La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 68 : Une Vérité à Livrer

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

La caserne leur semble austère lorsqu'ils approchent. C'est pourtant un bel ouvrage d'architecture qui se dresse sur la Place de la Fontaine. Le bâtiment offre une large façade de deux étages chapeautés d'une mansarde et d'un toit d'ardoise. Le rez-de-chaussée comporte neuf arcades vitrées ornées de colonnes, dont huit d'égale ouverture.

La neuvième, centrale, est plus haute et plus large. Elle abrite une porte d'entrée colossale de bois magnifiquement sculpté avec en son sommet un médaillon rappelant l'emblème et le nom de la Brigade.

Le premier étage est ponctué de colonnes encadrant neuf hautes fenêtres à croisillons surmontées d'imposte. Le second étage est plus simple avec de petites ouvertures rectangulaires donnant certainement sur des bureaux.

Sur cette petite place où siège une fontaine à l'effigie du lion de la ville, le bâtiment fait rempart, niché entre les habitations de sorte en qu'il soit au centre et attire aussitôt l'œil. Un peu plus bas se trouve l'hôtel-de-ville et la grande place du marché. Dos aux Montagnes du Grincheux face à la Baie des Oies, la caserne tient ainsi une position stratégique, surplombant la ville et son port.

À la seule vue de cette façade éclairée par le soleil couchant, une certaine crainte envahie Dante. L'Inspecteur lui laissera-t-il s'expliquer ? Lui permettra-t-il de lui exposer ses hypothèses et ses conclusions sur l'enquête ? Ou l'arrêtera-t-il aussitôt la porte franchie ? Et s'il daigne l'écouter, le croira-t-il ?

Les avis de recherches placardés sur le panneau d'affichage près du porche le mettent soudain très mal à l'aise. Le portrait qui est fait de lui est plutôt ressemblant. Il doit bien avouer qu'il ne passe pas inaperçu au milieu des féliniens. Il dénote avec ses cheveux longs et son manteau tombant sur ses mollets.

Par chance, l'avis de recherche concernant sa complice ne présente pas Anya de façon évidente. Il dépeint simplement une jeune femme d'une vingtaine d'années, sans doute capable de faire usage de la magie, sans de plus ample détail. Sa camarade est hors de danger, un soulagement que le mage ne peut cacher.

 

Tandis qu'il hésite, figé devant la façade de la caserne, Anya glisse sa main dans la sienne. Surpris, il lui jette un regard. Un sourire illumine le visage de son amie et il lit dans ses yeux tout son soutien. Un soutien qui lui fait un bien incommensurable.

- Tout se passera bien, lui dit-elle. Frank Hotch t'écoutera. J'en suis certaine. Kylian et Évy semblent avoir confiance en son jugement. Ils ne nous auraient pas poussés à venir le trouver autrement, ne crois-tu pas ? Alors, je crois que nous pouvons avoir confiance en lui nous aussi.

Il garde le silence et ses doutes pour lui. Il n'a pas besoin de les lui exposer, elle les lit sur son visage. Cela fait peut-être quelques jours à peine qu'ils se connaissent et se côtoient, et pourtant, ils ont le sentiment l'un et l'autre de se connaître depuis toujours. Il lit en elle comme elle lit en lui. Cette pensée lui arrache un timide sourire.

Ainsi, ensemble, ils entrent dans la caserne, main dans la main, se donnant du courage. Le seuil franchi, les agents de la Brigade du Lynx braquent sur eux un regard soupçonneux et inquisiteur. Ils mettent un quart de seconde à reconnaître le mage et s'apprêtent à réagir en conséquence. Mais avant qu'ils ne lui passent les menottes, Dante les arrête :

- Je demande à voir l'Inspecteur Hotch, clame-t-il d'une voix forte.

Tous se regardent, surpris.

- Qui me demande ? lâche une voix grave.

Un homme se détache du groupe.

Grand et large d'épaules, il domine bon nombre de ses collègues. La quarantaine affirmée, les cheveux courts, une barbe de quelques jours taillés avec soin et le regard vert, difficile de ne pas reconnaitre l'Inspecteur quand on le voit. Il jette à Anya un regard étonné avant de reporter son attention sur le jeune mage qu'il détaille de la tête aux pieds.

Frank Hotch scrute le nouvel arrivant avec méfiance, espérant qu'il ne déchaîne pas sa magie dans sa caserne.

- Seriez-vous venu vous rendre, jeune homme ?

De toute évidence, l'Inspecteur l'a reconnu et sait pour quoi il est là.

- Ce n'est pas tout à fait le mot, spécifie le mage. Je viens porter de nouveaux éléments à votre enquête sur le meurtre de Gautier Jorly.

L'Inspecteur lui jette un regard surpris. Dante entreprend de lui expliquer :

- Si vous voulez bien m'accorder un peu de votre temps pour m'écouter jusqu'au bout, je n'opposerais alors aucune résistance si vous tenez à m'arrêter après avoir écouté ce que j'ai à dire.

L'homme l'observe avec attention, méditant sa demande. Ses agents attendent ses ordres, sur leurs gardes, tendus. Un mage dans leurs locaux les met dans un état de nervosité palpable. Et c'est compréhensible. Après tout, ils n'ont jamais été confrontés à un magicien avant cela.

- Je ne tolèrerais aucun coup fourré, lâche enfin Frank.

- Je ne suis pas venu vous trouver pour jouer, Inspecteur. Je n'ai nullement l'intention de faire usage de ma magie contre vous, soyez-en assurés. Je suis là pour vous aider à résoudre cette enquête. Et le temps presse.

- Vraiment ?! se moque l'un des agents présents. On le traque depuis des jours et c'est lui qui vient nous dire ça ?!

Frank tourne vers le dit agent un regard qui lui coupe le sifflet et lui fait ravaler son sarcasme.

- Ce garçon est peut-être recherché dans l'affaire du meurtre du palefrenier, mais dois-je vous rappeler qu'il est innocent jusqu'à preuve du contraire. Il est venu nous trouver et il a quelque chose à dire, c'est la moindre des choses que de l'écouter ! Nous aviserons ensuite s'il y a lieu de se moquer ou non. Est-ce bien clair ?

Dante n'en croit pas ses oreilles et reste un peu hébété de constater que le professionnalisme de l'Inspecteur dépasse de loin sa réputation déjà élogieuse.

- Eh bien, mon garçon. Nous t'écoutons, le réveille Frank.

- S'il est possible de faire cela en aparté, ce sera sans doute long.

L'homme lui jette un regard soupçonneux. Craint-il un piège quelconque ?

Anya intervient alors, constatant que Frank ne sait comment agir avec son ami. Le fait de se trouver face à un mage le rend nerveux et son regard en dit long sur ses réflexions. Mais elle connait son attachement à faire toute la lumière sur l'affaire qui les occupe. Alors, jouant sur son désir de vérité, elle plaide en faveur du magicien.

- S'il vous plait, Inspecteur, insiste-t-elle. Nous souhaitons simplement vous parler et ajouter des éléments à votre enquête. Sans doute vous permettront-ils de résoudre l'affaire.

- Je suis bien étonné de vous trouver ici et en pareille compagnie, Mademoiselle Valentin, lui répond l'homme. On m'a fait savoir que vous étiez retournés chez vos parents à Marosie pour vous remettre du décès de votre ami, alors que je vous avais demandé de rester à Félinin. Et vous voilà dans ma caserne à vous présenter aux côtés du sorcier que nous recherchons. Avouez qu'il y a de quoi être surpris. Mais je vous sais innocente dans cette histoire et veut bien croire en la bonne foi de votre ami. À la condition qu'il ne fasse pas usage de ses pouvoirs dans mes locaux.

- Je ne me le permettrais pas, précise Dante.

- … Dans ce cas, suivez-moi dans mon bureau. Messieurs, vous pouvez retourner à ce que vous faisiez, ajoute Frank à ses agents.

Ces derniers se remettent à leurs occupations et l'homme fait signe au couple de le suivre.

 

Le bureau de l'Inspecteur à un certain charme. Il rappelle un peu celui du Marquis D'Avila. Anya s'y sent immédiatement en confiance. Mais Dante reste sur la réserve et demeure méfiant. Ne vient-il pas se jeter dans la gueule de l'Ours ?

- Asseyez-vous, invite Frank en désignant les fauteuils face à son bureau.

Sur le côté, assis prêt de sa machine à écrire, Matt ne peut cacher qu'il est intimidé par la présence du magicien. Pourtant, curieusement, un regard rapidement échangé avec Dante le rassure. Leur suspect numéro un n'a rien d'un meurtrier. Ou tout du moins, il n'a rien du meurtrier auquel il s'attendait.

Les meurtres commis, et en particulier celui du jeune palefrenier, montrent un coupable sadique, qui prend plaisir à faire souffrir ses victimes avant de les achever. Et les déductions du médecin légiste présagent que le sorcier œuvre à quelque chose de plus terrible encore que ces assassinats sordides. Alors, l'assistant de Frank s'est imaginé un meurtrier dont le physique traduirait explicitement le psychologique malsain.

Or, le mage qui vient d'entrer dans le bureau de l'Inspecteur n'a rien de malfaisant. Au contraire, même. Son regard violet quoi que peu commun est presque doux, lucide et clair. Certes, une lueur de crainte s'y lit. Mais au vue de la situation, quoi de plus compréhensible. Et Matt reste surpris de découvrir que le suspect recherché n'est pas vraiment comme il se l'était imaginé.

- Prends en note tout ce qui sera dit, précise Frank à son intention tandis qu'il gagne son fauteuil.

- Bien, Inspecteur.

Son assistant s'installe derrière les touches cuivrées de sa machine à écrire et s'apprête à enclencher son enregistreur.

Un lourd silence s'installe l'espace d'une minute. Un bref instant, semblant être une éternité. Le jeune mage et l'Inspecteur se jaugent, s'étudient. Le premier se demandant s'il a pris la bonne décision et le second se demandant s'il peut faire confiance au suspect numéro un de son enquête. Puis, Frank joint ses mains devant son menton :

- Jeune homme, je vous écoute.

Alors Dante lui relate tout ce qui s'est passé et tout ce qu'il sait.


© Lynn RÉNIER
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