être temps pour moi de m'en aller retrouver ma meute. J'ai déjà trop vécu.

- Je t'en prie, Évy, ne m'abandonne pas toi aussi…

La femme-louve la prend aussitôt contre elle, la serrant dans ses bras.

- S'il te plait, ne pleure pas…

Elle ne lui dit pas combien la séparation est d'autant plus difficile de la voit pleurer.

- Que vais-je devenir si tu n'es plus là ? sanglote doucement Anya.

- Dante est là pour veiller sur toi désormais, tu n'as plus vraiment besoin de moi, lui souffle la Veilleuse.

- C'est différent. Tu es mon amie, Évy…

Les doigts de la jeune femme se crispent autour de la taille de la femme-louve, comme pour la retenir près d'elle. Elle ne veut pas la laisser partir. Pourtant, elle sait qu'elle ne pourra pas l'en empêcher, quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse…

 

Laïn s'écarte un peu, les mains sur les épaules d'Anya. Elle essuie avec tendresse les larmes qui perlent sur ses joues et lui adresse un sourire tendre.

- Je veillerais toujours sur toi, où que je sois, lui murmure-t-elle.

- Évy…

Anya n'arrive plus à trouver les mots. Que pourrait-elle dire pour convaincre son amie de rester avec eux ? Rien. Elle s'en rend compte. Alors, elle se serre contre la Veilleuse, comme une enfant dans les bras de sa mère.

- Dépêchez-vous de vous en allez tous les deux, lance la femme-louve en posant son regard sur Dante. Vous avez un esprit à libérer.

Le magicien n'ose rien dire. Il a la gorge bien trop nouée pour ça. Il sait aussi que si Laïn a pris sa décision, il ne peut malheureusement rien y changer. Si la voix de la jeune femme ne l'en dissuade pas, alors la sienne n'a aucun poids.

- Je ne peux pas te laisser faire ça, tu nous as déjà tant aidés. Tu…

Mais Anya ne peut en dire d'avantage, elle lit dans le regard de la femme-louve qu'elle n'aspire qu'à une chose, au fond : retrouver les siens. C'est tout ce que souhaite son amie lupine… Elle aurait dû le voir avant. C'est pourtant si évident…

Cette lueur dans les yeux de la Veilleuse, au-delà de l'étincelle magique, n'est autre que de la tristesse. Anya a toujours cru que c'était sa nature lupine qui lui donnait cet éclat si particulier. En réalité, ce n'est que de la culpabilité. Cette affreuse culpabilité d'avoir survécu, de ne pas être morte avec sa meute, de ne pas être tombée aux côtés des siens et de n'avoir rien pu faire pour arrêter ce qui s'annonce…

 

Anya ignore combien de temps Laïn a survécu depuis la tragédie qui l'a privé de son peuple, de ses enfants, de son compagnon, la laissant seule à veiller sur le bois en attendant de pouvoir les rejoindre. Mais la femme-louve est sans doute aussi vieille que les plus anciens arbres du bois, et peut-être est-elle lasse de vivre sans sa famille. La jeune femme n'a pas le droit de la priver de ce dernier choix.

Elle se blottit un instant encore contre Laïn, s'imprégnant de son odeur pour ne jamais l'oublier. La femme-louve lui rend son étreinte, avec une affection presque maternelle.

- Il faut que vous vous en alliez, lui souffle-t-elle. Ne traînez pas.

Anya sent les doigts de Laïn caresser ses cheveux. Si seulement elle avait pu connaître la vérité sur la Veilleuse en d'autres circonstances… Si seulement elle avait compris plus tôt qui est vraiment Évelyn, ce qu'elle est réellement…

Elle ne veut pas la quitter, surtout pas en cet instant. Elle qu'elle considère comme une sœur, sa plus chère amie. Que deviendra-t-elle si elle n'est plus là ? Sa vie chez les D'Avila ne sera plus jamais la même. Elle a déjà perdu Gautier, elle ne veut pas perdre Évelyn.

D'ailleurs, Évelyn ou Laïn, quel que soit son véritable prénom, Anya s'en moque bien. Elle ne veut tout simplement pas la laisser s'en aller.

- Cat, la presse Dante, on doit y aller….

Elle sent bien la tristesse dans sa voix. Et elle ne peut que la partager. Lui aussi a de la peine de devoir laisser partir Laïn ainsi. Pourtant, ils en ont déjà discuté… Alors…

- Écoutes-le, Anya. Il a raison.

- Je sais, Évy, mais…

La jeune femme se défait à contre cœur de la chaleur de Laïn, et en croisant son regard, lit de nouveau cette lueur dans les yeux dorés de la femme-louve. Elle en a un sourire triste, mais se résout à laisser son amie s'en aller :

- Vas les retrouver, dit-elle à la femme-louve. Vas les rejoindre en digne guerrière. Et merci pour tout. Tu me manques déjà tellement…

- Ce n'est qu'un au revoir, répond Laïn avec douceur. Qui sait, peut-être nous reverrons nous après ça. Maintenant, filez. Avant que vous ne vous fassiez prendre. Et n'oubliez pas de rendre justice à Gautier. C'est tout ce qui compte. Que son esprit soit libre de rejoindre l'Autre-Monde et que les soupçons ne pèsent plus sur vous.

- Je te le promets ! Que tu ne te sacrifies pas en vain. Je te le promets.

- Je n'en doute pas.

Laïn se tourne ensuite vers le magicien :

- Prend bien soin d'elle, jeune homme. Je te la confie.

- Je saurais me montrer digne de ta confiance, Laïn. N'aie crainte.

Ils échangent un regard que la jeune femme ne sait interpréter. La femme-louve semble savoir quelque chose sur son compagnon qu'elle ignore. Puis, après un baiser posé sur le front d'Anya, et un éphémère sourire à Dante, la Veilleuse s'enfonce dans les buissons pour faire face aux mercenaires.

- Vas les retrouver, répète Anya comme si Laïn pouvait encore l'entendre.

- Viens Cat, souffle Dante en posant une main sur son épaule. Ne gâchons pas le temps qu'elle nous offre… Elle risque de sacrifier sa vie pour qu'on puisse résoudre cette affaire…

La jeune femme tourne son regard vers lui et est presque surprise de le voir si peiné.

- Si seulement nous pouvions empêcher ça…

Le jeune homme aux yeux violets s'en mord les lèvres.

- Tout est de ma faute. Si je ne t'avais pas embarqué dans cette histoire malgré toi, si je n'étais pas venu trouver refuge auprès de Laïn, elle…

- Ce n'est pas de ta faute, Dante. C'est à cause du véritable coupable que nous en sommes arrivés là. Ne te blâme pas. Tu ne pouvais pas te livrer à eux alors que tu es innocent et qu'ils pensent tous le contraire. Quel jugement t'auraient-ils réservé ?

- Je ne préfère pas le savoir.

- Moi non plus…

Dante lui tend la main, l'invitant silencieusement à se joindre à lui.

- Alors, ne laissons pas le sacrifice de Laïn vain. Nous devons résoudre cette affaire.

- Oui.

Anya glisse ses doigts dans ceux du jeune homme. Et sans trop savoir pourquoi, c'est un peu comme si elle a attendu cela dès l'instant où elle l'a surpris dans l'étable, pour fuir les soldats avec lui un peu malgré elle…

Dante l'entraîne à sa suite, et cette fois, elle ne fait rien pour l'en empêcher, se laissant guider aveuglément à travers le bois, en toute confiance et sans apriori. Elle ne peut s'empêcher toutefois de jeter un regard angoissé vers l'orée du bois où la femme-louve s'est lancée. Elle espère secrètement que leur allier et amie survivrait à son combat. Pourtant, au fond d'elle-même, elle sait que pour Laïn cette bataille est la dernière…


© Lynn RÉNIER
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