La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 73 : De l'Autre Côté du Miroir

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Allumant la lampe de chevet, Joseph peste. Il n'a pas rêvé : on tambourine bien à la porte. Qui est l'importun qui ose venir déranger les D'Avila en cette heure indue ? Enfilant une robe de chambre, il plonge ses pieds dans ses chaussons et glisse ses lunettes sur son nez. Un coup d'œil à la petite horloge qui trône sur la commode lui confirme ses soupçons : trois heures quinze du matin. Intolérable !

Il saisit sa petite lanterne à gaz et se dirige d'un pas encore ensommeillé vers l'entrée. Fidèle s'y trouve déjà, grondant devant la porte.

- Bon Dieu ! jure-t-il quand le tambourinement se fait plus fort et plus pressé.

D'un geste, il fait taire le chien qui s'assoie à ses côtés. Le loquet déverrouillé, Joseph entrebâille la porte pour voir le visage de celui qui le fait se lever si tôt. Quelle n'est pas sa stupéfaction de croiser le regard de Charles de Olstin.

- Monsieur le Comte ? s'étonne-t-il. Savez-vous l'heure qu'il est ? Que faites-vous là ?

Un sourire étire les lèvres de l'homme tout vêtu de blanc, et le majordome y décèle une once de malignité qui lui donnerait presque la chair de poule s'il n'était pas tant remonté d'avoir été tiré du lit à une heure pareille.

- Va-t'en réveiller Inarah, le somme Charles en poussant la porte pour pénétrer dans le hall.

- À cette heure ?! Il n'en est pas question !

L'homme lui jette un regard outré.

- Désobéirais-tu ?

- Je ne vous dois aucune obéissance, rectifie Joseph avec humeur. Je suis au service de Dame Inarah, pas au vôtre. Par égard pour elle, je vous prierai donc de sortir et de vous représenter à une heure plus décente pour les visites.

Le majordome lui désigne la sortie mais Charles le saisit par le col avec force :

- Je ne te laisse pas le choix, vieil homme…

Le ton menaçant du Comte ne plait pas à Joseph et si son âge le lui permettait, il l'aurait renvoyé sans ménagement. Mais il prend conscience que l'homme qui se tient devant lui est capable d'enfoncer la porte pour obtenir ce qu'il veut. Son regard a quelque chose de démoniaque et le pommeau de sa canne près du visage du majordome est pour le moins dissuasif.

- Si tu ne t'en vas pas prévenir Inarah immédiatement, j'irais la réveiller à ta place. Ce n'est pas ce que tu souhaites, n'est-ce pas ?

Joseph garde son sang-froid et se dégage de la poigne du visiteur :

- Je ne peux me permettre de sortir la Dame de son lit sans raison, Monsieur le Comte.

Un rire, à faire hérisser les poils dans la nuque, échappe à Charles. Puis, sortant un curieux objet de la poche de son manteau, il le tend à Joseph.

- Eh bien dans ce cas, donne lui ceci. Elle ne pourra pas m'ignorer d'avantage.

Ce que tient le majordome est un petit miroir de poche en métal doré. Il s'apprête à appuyer sur le bouton pression pour ouvrir le couvercle ouvragé quand Charles l'arrête aussitôt.

- C'est elle qui doit l'ouvrir, gronde-t-il.

- Qu'est-ce donc ? Vous moqueriez-vous de la Marquise ?

- Apporte-le-lui. Je sais qu'elle ne pourra pas me renvoyer après avoir vu ce que lui montrera le miroir.

Indécis, Joseph examine le miroir dans sa paume sans comprendre ce que le Comte cherche à faire. Il jette un regard sur l'homme qui dans l'encadrement de la porte. Son œil est lucide. Cette fois, Charles n'est pas alcoolisé. Ou du moins, pas assez pour que cela se voit.

- Que se passe-t-il ? demande la voix de la Marquise à l'étage.

Joseph maudit l'intrus de l'avoir réveillée en cette heure ingrate.

- Eh bien la voilà sortie du sommeil, triomphe Charles. Que fais-tu encore là, vieil homme ?

- Je vous prierai de patienter ici, lâche sèchement le majordome.

Sans laisser le temps au Comte de répliquer quoi que ce soit, il claque la porte et l'abandonne dans le hall sous la bonne garde d'un Fidèle grognant.

 

D'un pas pressé, Joseph gravit les marches pour se rendre auprès de la Marquise. Assise dans son lit, elle attend.

- Qui était-ce, Joseph ?

- Votre voisin, Madame.

- Serait-ce une plaisanterie ?

- J'ai bien peur que non. Il m'a donné ceci pour vous.

Il lui tend le miroir et Dame Inarah lui adresse un regard surpris.

- Vraiment ? demande-t-elle avec dérision.

Joseph lui répond d'un hochement de tête. Alors, la Marquise observe l'objet, avec une certaine perplexité.

Rond et doré, le miroir offre un couvercle travaillé aux motifs floraux et serti de petites pierres colorées. Un papillon orne le centre, paré de couleurs bleues et mauves.

- Il est très joli, certes, mais je ne comprends pas pourquoi il lui fallait absolument me réveiller en pleine nuit pour m'offrir un miroir de poche ?

- Le Comte a parlé d'un message.

- Un message ? Dans le miroir ?

- Il n'a pas été plus explicité, j'en suis navré.

- Bien. Voyons ce que Charles a encore trouvé pour m'exaspérer...

Un cliquetis se fait entendre quand elle actionne le bouton. Le miroir s'ouvre alors, et bientôt des larmes dévalent les joues de la Marquise. Elle porte des doigts tremblants à ses lèvres, retenant un sanglot. Joseph s'inquiète et jette un regard à l'objet. Ce qu'il découvre à la place du reflet auquel il s'attendait le pétrifie.

Au lieu du reflet que renvoie d'ordinaire pareil objet, c'est une toute autre image qude Dame Inarah voit dans la petite glace ronde. Et ce qu'elle y aperçoit est comme une lance plantée dans son cœur. La vision que le miroir lui montre est celle d'un homme amaigri et torturé, oublié au fond d'une pièce sombre, des fers aux poignets. Malgré la barbe sur le visage émacié du malheur, la Marquise l'a aussitôt reconnu. Et dès lors, les larmes noient ses joues.

Joseph ne peut y croire. Quelle est cette illusion maléfique ? À quoi joue donc le Comte pour faire ainsi tant de peine à la Dame ? Cette dernière, une expression de colère mêlée de douleur sur le visage, sort de son lit. D'un pas pressé, elle arpente le couloir pour gagner le hall où Charles patiente. En l'apercevant arriver vers lui dans sa robe de nuit immaculée, un sourire triomphant s'affiche sur le visage de l'homme.

- Qu'est-ce que cela signifie ? s'emporte la Marquise.

- À tes joues baignées de larmes, et ton regard foudroyant, je constate que l'effet est escompté, très chère.

- De quel maléfice t'es-tu servi, Charles ? Je ne trouve pas cela drôle. C'est même de très mauvais goût ! Te moquerais-tu de moi ?!

Folle de rage, la Marquise a perdu le vouvoiement poli qu'elle lui accorde d'ordinaire. Cette fois, son voisin est allé trop loin pour qu'elle daigne contenir ses paroles face à lui.

- Cela n'a rien d'une blague, lui répond le Comte. Ce que ce miroir t'a montré est bien réel.

- Quoi ?! Comment est-ce… ?

- Ton mari est en vie, au fond d'une cellule, quelque part sous Félinin. Enfin, en vie… Pour l'heure tout du moins. Je n'ai qu'à en donner l'ordre pour que mes hommes se chargent de lui.

- Espèce de… ! gronde Dame Inarah.

Charles ne la laisse pas lancer son injure :

- Prends garde à ce que tu vas dire, menace-t-il, sa vie est entre mes mains et ce que j'en fais ne dépend que de toi.

- Qu'est-ce que tu attends de moi ?

- C'est très simple. Je lui laisse la vie sauve à une condition : que tu acceptes ma proposition.

- T'épouser ? As-tu conscience que je suis mariée, et que si Josh est en vie, je ne suis donc pas encore veuve.

- Certes, mais cela peut très bien s'arranger.

- Alors, tu aurais pu le tuer au lieu de le traiter comme tu le fais. Cela aurait sans doute été plus simple pour toi, n'est-ce pas ?

- Comment aurais-je pu faire pression sur toi dans ce cas ? se moque le Comte.

- Tu es un monstre, Charles. Que deviendra Josh si j'accepte ? Qu'il soit toujours en vie ne te permettra pas de m'épouser, au contraire.

- Il sera une gêne, certes. Il ne s'est pas noyé avec le reste de l'équipage du Nepture, mais sa survie m'est finalement profitable. Si tu acceptes de m'épouser, il demeurera en vie.

- Quelle vie lui offres-tu ? Une vie de misère au fond d'une cellule au milieu des rats et de l'humidité ?! Car, admets-le ou non, tu ne le laisseras jamais retrouver sa liberté. Alors, tu ne crois tout de même pas que je vais accepter ça !

- Si tu refuses…

- Tu oses me faire du chantage ?! le coupe-t-elle, furieuse.

Son voisin saisit alors son visage d'une poigne de fer et approche sa figure si proche de la sienne qu'elle sent la chaleur de son souffle sur sa joue.

 

Fidèle devient aussitôt menaçant. Son grondement résonnant dans le hall, il fait claquer ses mâchoires avec hargne. Si la Comte de lâche pas sa maîtresse, il n'hésitera pas à planter ses crocs dans son bras. Mais Dame Inarah lui fait signe de ne pas intervenir et il demeure près d'elle, grondant, le poil hérissé, les babines retroussées.

L'homme, lui, ignore le chien et son grognement agressif. Son attention est toute portée sur la Marquise. La contraignant à le regarder, Charles lui rétorque d'une voix sombre et menaçante :

- En vérité, Très Chère, je ne te laisse pas le choix. Ou tu acceptes, ou je renvoie Josh au fond de la Mer d'Opale nourrir les poissons. Sa survie n'est connue que de nous seuls. C'est un peu comme notre petit secret. Le révéler serait le condamner. Je n'ai pas à te le rappeler, tu en as parfaitement conscience. De fait, étant donné que tous le croient disparu, le Gouverneur ne verra aucun inconvénient à ce que tu te remarie.

Dame Inarah se retient de le gifler. La colère l'emporte sur la tristesse et pourtant elle se contient. Son geste risquerait de condamner Josh. Elle ne fait que se défaire de la prise du Comte pour s'éloigner de lui.

Le sourire machiavélique de Charles l'enrage plus encore et elle lui adresse un regard assassin. Son esprit s'agite, cherchant une échappatoire, une solution pour éviter de donner à cet homme ce qu'il veut. Elle ne peut permettre qu'il obtienne ce qu'il lui demande. Au fond, elle condamnerait Josh à une vie misérable. Elle ne le supporterait pas.

Une idée germant alors dans son esprit, elle plante ses yeux dans ceux de son voisin. Le sourire de ce dernier s'efface l'espace d'une seconde devant la férocité qu'il lit dans son regard.

- Je veux le voir, exige-t-elle.


***


Sitôt la sorcière volatilisée, Frank et ses hommes n'attendent pas une seconde de plus pour remonter le tunnel. Anya et Dante leur emboitent le pas. À l'embranchement, ils décident de gagner la sortie donnant dans les écuries du Comte. Ce dernier a quelques explications à donner, et il a intérêt d'être convainquant.

Alors qu'ils approchent des marches menant à la trappe, deux énormes molosses les attendent. Leurs grognements résonnent dans le tunnel et donnent des frissons à Anya et Matt. L'imagination débordante de la jeune femme lui apporte des images qu'elle préfère ignorer. Elle sent qu'ils sont sur le point de mettre fin à cette histoire et elle ne veut pas laisser sa peur prendre le dessus. L'assistant de l'Inspecteur, lui, garde bonne figure.

En chien de faïence, hommes et bêtes se jaugent, chacun attendant que l'autre fasse le moindre mouvement pour lancer l'assaut. Le grondement des molosses résonne dans le tunnel jusqu'à ce que les agents de la Brigade du Lynx décident de passer à l'action. Avec une rapidité hallucinante, ils sortent leur révolver et le pointent sur les deux rottweilers. Ces derniers bondissent, leur puissante mâchoire prête à saisir tout ce qui passerait à leur portée pour le broyer.

Les coups de feu retentissent, un cri étouffé résonne. Les chiens s'effondrent, sans vie. L'un des hommes de l'Inspecteur présente une méchante morsure sur l'avant-bras, un autre se dégage du corps musculeux et inerte d'un des deux molosses.

- Sale bête...

- Jean, est-ce que ça va aller ? s'enquit Frank auprès du blessé.

- Oui, je crois.

- Il faut faire soigner ça. Rentre à la caserne et fais appeler un médecin.

- Je n'abandonnerai pas alors que nous sommes si proches du but.

- Ne discute pas, Jean !

- Mais, Inspecteur…

Dante s'avance alors près d'eux.

- Puis-je ?

Les deux hommes lui adressent un regard surpris et inquisiteur. Sans attendre leur réponse, le magicien saisit le bras endolori de l'agent et examine la morsure.

- Ces chiens ont vraiment une mâchoire puissante, constate-t-il.

- Sauriez-vous faire quelque chose ? demande Frank.

- Il se pourrait bien.

Le jeune homme sort un mouchoir propre de sa poche et l'enroule autour de la plaie. L'agent grince des dents quand il sert le nœud. Les paumes autour du bandage improvisé, quelques mots à peine murmurés échappent au mage. Une chaude lueur se dégage du mouchoir l'espace d'une seconde avant que Dante ne se relève.

- Je ne peux pas faire d'avantage, je ne suis pas médecin. Mais la douleur vous sera épargnée quelques temps et la cicatrisation accélérée. Vous ne devriez en garder qu'une légère marque.

- Merci, sourit sincèrement l'agent.

- Ne trainons pas, élude Frank. Il faut arrêter la Baronne avant qu'elle ne commette l'irréparable et compromettre Charles de Olstin dans cette histoire.

- Espérons que ces deux molosses soient les seuls.

Tous approuvent et le silence retombe.

 

Tandis qu'ils s'apprêtent à gravir les marches, un bruit assourdissant résonne dans le tunnel et les stoppe dans leur mouvement. Le sol se met soudain à trembler sous leurs pieds, avec une telle force qu'ils en perdraient presque l'équilibre. Bientôt, les murs se fissurent et le plafond se craquelle.

- Tout va s'effondrer, panique Anya.

- Reculez ! ordonne l'Inspecteur.

Le petit groupe s'éloigne sans se le faire dire deux fois. Derrière eux, les parois se brisent et les blocs de roche s'amoncèlent dans un épais nuage de poussière. Une toux les prend et ils reculent encore par mesure de sécurité. Enfin, les vibrations cessent et le calme revient.

Les agents de la Brigade du Lynx et les deux amis ne peuvent que constater avec amertume que le tunnel est désormais bouché. Impossible d'accéder à la trappe des écuries, l'accès est condamné par l'effondrement des parois. On dirait presque qu'un énorme rocher est venu se ficher dans le tunnel tant la portion dans laquelle ils se trouvent semble intacte en comparaison.

Frank peste dans sa barbe. Quelle frustration ! S'ils n'avaient pas été ralenti pas les deux chiens de garde, sans doute auraient-ils pu sortir de là avant que le tunnel ne se mette à trembler.

- C'est un coup de la Baronne, lui apprend Dante.

Ce dernier se tient accroupi près de l'amoncellement de roche. Il fait jouer la terre entre ses doigts et un léger nuage de poussière brillante apparaît l'espace d'une seconde.

- De la magie ? suggère l'Inspecteur.

- Oui.

- Comment savait-elle que nous chercherions à atteindre le Domaine de Richwel depuis le tunnel ?

- Je ne saurais vous répondre, Inspecteur. Mais nous voilà forcés de rebrousser chemin pour sortir par là où nous sommes entrés.

- Force d'admettre que tu as raison, mon garçon.

Ainsi, ils reviennent sur leurs pas.

Une chance qu'ils atteignent l'alcôve sans encombre.

Tandis qu'ils grimpent les escaliers menant à la sortie, Anya ne peut retenir un soupir de soulagement. Ils n'ont pas croisé d'autre chien, personne ne les attend pour leur barrer la route. Elle doit avouer que l'espace d'un instant elle s'est vu, elle et les agents de la Brigade du Lynx, coincés sous terre dans ce maudit tunnel.

Silencieusement, le petit groupe s'extirpe du passage. Les voitures sont toujours là et pas l'ombre d'un adversaire à l'horizon. La sorcière les croit-elle morte dans l'effondrement ? Frank ne prend pas le temps d'y réfléchir et fait signe à ses hommes de le suivre :

- Ne perdons pas de temps, il faut arrêter Mélissa Wanda et Charles de Olstin. En route !

- Inspecteur, le stoppe Dante, nous ne pouvons vous accompagner plus loin.

- Pourquoi cela ?

- Mélissa m'a donné rendez-vous dans le bois. Je suppose donc logiquement qu'elle s'y trouve. Charles ne sera certainement pas avec elle, étant donné qu'elle tient à œuvrer seule désormais. Il nous faut donc nous séparer si nous voulons les arrêter tous les deux.

- Bon raisonnement, jeune homme. Nous nous chargeons du Comte. Charge à vous d'arrêter la sorcière.

- Entendu.

- Monsieur Cait-Sidhe, l'arrête Frank tandis que le magicien et Anya prennent le chemin du bois, faites attention à vous. Cette sorcière semble fuyante, mais elle vicieuse. Et ne disparaissez pas dans la nature, je vous prie. Si vous réussissez à mener à bien votre affaire, venez-vous présenter à la caserne.

- Cela va de soi, Inspecteur. Je parierai même que l'on se recroisera avant que toute cette histoire ne soit réellement terminée.

Sur ce, les deux jeunes gens les abandonnent pour pénétrer dans le bois. La palissade abîmée leur permet d'y entrer sans longer l'orée jusqu'au sentier. Plus tôt ils rattraperont Mélissa, mieux ce sera.

 

De leur côté, Frank et ses hommes prennent donc la route du Domaine de Richwel en espérant y trouver le Comte. Sur le chemin, tous sont silencieux malgré les questions qui agitent leur esprit. Matt aurait voulu accompagner le magicien mais ne l'a pas osé. Et son sens du devoir l'appelle auprès de l'Inspecteur pour mettre enfin un point final à cette sombre histoire.

À défaut d'avoir sa machine à écrire avec lui, il prend soin de tout noter dans son petit carnet. Un truc qu'il a rapidement emprunté à Frank.

- Vous avez confiance en lui, laisse-t-il échapper. Pensez-vous vraiment qu'il ne va pas en profiter pour s'enfuir ?

- Non, je ne pense pas. Il ne serait pas venu se présenter à nous tout à l'heure s'il voulait disparaître par la suite.

- Vous avez raison.

L'agent mordu par le chien se rapproche en les entendant échanger :

- Alors, une fois qu'il aura arrêté cette sorcière, il reviendra ?

- Je l'espère, Jean. Auquel cas, je me serais trompé sur lui et ce serait bien malheureux.

- Il a un bon fond, admet l'agent en jetant un regard à son bras blessé.

- Et la jeune femme qui l'accompagne est une personne franche et honnête. Je me suis rends compte lorsque je l'ai interrogé après le meurtre de son ami. Pourtant, elle n'était pas dans son meilleur jour et très affectée par la mort du palefrenier.

- Elle donne ce sentiment de prime abord, en tout cas, lui confirme Jean.

- Alors, si jamais le magicien cherche à se défiler, elle saura assurément le remettre dans le droit chemin. Faisons leur confiance, nous n'en serons pas déçus, j'en suis certain.

Ils échangent un regard et les voilà arrivés devant le portail du Domain de Richwel. De voir l'accès ouverte les met aussitôt sur leurs gardes. D'autant que le silence règne sur la pelouse impeccablement tonte.

- Où sont les chiens ? s'inquiète Matt.

- Aucune idée, lui répond l'un des agents.

- Du moment qu'ils ne nous attaquent pas, ajoute un autre.

- Chut !

L'Inspecteur leur fait comprendre de rester discret. À pas de loup, ils entrent. Pour ne pas faire de bruit, ils arpentent les espaces gazonnées plutôt que l'allée de graviers.

Tout à coup, une ombre les rattrape. La silhouette est celle d'un chien et Matt retient un cri. Seul Frank demeure impassible, attendant que l'animal les rattrape. Et bientôt, son assistant comprend son attitude sereine. Ce n'est que Fidèle, le molosse des D'Avila qui vient à leur rencontre. Il leur semble agité et s'empresse de les devancer, comme pour leur montrer le chemin.

- Que fait-il là ? demande Matt.

- Suivons-le.

Doucement, ils reprennent leur chemin. L'animal disparaît dans l'obscurité, avant de revenir les attendre.

- Que cherche-t-il ? Ce chien ne devrait pas être là, relève Jean. Et où sont les molosses de garde du Comte ?

La nuit seule lui répond tandis qu'ils s'avancent vers le manoir. C'est alors que des voix leur parviennent.

Aussitôt, Frank reconnaît celle de la Marquise des Arflors et celle de Charles de Olstin. Voilà la raison de la présence de Fidèle sur le domaine. Une question demeure : que fait Inarah D'Avila ici ? En vue des deux voisins, ils les suivent jusqu'à la double porte de la cave. L'Inspecteur saisit le chien par son collier pour le retenir. Il ne veut pas que le Comte les remarque tout de suite.

 

Le Comte de Richwel semble triomphant. Un large sourire malin est affiché sur son visage. Celui de la Marquise est fermé et son regard assassin. Dans sa robe de nuit blanche, elle est divine. N'a-t-elle pas froid avec un simple châle de laine sur les épaules ? Charles l'a certainement sortie de son lit avec une raison importante pour qu'elle ne prenne pas le temps de s'habiller convenablement.

- Je ne suis pas venue pour goûter l'un de tes meilleurs crus, gronde la Marquise au seuil de la cave.

Charles rit :

- Ho, mais tu ne vas pas être déçue, ma chère.

Il glisse une petite clé dorée dans la serrure et ouvre l'une des portes.

- Après toi, invite-t-il.

L'image d'un serpent sournois s'affiche dans l'esprit de Matt. Cet homme-là est vicieux et ça lui donne la chair de poule. L'Inspecteur, lui, intervient aussitôt.

- Arrêtez-vous ! somme-t-il.

Dame Inarah et le Comte se figent, surpris. La femme tourne un regard étonné vers la milice, mais on lit un évident soulagement sur son visage.

- Frank, soupire-t-elle, vous êtes là…

- Une jeune femme-de-chambre a été de bons conseils semble-t-il, et votre chien est un excellent guide.

Un sourire rassuré se dessine sur les lèvres de la Marquise.

- Comment êtes-vous entrés ?! peste le Comte.

- Le portail était ouvert, Charles.

- Qui est l'imbécile qui… ?

À l'expression de la Marquise à cet instant, le Comte comprend qu'elle n'était pas décidée à coopérer facilement. Elle n'imaginait pas que la Brigade du Lynx interviendrait si vite. Elle espérait seulement que quelqu'un viendrait en renfort.

En la voyant partir seule avec un individu aussi peu recommandable que la Comte, Joseph n'a pas pu rester sans réaction. Son majordome l'aurait accompagné s'il avait pu. Elle ne lui a simplement pas laissé le choix. Lui ayant ordonné de rester à la villa, elle savait très bien ce qu'elle faisait. Et de voir Fidèle avec l'Inspecteur, la voilà convaincue de sa décision.

Charles, quant à lui, enrage. Il se sent trahi et piégé. Comment la Brigade du Lynx a-t-elle pu remonter jusqu'à lui et intervenir aussi vite ?! Comment Inarah D'Avila a-t-elle pu se jouer de lui ainsi ? Lui qui pensait avoir berné la milice, lui qui pensait avoir la Marquise sous son emprise… Il a été trop confiant et voilà que ça se retourne contre lui.

Avant qu'elle ne gagne la sécurité au côté de l'Inspecteur Hotch, il saisit Dame Inarah et sort la lame de sa canne pour la glisser sous sa gorge.

- N'avancez pas, ordonne-t-il aux agents.

Frank tente aussitôt de le raisonner, craignant pour la vie de la Marquise. Cette dernière reste calme, seul son regard implore de l'aide. L'Inspecteur doit intervenir avant qu'il n'y ait de geste regrettable.

- Charles, ne faites pas cela…

- Hubert ! hurle alors le Comte.

Son majordome sort de l'ombre, plusieurs hommes avec lui. Tous sont munis d'armes à feu. Frank grince des dents : ça ne va pas être aussi simple qu'il le pensait d'arrêter le Comte.


***

© Lynn RÉNIER
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