La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 70 : Preuves à l'Appuie

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

L'Inspecteur Hotch les observe, méditatif. À force, de par son métier, il sait reconnaître les menteurs. Et rien chez les deux jeunes gens qu'il a face à lui ne laisse supposer qu'ils s'amusent à le mener en bateau. Ils sont incères. D'autant qu'il ne doute pas un seul instant de l'innocence de Catanya Valentin.

Cette demoiselle a été si affecté par le décès prématuré de son ami et n'a aucune raison d'avoir commis pareil crime. Il n'envisage pas un seul instant de la suspecter. Son innocence se lit sur son visage et elle semble bien maladroite en mensonge. La moindre émotion se devine aisément dans son regard et ses pommettes rosissent au moindre stress. Or, à cet instant, sa peau claire n'arbore aucune rougeur émotionnelle.

Quant au jeune magicien, il est calme, cohérant dans ses propos même si ce qu'il relate peut sembler farfelu. Une pointe de nervosité se fait sentir dans sa voix, mais on ne peut l'imputer à la tromperie ou au mensonge. Il s'agit plutôt d'un stress lié à la situation. Frank veut bien lui reconnaître qu'il doit l'intimider et que d'être le principal suspect de toute cette affaire ne doit pas le mettre des plus à l'aise.

Alors, l'Inspecteur se fait à l'idée que le couple lui dit la vérité. Certes, tout ceci paraît incroyablement fantasque et peu concret. Pourtant, plus il écoute le jeune homme, plus son esprit d'enquêteur se réveille et trouve des liens entre ces propres constatations et les éléments que Dante Cait-Sidhe vient lui apporter. Aussi abracadabrantesque celui puisse paraître, il y a un fond de vérité qu'il ne peut nier.

Pour s'assurer de la véracité des dires du magicien, il doit tout de même en avoir les preuves. Et ce n'est pas une mince affaire, puisque le jeune homme n'a que ses dires et ses conclusions à porter à l'enquête. Ne reste à Frank qu'à lui poser les bonnes questions pour éclaircir les différentes hypothèses et suivre le raisonnement de Dante vers la vérité.

- Admettons qu'Hubert Vannier et Monsieur de Olstin soient impliqués avec le sorcier, reprend-t-il. À quoi leur serviraient ces organes ? Vous parliez d'une liste d'ingrédients. Pour quoi faire ?

- Pour préparer un sort, Inspecteur. Lorsque l'on use de sang humain en pratiquant la magie, cela n'engage rien de bon. Et si j'en crois ce que j'ai appris au cours de ma formation, ces organes entrent dans la composition d'une recette de sort très puissant permettant au sorcier qui le lance de s'accaparer les pouvoirs d'un autre magicien, ou de toute la magie présente en un lieu.

- Si je suis bien votre raisonnement, le sorcier a volé des organes humains pour lancer un sort qui lui permettrait d'accroitre ses pouvoirs.

- C'est cela, Inspecteur.

- À qui veut-il les voler ?

- Au Bois Interdit.

Un silence de plomb s'abat soudain.

- Ne vous ai-je pas dit que j'ai été envoyé ici par l'Assemblée des Hauts-Mages parce que le Bois Interdit est en danger ? reprend Dante. Le sorcier, qui œuvre dans votre ville et qui a assassiné ou fait assassiné le palefrenier et la lavandière, prépare un sort qui vise à voler la dernière magie primaire. Et elle se trouve au cœur du bois. Si jamais le sorcier y parvient, alors la magie disparaîtra définitivement et cela pourrait avoir de lourdes conséquences.

- Vous dites cela car vous êtes vous-même sorcier et que vous perdrez vos pouvoirs. Mais cela ne nous concerne en rien, si nous n'en avons pas.

- Non, Inspecteur, vous vous trompez. Nous autres magiciens ne seront pas les seuls impactés. Cela aura également des effets sur ceux qui sont dépourvus de magie. Et avant que vous ne me posiez la question, j'ignore exactement de quelle manière. Tout ce que je sais est que les êtres pourvus de magie ne seront pas les seuls à en souffrir. Pour beaucoup, la magie est néfaste quand elle n'est pas un simple conte pour enfants. Pourtant, ce que tous ignorent est que la magie régit bien des choses en ce monde. C'est à elle que l'on doit ce que nous sommes aujourd'hui. Sans elle, l'homme serait encore un chasseur-cueilleur ou un simple pécheur, à vivre au jour le jour. Si nous jouissons de certains avantages techniques aujourd'hui, c'est un peu grâce à elle. Les forces de la nature dont nous puisons notre avancée technologique viennent de cette magie primaire. Sans elle, nous risquerions de perdre bien plus que quelques tours de sorcellerie. Comprenez-vous ?

- Je commence à comprendre, avoue l'Inspecteur. Avouez-tout de même que cela peut paraître difficile à croire.

- Je sais combien c'est ardu d'envisager les choses ainsi quand on pensait que rien de tout cela n'existait.

- Certes. Le problème étant que vous n'avez aucun élément plausible à me présenter pour appuyer vos dires. Et que vous accusez Hubert Vannier et le Comte de Richwel d'être complices du sorcier que nous recherchons.

- Je le déplore. La seule preuve que je possède est cet insecte mécanique.

Dante sort le frelon métallique de son manteau pour le présenter à l'Inspecteur.

- Est-ce l'automate qui vous aurez attaqué ?

- C'est lui. Et hormis me mener à celui qui me l'a envoyé, j'ai peur qu'il n'apporte pas d'avantage de preuve à votre enquête.

- Ce serait un bon début pour prouver vos allégations. Vers qui, selon-vous, ce drôle d'oiseau nous mènerait-il ?

- Je l'ignore pour l'instant. Je n'ai que quelques soupçons.

- Et quels sont-ils ?

- Après avoir surpris la conversation entre Charles de Olstin et le sorcier, je suis convaincue que le Comte est impliqué. Cela ne fait, pour moi, aucun doute quant à la teneur de leur propos. Mais l'identité du sorcier reste une inconnue. Je ne peux que supposer qu'il s'agisse d'une femme au vue du timbre de sa voix et de sa silhouette fine.

- Charles de Olstin n'a rien à gagner à ce que le sorcier vole la magie qu'abrite le Bois Interdit, alors que vient-il faire dans cette histoire ? Ce sont ses employés qui ont été assassiné.

- Ils ont conclu une alliance afin que l'un comme l'autre y trouve son compte. Ils ont des objectifs différents mais pour les mettre en œuvre, ils ont fait cause commune.

- D'accord. Partons du principe que le sorcier cherche à voler la magie pour accroitre ses pouvoirs. Pour cela, il a besoin d'organes humains. Mais pourquoi Charles de Olstin lui aurait-il permis de tuer ses employés ?

- Il y a un lien avec l'homme qu'il retient captif.

- Le supposé naufragé ?

- Oui. L'unique rescapé du naufrage du Neptune, précise Dante. Cet homme sert de moyen de pression sur une noble dame de la ville.

- Et nous supposons que cette dame serait la Marquise des Arflors, ajoute Anya.

- C'est tout bonnement impossible. Quelle chance y aurait-il pour qu'il s'agisse réellement d'un des passagers du navire ? Et quelle chance y aurait-il pour que cet homme soit Josh D'Avila ?

- Infime, j'en conviens, Inspecteur. Mais supposons que c'est là que le sorcier entre en jeu dans les plans de Charles de Olstin.

- Je ne comprends pas.

- Imaginons un instant que le sorcier ait fait en sorte que la tempête épargne le Marquis et que la mer aussi déchaînée fusse-t-elle l'ai rejeté prêt de nos côtes. Ne restait alors au Comte que de le récupérer et l'emprisonner pour faire pression sur Dame Inarah afin qu'elle cède à ses demandes. Tout le monde au Domaine des Arflors pourra témoigner que le Comte lui fait régulièrement des avances. Bien avant que son époux ne disparaisse, et plus encore depuis. Vous connaissez le personnage bien plus que moi et vous n'ignorez certainement pas son ambition dévorante.

- Serait-ce une simple histoire d'ambition ?

- Il semblerait.

- Le sorcier comme le Comte cherchent à acquérir d'avantage de pouvoir, résume l'Inspecteur. L'un en magie, l'autre en affaires. Et ils se sont donc associés pour arriver à leur fin. Cela semble plausible sur le mobil. Sur les faits, j'émets quelques doutes.

- Le sorcier ayant rempli sa part du contrat, reprend Dante, c'est à Charles de Olstin de remplir la sienne. Et c'est là que Gautier Jorly devient une victime idéale. Le malheureux ayant découvert ce que cachait le Comte sous la ville, il est devenu gênant. En l'éliminant, Charles fournit ainsi les ingrédients nécessaires au maléfice du sorcier. Quant à cette pauvre lavandière, je suppose qu'elle a vu ou su ce qui s'est passé pour son collègue, et a tragiquement connu le même sort que lui.

"Mais leur plan s'est trouvé compromis quand j'ai commencé à mettre mon nez dans leurs affaires. L'Assemblée des Hauts-Mages a eu vent de l'affaire de meurtre et de la présence d'un sorcier à Félinin, et m'a donc envoyé enquêter. Certes, cela a arrangé le sorcier et le Comte que je devienne votre suspect principal après les meurtres. Comme Gautier, je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Un suspect idéal qui leur permettait d'agir en toute discrétion et de ne pas être inquiétés puisque toute votre attention était portée sur moi.

- Cela n'est que suppositions. Et quand bien même, la Marquise des Arflors ne nous a jamais signalé être sous la menace de son voisin.

- Peut-être n'a-t-elle pas la possibilité de le faire, sous peine de perdre son époux.

- Elle le croit disparu en mer depuis des mois.

- Sans doute. Mais comment pensez-vous qu'elle réagira en apprenant qu'il est toujours en vie, retenu prisonnier au fond d'une cellule par son voisin qui menace de le tuer si elle ne lui accorde pas ce qu'il demande ?

- Une femme amoureuse serait prête à tout pour sauver celui qu'elle aime, murmure Anya.

L'Inspecteur se lève, pour faire les cents pas dans son bureau.

- J'entends bien ce que vous me dites. Et aborder ainsi, cela se tient. Je ne suis pas au fait de tout sur mon enquête car je n'ai pas pu découvrir ce que vous avez eu la possibilité de découvrir. Si l'existence de ce prisonnier, quel qu'il soit, s'avère exacte, l'enquête prend alors une toute autre tournure. Et vos allégations s'avèrent être d'excellentes hypothèses. Cependant, sans preuve, je ne peux pas m'appuyer sur vos seules paroles.

- N'y-a-t-il pas un moyen de confirmer tout cela ? ose Matt.

Frank jette un regard à son assistant. Est-il sérieux ?! Croirait-il les dires du magicien ?

- Crois-tu pouvoir refaire le sort de vision ? demande Anya à son ami.

Le jeune homme esquisse un sourire :

- Il y a peut-être un moyen de vous convaincre, Inspecteur.

L'homme se tourne vers le magicien, inquisiteur.

- Et de quelle façon ?

- Accepteriez-vous de m'accompagner dans le tunnel sous Félinin ? Je saurais vous y prouver ce que j'avance. En ce qui concerne le Comte de Olstin, tout du moins.

- Dois-je m'attendre à quelque fourberie de votre part, jeune homme ?

- Tout ce que je vous demande est de me faire confiance, Inspecteur. Je n'ai rien à gagner à vous égarer.

- Vous ne verrez pas d'inconvénients à ce que je prenne des renforts ?

- Aucunement. Faites ce que bon vous semble.

- Dans ce cas, montrez-moi ce fameux tunnel.

- Avant cela, puis-je vous emprunter une carte de la ville ?

- En quoi en aurais-vous besoin ?

- Nous verrons cela plus tard, Inspecteur.

Frank lui adresse une nouvelle fois ce même regard suspicieux. Puis, il fait signe à son assistant de trouver une carte. Matt s'y attèle aussitôt, n'oubliant pas de glisser son enregistreur vocal dans la poche de sa veste.

Tandis que Dante et Anya traversent la caserne pour gagner la sortie sous le regard appuyé des agents de la Brigade du Lynx, l'Inspecteur fait appel à trois de ses hommes pour l'accompagner. Les deux amis l'attendent sur le pas de la porte et Matt les rejoint, une carte de Félinin roulée à la main.

- Par curiosité, à quoi vous servira-t-elle ? demande-t-il au magicien en lui tendant la carte.

- À démasquer le sorcier.

- De quelle façon ?

- Un magicien ne doit pas révéler ses tours, plaisante Dante.

L'assistant de Frank sourit. Finalement, ce curieux personnage lui plait bien.

- En route, clame l'Inspecteur. Monsieur Cait-Sidhe vous m'indiquerez le chemin, je vous prie.

Il est tard lorsqu'ils sortent de la caserne. Pendant leur entretien, la nuit est tombée, plongeant Félinin dans l'obscurité. Seuls les lampadaires disséminés à intervalles réguliers le long des rues offrent une luminosité rassurante. Installés à bord de la voiture de Frank, ils prennent donc la direction du quartier des villas.

 

Sur les indications du magicien, l'Inspecteur conduit jusqu'au Domaine de Gast. Sur leur trace, un second véhicule à bord duquel se trouvent trois agents de la Brigade du Lynx. Les voitures arrêtent leur course au bord du bois et tous descendent. Les phares encore allumés dessinent des ombres mouvantes sur le mur. L'alcôve intrigue aussitôt Frank et ses hommes.

- C'est donc la seconde entrée du tunnel dont vous me parliez, suppose-t-il.

- Oui, c'est elle. Avec un peu de chance, nous n'y croiserons personne.

Dante ne prend pas la peine de préciser que les mercenaires ont dû quitter les lieux suite à son évasion, et qu'il espère que la plupart d'entre eux sont tombés sous les crocs de la Veilleuse ou la hache du garde-chasse.

Le groupe s'engage par la trappe, descend les marches et débouche dans le tunnel. Les agents de la Brigade du Lynx allument leur lampe à dynamo et éclairent ainsi le couloir. Le jeune magicien et l'Inspecteur en tête, ils gagnent bientôt le bout. Là, les hommes de la milice restent interdits. Ils ne s'attendaient pas à découvrir cela sous la ville.

Mais Dante ne leur laisse pas le temps de se remettre. Il se met aussitôt au travail et sort de la poche de son manteau son étrange paire de lunettes. Il tient dans la paume de sa main et dessine six petits cercles au-dessus du bout de ses doigts.

- Répéat aliquotiens, chante-t-il.

Ses vérobscurs se voient multiplier plusieurs fois jusqu'à ce que chacune des personnes présentes puisse en avoir une paire. Il leur fait signe de mettre les lunettes aux verres fumées sur leur nez. Les agents hésitent mais, les voyant faire Anya et lui, ils finissent par l'imiter.

Le jeune mage se place ensuite devant la porte et s'arme d'une fiole au liquide poisseux et gris. L'Inspecteur et ses hommes reculent par méfiance tandis que Dante jette le petit récipient au sol. Le bruit de pétard les alarme et ils s'apprêtent à stopper le magicien quand soudain un phénomène étrange les arrête.


© Lynn RÉNIER
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