La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 67 : Noble Guerrière

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

L'obscurité tombe sur le champ de bataille. Le sang imprègne le tapis herbeux d'un rouge vif et l'odeur ferrique emplit l'air. La femme-louve a livré son dernier combat et elle s'est montrée digne de son clan, de son rang de Veilleuse. Ses adversaires n'en sont pas sortis indemnes. Les mercenaires qui ont osé pénétrer dans le bois sont repartis en fuyant avec un souvenir qui les hantera toute leur vie, s'ils ne sont pas morts sous ses crocs ou sous sa lame.

Elle ne leur a laissé aucune chance. Après tout, c'est son rôle. Passant d'une forme à l'autre, la louve autant que la guerrière a frappé l'ennemi sans relâche jusqu'à ce qu'il périsse ou détale comme un lapin. Que de vie gâchée s'est-elle dit en voyant les hommes tombés. Seulement, sans cela, comment rendre justice aux disparus ? Comment protéger Anya et Dante si elle n'arrête pas ceux qui en veulent à leur existence ? Comment protéger le bois, Félinin et même le Royaume de Lincéa de la folie du sorcier si elle ne prend pas les armes ?

Maintenant qu'elle a joué son rôle, qu'elle est allée au bout de la mission que les Dieux lui ont confiée, Laïn est épuisée et blessée. L'une des lames de ses adversaires est venue se ficher entre ses côtes et tout s'est subitement arrêté. La femme-louve n'a plus la force de rejoindre la tanière pour s'y abandonner. Elle est restée là où elle est tombée, sans parvenir à se relever. Alors, recroquevillée sous le couvert des arbres, sa queue lupine enroulée autour d'elle, elle attend. Le vent souffle doucement dans ses cheveux, comme une caresse, et Laïn réprime un frisson. Elle a soudain si froid.

La lueur de la lune qui se lève l'apaise. Et elle ferme doucement les yeux en rêvant de revoir son compagnon une dernière fois… Cependant, on ne lui permet pas de partir. Pas tout de suite. Pas encore. Un bruissement de feuille la réveille. Avec une grimace de douleur, elle se relève péniblement. Est-ce un autre adversaire qu'elle n'a plus la force de repousser ? Est-elle bien éveillée, ou est-elle déjà partie rejoindre les siens ?

L'épuisement ne lui permet pas de voir distinctement. Sa vision est trouble, floue. Est-ce son imagination ou une silhouette humaine avance vers elle ? La crainte lui vrille l'estomac et une douleur lancinante dans ses côtes se réveille soudain. Aspirant l'air entre ses dents serrées, elle porte aussitôt une main à sa blessure. L'odeur ferrique la prend au nez tandis qu'un liquide poisseux et chaud coule entre ses doigts crispés.

Malgré la douleur qui l'enfièvre, elle tente de rester vigilante car bientôt une respiration haletante lui parvient, accompagnée d'un bruit de métal. Un soldat ! Ses pupilles se dilatent et par instinct, elle saisit la poignée de son sabre. Mais a-t-elle la force de le manier une dernière fois ? La lame lui semble soudain si lourde.

 

L'homme s'approche, levant son arme au-dessus de sa tête pour l'abattre sur elle. Les yeux presque aveugles de la femme-louve ne perçoivent de lui qu'une ombre floue mais elle sait ce qui s'annonce. Elle s'attend à recevoir le coup de grâce, incapable de le contrer, quand un grondement rageur et menaçant lui parvient et semble arrêter les aiguilles du temps.

Le grondement animal résonne dans le bois comme l'écho dans une grotte. Puis, un sifflement dans l'air coupe le soldat dans son geste. Il n'a que le temps d'un hoquet surpris avant que le son d'une lame fendant le bois laisse planer le silence.

À bout de forces, la femme-louve se laisse tomber dans les feuilles, son sabre toujours dans sa main. Un mouvement se fait près d'elle. Elle ne réagit pas : il n'y a rien de menaçant dans cette nouvelle présence. Sa vue trouble ne lui permet pas de voir qui est l'intrus. Seul un léger parfum de bois fumé lui parvient. Elle croit rêver et son esprit vacille. L'épuisement peut-être.

Quelqu'un s'accroupit alors à ses côtés et glisse une main dans ses cheveux, caressant ses oreilles lupines.

- J'ai si froid, murmure-t-elle.

La douleur est telle qu'elle peine à rester consciente. La fièvre accapare son esprit. Elle chancèle entre lucidité et égarement. Les dents serrées et sa respiration devenant difficile, Laïn lutte. Mais ses yeux presque aveugles se posent sur celui qui se tient à ses côtés.

L'inconnu glisse un bras dans son dos pour la serrer contre lui. Ses gestes sont si doux, attentionnés. Et cette chaleur qu'il dégage est… bienfaisante. Elle discerne une silhouette presque lupine, des cheveux d'un brun cuivré et des yeux dorés. Elle doit rêver. Cela ne peut-être réel…

 

En d'autres circonstances, elle ne se serait pas laissée gagner par cette brume. Elle aurait sur garder l'esprit posé et lucide. Cependant, en cet instant, sa lucidité s'en est allée et elle ne parvient plus à faire la différence entre rêve et réalité, s'il en est.

- Est-ce bien toi ? appelle-t-elle d'une voix sifflante.

- Repose-toi, noble guerrière. Tu t'es bien battue, lui répond une voix grave et profonde comme venant d'un autre âge.

Tandis que ses yeux se voilent peu à peu, un sourire rêveur se dessine sur les lèvres de Laïn. Elle tend une main vers le visage de celui qui se tient près d'elle. Si elle ne peut le voir, elle veut au moins pouvoir le toucher. Des doigts chauds se mêlent aux siens, accompagnant son geste.

La peau de l'inconnu est douce, chaude. Sur ses joues court un duvet de quelques jours. Ses cheveux sont un peu longs, leurs pointes venant danser dans sa nuque. Elle aventure ses mains dans ces mèches brunes pour caresser des oreilles lupines, et ses yeux se remplissent de larmes.

- Si tu savais… Tu m'as tellement manqué…, gémit-elle.

La fièvre la fait délirer et elle ne sait plus vraiment ce qu'elle dit. Elle est persuadée d'avoir franchi le portail qui mène à l'Autre-Monde. Pourtant, la douleur est toujours là, lui rappelant qu'elle n'est pas tout à fait partie, qu'elle est encore dans le monde des vivants.

Les doigts de l'inconnu se serrent un peu plus autour des siens. Des lèvres chaudes se posent dans sa paume tandis qu'elle caresse l'arrête de son visage.

- Je sais, murmure la voix. Toi aussi.

Si seulement ses yeux ne la trahissaient pas… Elle aurait tant aimé le voir…

Peu à peu, son esprit vacille et s'égare d'avantage. Elle n'a plus la force de rester éveillée, elle voudrait simplement pouvoir s'endormir.

- Repose-toi, murmure de nouveau cette voix. Je veille sur toi désormais, et jamais plus je ne te laisserai.

Puis, l'inconnu la prend dans ses bras avec douceur et elle se love contre lui, posant sa tête sur son épaule. Bercée par le souffle chaud et la démarche souple de celui qui l'emmène avec lui, ses yeux finissent par se fermer, en un repos qu'elle n'espérait plus…


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© Lynn RÉNIER
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