La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 76 : L'Oracle s'Accomplie

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

"Sans doute est-il grand temps d'intervenir."

Leur bouclier est renforcé sans qu'ils n'en soient à l'origine. Dante et Anya réalisent bientôt que ce n'est pas leur magie qui œuvre, mais une autre, plus puissante, plus… sauvage et primaire.

Ils baissent leur défense, préservant les dernières forces magiques qui leur restent. Le bouclier tient, seul. Ils n'ont plus besoin de l'alimenter. D'où viennent cette aide providentielle et cette magie sans commune mesure ?

Cette voix éthérée, le jeune mage l'a déjà entendue. Lorsqu'il se trouvait dans la geôle sous la ville. Le Dieu Félin se montre de nouveau. Peu à peu, le grand lion se dessine, vaporeux. Tel un mirage, il apparait près d'eux, magnifique animal à la crinière épaisse et dorée.

- Est-ce bien réel ? s'ébahie Anya.

- Ça l'est, lui répond son compagnon.

Tous deux échangent un regard. Ils n'osent prononcer la moindre parole, comme si cela risquait de faire disparaitre l'apparition.

Le grand lion les observe. Puis, il pose finalement ses yeux jaunes sur la jeune femme. Cette dernière retient sa respiration, intimidée autant qu'impressionnée.

"Je regrette, jeune Catanya, lui dit-il, la Veilleuse lupine ne peut vous apporter son aide en cet instant. Cependant, en ce qui me concerne, je le peux."

- Grand Lion… Je vous en prie, dites-moi qu'elle n'est pas partie.

"De cela, je ne puis t'en parler. L'avenir te le dira, n'aies crainte."

Cette réponse attriste Anya. Elle aurait souhaité une certitude, pas une énigme. Toutefois, elle n'en dit rien et garde secrètement espoir. Après tout, le Dieu Félin n'a rien affirmé de clair.

- Seigneur Hiamovi, comment puis-je vaincre la Baronne ? questionne Dante. Sa magie corrompue est plus puissante que celle de Cat et la mienne réunies. Et…

"L'heure n'est plus aux palabres", coupe paisiblement la divinité.

Le son des impacts résonne à mesure que les sorts de Mélissa frappent le bouclier qui les protège. Le félin porte son regard sur elle et une expression de colère nait sur son visage.

"Elle qui a décimé mon peuple et massacré les Enfants d'Amadahy, je ne la laisserais pas tuer la magie !" gronde-t-il.

- Votre magie saurait-t-elle venir à bout de cette sorcière ? s'enquit Anya.

"Seul je ne le peux. Mais ensemble…"

Il se tourne vers Dante. Le magicien ne comprend pas où veut en venir le Dieu. Il n'a pas le temps de lui demander. Déjà le lion s'avance et vient poser son front contre le sien. Dès lors, une agréable chaleur se répand en lui.

"Descendant du peuple-félin, gagnes en toi cette force qui ne te quittera plus. Libères les âmes des Veilleurs et boutes la sorcière impie hors du Cœur !"

Un tourbillon d'air enveloppe soudain le jeune mage. Pris de légères convulsions, ses yeux deviennent blancs et laiteux. Le lion vaporeux s'efface peu à peu, son image se fondant dans la silhouette du magicien.

Anya observe la scène, tétanisée. Elle a l'impression que le Dieu s'insinue en Dante, comme si l'esprit de Hiamovi cherchait à prendre possession du jeune homme. Mais lorsqu'enfin Dante revient à lui, elle constate avec soulagement que c'est bien le mage qui lui adresse un regard étonné. Il reste immobile, n'osant bouger ou comme figé, et ce n'est qu'au bruit du bouclier qui se fissure qu'il réagit.

La bulle de verre se brise sur eux. La jeune femme couvre sa tête de ses bras en criant. Elle ne s'attendait pas à ce que la magie du Dieu s'efface aussi vite et les laisse sans protection. Hiamovi aurait-il vraiment disparu ? Elle ne peut pas croire que le Dieu soit mort. Le Cœur du bois est sauf. Tant qu'il demeure, sa divinité protectrice aussi.

 

Inquiète de ne pas percevoir la présence de Dante à ses côtés, elle relève timidement les yeux. Ce qu'elle découvre alors la laisse sans voix. À la place du jeune mage se dresse un être fantastique. Se tenant debout comme un homme, en ayant l'allure, ce n'est qu'une silhouette car il a pourtant tout d'un félin. Sa peau est couverte d'un épais pelage ras et brun. Ses pieds ressemblent d'avantage à des pattes, larges et griffues. Ses mains également. Son corps est une boule de muscles et la fourrure qui le recouvre n'en cache rien.

Son visage est celui d'un fauve, au nez noir orné de vibrisses blanches. Ses yeux sont deux pupilles en fentes, l'iris coloré de jaune. Sa bouche est une gueule aux crocs pointus. Une longue crinière presque noire auréole sa tête et habille ses épaules. Et dans le bas de son dos se balance une queue terminée d'un pinceau de poils noirs.

La jeune femme observe l'homme-lion avec surprise. Est-ce Dante ou Hiamovi ? Elle ne parvient pas à faire le moindre mouvement, ni à prononcer le moindre mot. Les paroles du Dieu se rappellent à elle : "descendant du peuple-félin". Alors, cette prophétie est vraie… Celle dont le livre d'Évy parle… Celle qui annonce que la lignée des Veilleurs n'est pas éteinte.

La tête lui tourne brusquement. Et elle ne voit pas arriver le sort de Mélissa sur elle. L'éclair l'aurait frappé de plein fouet, s'il n'avait pas été stoppé par une patte griffue et puissante. Piégé dans la main de l'homme-lion, le sort disparaît comme s'il n'avait jamais existé. Et l'homme-lion darde sur la sorcière un regard meurtrier. Le rugissement qui suit fait trembler toute la forêt.

La Baronne, décontenancée, à bien du mal à se reprendre. Elle n'arrive pas à croire ce qu'elle voit. L'hésitation se perçoit sur son visage.

- Comment est-ce possible ? couine-t-elle. Vous n'existez plus… J'ai tué le dernier d'entre vous il y a des dizaines d'années de cela…

Un rire rauque échappe à l'homme-lion :

- Croyais-tu que la magie te laisserait l'emporter aussi aisément ? Croyais-tu que les Gardiens Divins et les Veilleurs ne prévoiraient pas tes agissements et ne feraient rien pour te contrer ?

Sa voix est grave, profonde et résonne dans le village en ruines. Elle n'est plus tout à fait celle de Dante, mais pas totalement celle du Dieu pour autant. Un peu comme si Hiamovi parlait à travers le jeune mage. À travers lui et avec lui.

- La Prophétie du Lion Sorcier est écrite depuis bien avant ta venue au monde, sorcière. Et la voilà qui s'accomplit ! Moi, Dante Cait-Sidhe, dernier héritier du peuple-félin et énième arrière-petit-fils du Seigneur Lion Hiamovi, je me dresse contre toi pour protéger le Cœur de ta folie.

À peine sa dernière parole prononcée, il braque un doigt sur elle et un sort fulgurant la foudroie, ne lui laissant le temps de riposter.

Mélissa s'écrase contre l'une des colonnes aux lions. La pierre se fend sous le choc et les débris tombent sur elle dans un nuage de poussière. La tête de roche du félin tombée devant elle, qu'elle découvre en ouvrant les yeux, lui arrache un cri de terreur. Elle se redresse comme un ressort et s'éloigne du cercle.

- Aurais-tu peur, à présent ? se moque l'homme-lion.

- Je n'ai pas peur de toi ! Tu n'es qu'une illusion !

- Vraiment ? Ne sais-tu plus reconnaître un Veilleur quand tu en vois un ?!

La colère perce dans la voix de Dante.

- Tu n'es pas un Veilleur ! Ils sont tous morts !

- C'est là que tu fais erreur, sorcière. Une Veilleuse du peuple-lupin a veillé sur le Bois de Hiamovi jusqu'à ce jour. Elle a su préserver au mieux ce que tu avais laissé pour mort. La discrétion et le secret l'ont gardé en vie. Et désormais, c'est à moi de prendre la relève. Le Dieu Félin en a décidé ainsi. Et toi, tu ne sortiras jamais d'ici…

- Tu ne peux pas me vaincre, petit mage. Tu n'en as pas la puissance.

- Détrompes-toi.

Et pour démonstration, il libère sa magie.

Le souffle est si puissant que Mélissa peine à lui faire face. Elle se protège le visage des bourrasques qui l'assaillent et tente de ne pas perdre l'équilibre. Le vent, violent, la gifle. Son regard cherche à atteindre l'homme-lion et ce qu'elle voit l'effraie.

Le Veilleur lévite à quelques centimètres au-dessus du sol. Sous ses pattes, un hexagramme étoilé s'est dessiné. Mélissa le sait, cette étoile à six branches est bien plus puissante que le simple pentagramme qu'elle utilise. Il est le symbole des éléments et du zodiaque, du féminin et du masculin, de l'humain et du divin, de la nature et du monde.

Jamais un magicien n'a pu en faire usage auparavant. Même les Hauts-Mages ne l'utilisent pas. Ce symbole est trop puissant pour qu'un être humain puisse le contenir. Il n'y a que dans les grimoires qu'il en est fait mention, avec l'avertissement qu'il peut être fatal. Voilà une magie que seuls les Veilleurs et les Dieux anciens maîtrisent. La sorcière est prise au dépourvu.

 

Les runes, écrites de lumière, se mettent à tourner en cercle autour de l'étoile. Les yeux félins de l'homme-lion sont d'une intense couleur violette et brillent dans l'obscurité comme deux lucioles. Sa crinière est une vague brune mouvante sous le vent qui s'est levé. Et à ses côtés, comme autant de fantômes, des figures félines apparaissent, de plus en plus nombreuses.

Les yeux de la sorcière, eux, sont écarquillés. La terreur l'habite peu à peu. Mélissa pensait cette vision reléguée au passé et à l'oubli. Les illusions félines, le symbole, cette magie prodigieuse… Elle sait ce que l'homme-lion s'apprête à faire. Elle a déjà vu une telle magie à l'œuvre, il y a longtemps.

À l'époque, elle a pu l'empêcher. La chance ou le hasard sans doute. Mais cette fois, la chance semble l'avoir abandonné. Et rien de ce qu'elle pourra tenter ne la sauvera, car le mage-lion est en train d'invoquer les esprits des Veilleurs disparus du peuple-félin et des Dieux anciens. Et s'il mène à bien son sortilège, c'en sera fini d'elle.

Mue par l'instinct, elle cherche à s'enfuir. C'est sans compter sur la jeune magicienne. Anya lui barre la route, campée sur ses jambes, le regard hargneux. Son esprit concentré sur la sorcière, elle ne la lâche pas des yeux.

- Tu n'iras nulle part, gronde-t-elle.

Aussitôt, Mélissa se retrouve figée. Impossible pour elle de faire le moindre mouvement. Seuls ses yeux peuvent se mouvoir, et expriment sa peur grandissante. Le sort qu'elle avait jeté à Dante quelques instants plutôt l'emprisonne à son tour. Comment cette petite magicienne en herbe a-t-elle pu maîtriser ses pouvoirs en si peu de temps ?! Où trouve-t-elle cette force ?!

La Baronne râle, elle qui a accumulé tant de magie ne peut rien faire contre ce duo improbable : une magicienne novice et un jeune Veilleur à peine éveillé. À vouloir les éliminer, elle a gaspillé son énergie et la voilà désormais à leur merci. Si seulement ce satané Dieu Félin n'était pas intervenu ! Elle aurait pu réussir ! Sa potion était presque terminée, ne lui restait qu'à y ajouter le sang de Veilleur. Elle aurait alors pu s'accaparer la magie primaire et vaincre ces enquiquineurs !

Une lueur s'allume dans son regard gris. La fiole est peut-être brisée, son contenu perdu. Mais un jeune Veilleur se trouve face à elle, et avec lui ses espoirs ne sont pas tout à fait envolés. Aussitôt, son esprit gamberge à la recherche d'un sort qui lui permettrait de se libérer. Serrant les poings, elle ne peut s'empêcher de sourire.

Anya s'en aperçoit. Mélissa est en train de contrer son sort. L'espace d'une minute, leur esprit se concentre. La jeune femme sur son sort d'emprisonnement, la sorcière sur celui qui la libèrera. Leur magie se défit, luttant l'une contre l'autre. Jusqu'à ce que la Baronne l'emporte. L'implosion fait trébucher Anya et le temps qu'elle reprenne ses esprits, Mélissa s'est déjà enfuie. Non pas pour sauver sa peau, mais pour ramasser son couteau et se précipiter vers Dante, la lame en avant.

La magie libérée par le jeune Veilleur l'empêche d'avancer. Elle lutte pour faire un pas après l'autre. Les bourrasques sont comme un rempart qu'elle peine à traverser. Qu'importe, elle est prête à tout pour arriver à ses fins. Son chaudron n'attend qu'une goutte pour que la potion soit prête. Et alors, elle obtiendra ce qu'elle est venue chercher.

Réalisant qu'elle ne parvient pas à atteindre l'homme-lion, la sorcière jette un œil alentours à la recherche d'un moyen de palier le bouclier qui l'empêche d'avancer. Son attention se porte sur les statues qui jalonnent le cercle autour de l'arbre. Une idée lui vient.

- Deviens ma marionnette et prends vie, clame-t-elle en jetant la main vers le lion de pierre le plus proche.

Alors, la sculpture émet un craquement et est prise de mouvements hachés.

Progressivement, aux saccades de la statue, la pierre s'effrite pour se transformer en métal. Parfois, la roche se brise pour laisser entrevoir des engrenages à l'intérieur du lion. L'ensemble s'ébranle et la créature se met en marche. Elle descend de son piédestal d'un bond et vient aux côtés de la sorcière comme un animal apprivoisé viendrait voir son maître. Une vapeur grise s'échappe de ses narines et les mécanismes qui lui permettent de se mouvoir émettent un léger crissement strident.

- Tues les pour moi, susurre Mélissa au lion.

Aussitôt, la bête bondit vers le jeune Veilleur. Il se heurte à la barrière dans un bruit de métal froissé. Il retente son attaque, sans résultat. C'est alors qu'il se tourne vers Anya.

La jeune femme retient sa respiration tandis que la créature avance vers elle de sa démarche souple. Fini les saccades, chaque pas est semblable à celui d'un chat. Elle voit la machine féline se ramasser sur elle-même, prête à lui sauter au visage. Forte de ses nouveaux dons, la jeune femme ne tremble pas et affronte la bête avec un sang-froid qu'elle s'ignorait sans doute un peu.

Instinctivement, elle frictionne ses mains l'une contre l'autre. Une tension se crée et très vite, de l'électricité crépite dans ses paumes.

- Jouons un peu, sourit-elle au lion mécanique.

Le duel s'engage entre elle et la bête.

La puissance et la souplesse de la créature surprennent. Plus les minutes passe et plus elle réagit comme un vrai félin. Si sa magie n'aiguisait pas ses réflexes, Anya récolterait bien plus que de simples griffures. Car les pattes meurtrières du monstre la manquent de peu à chaque attaque.

La jeune femme ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec les insectes mécaniques qui les ont attaqué Dante et elle la nuit dernière. Elle a la confirmation que c'est bel et bien la sorcière qui les a envoyés les assassiner. Pressentait-elle déjà le danger que le jeune mage représente ou était-ce simplement pour les empêcher de fouiner dans ses affaires ?

Anya n'a pas le loisir de demander une explication. Elle sait qu'elle doit gagner du temps et tenir bon. Car, tandis qu'elle affronte le lion mécanique, Dante peut terminer son sortilège. Mélissa cherche à l'atteindre et ne semble y parvenir pour l'heure. Mais la jeune femme n'ignore pas que la Baronne n'en restera certainement pas là. Elle doit déjà élaborer un plan pour traverser la barrière qui protège l'homme-lion.

Le monstre est redoutable et Anya peine parfois à le maintenir à distance. Elle n'évite pas toujours les griffes aiguisées, les écorchures sur ses bras pour preuves. Elles démangent et lancent. Ce qui entame son attention. D'autant que, concentrant pourtant ses sorts sur la créature, Anya ne peut s'empêcher de surveille la sorcière d'un œil.

Le cercle de symboles est de nouveau là, sous ses pieds. En son centre, un pentacle y tourne à un rythme régulier. Mélissa s'apprête à briser la barrière qui protège l'homme-lion. Immédiatement, la jeune femme voudrait l'interrompre. Le lion métallique l'en empêche. La roche devenue acier qui le compose est un enchevêtrement de pièces tranchantes dont elle doit se méfier. Si elle se laisse distraire par la sorcière, il pourrait bien l'égorger de ses griffes assassines.

 

Pendant qu'Anya bataille contre la créature mécanique, l'homme-lion fait appel à toute sa magie. Le sortilège se renforce à mesure que le temps passe et bientôt, il pourra le déchaîner sur la Baronne. Autour de lui, il perçoit la présence éthérée des anciens Veilleurs du peuple-félin. Il sent une force nouvelle l'envahir, chaude et confiante.

Jamais il ne pourrait ôter la vie, il se l'est juré. Qui est-il pour décider de vie ou de mort sur un autre être vivant ? Cependant, face à la situation, il se doit de bafouer son serment. S'il n'élimine pas Mélissa, c'est elle qui détruira tout. Il n'a pas le choix. Les voix de ses lointains ancêtres félins lui soufflent qu'il ne peut pas en être autrement, qu'il doit protéger le dernier Arbre de Vie. L'enjeu est trop grand pour hésiter.

Ses yeux violets se posent alors sur la sorcière. Il ne peut que remarquer le pentacle sous ses pieds et les tentatives successives pour détruire la barrière qui l'entoure. Il est temps pour lui de lancer son sortilège, avant que la Baronne ne parvienne à briser ses défenses.

Voyant que la position de son adversaire s'est modifiée, Mélissa se rend compte que l'homme-lion a achevé son sortilège. Sans attendre, elle érige un bouclier pour se protéger. Les mains griffues du jeune Veilleur se tendent vers elle, les éclairs fussent et un choc terrible s'ensuit.

- Tu ne m'empêcheras pas d'atteindre mon but ! lui crie-t-elle avec hargne.

Dante ne prend pas la peine de lui répondre. Son regard est dur, sans expression, fixé sur elle. Le bras tendu dans sa direction comme une flèche guide sa magie vers sa cible. Le vent, concentré autour de lui en tornade, se charge d'éclairs et devient plus puissant.

- Je ne te laisserais pas mettre à mal mes projets ! rage la sorcière. J'attends depuis si longtemps…

Le silence demeure du côté de l'homme-lion. Pesant, glacial. Mélissa commence à craindre le regard mauve de son adversaire. Elle ne peut pas le croiser, elle n'y arrive pas. Et toutes ces ombres félines qui tournent autour de lui… Elle en a des frissons rien que d'y songer.

Tous la scrutent de ces yeux brillants et elle a le désagréable sentiment qu'ils absorbent sa magie. Sa force faiblit. Elle peine à maintenir ses défenses en place. Le sort du jeune Veilleur est si puissant qu'il la force à reculer, ses pieds dérapant sur le sol tant elle tente de tenir sa position. La bulle qui la protège vibre de plus en plus face au déchaînement de puissance qui s'abat sur elle.

Le sortilège est comme une langue de feu et de foudre, brutale et dévorante, tandis que la barrière de Mélissa n'est que du verre qui s'apprête à fondre ou à se briser.

- J'ai patienté durant des années pour posséder la plus puissante des magies, je ne laisserai pas un lionceau me barrer la route !

Les dents serrées et le visage déformé par la rage, la sorcière puisse dans toute sa force pour renforcer son bouclier. Elle y parvient. L'espace de quelques minutes. Avant qu'une fissure ne s'étire sur la surface de sa barrière.

Dès lors, ses yeux s'écarquillent de surprise. Du regard, elle suit la lézarde se propager, s'étendre, se multiplier. La bulle de protection ressemble peu à peu à une vitre dans laquelle on aurait jeté un pavé.

- Non… souffle-t-elle, interdite. Non… Non !

Le bouclier implose dans un bruit de verre brisé. Et les éléments déferlent sur elle.

Le tourbillon de feu et de foudre l'enveloppe. La chaleur est insoutenable, l'électricité désagréable. Les esprits félins l'assaillent. Son corps se couvre de griffures et de morsures. Mélissa essaie de se protéger, en vain. Ses sorts se brisent les uns après les autres sans lui apporter le répit qu'elle espère. La magie du jeune Veilleur est forte, à tel point qu'elle ballait la sienne comme si elle n'était rien.

Bientôt la fournaise devient insupportable, les décharges extrêmement douloureuses et les attaques fantomatiques atroces. La sorcière ne parvient plus à lutter. Sa magie est épuisée, inefficace devant tant de puissance. Elle voudrait maudire le dieu Félin et les Veilleurs, mais la douleur surpasse sa haine. Elle ne peut retenir ses cris.

Ses hurlements, déchirants, résonnent dans le bois. Le sortilège la consume peu à peu, à l'image d'un bûcher infernal, sans qu'elle ne prenne vraiment feu. La tornade qui l'emprisonne semble lui arracher ses pouvoirs. Des étincelles dorées s'échappent d'elle, crépitant au contact du tourbillon. Et un changement physique s'opère à vue d'œil.

Ses beaux et longs cheveux blonds grisonnent, tombant en mèches avant de s'enflammer. Sa peau claire et lisse flétrit, s'habillant de rides marquées et profondes. Son corps parfait se tasse et maigrit à l'extrême. Son magnifique visage se creuse. Ses lèvres pulpeuses se dessèchent. L'iris gris de ses yeux blanchit. Le vieillissement rapide est impressionnant. En l'espace de quelques minutes, Mélissa se voit devenir une vieille femme. Les siècles la rattrapent, inéluctables, impardonnables.

La scène est insoutenable. L'homme-lion observe sans broncher, inexpressif. Mais les yeux d'Anya se remplissent de larmes. Les cris de Mélissa l'arrachent à son duel. Elle n'arrive pas à détourner le regard. Ce n'est pourtant pas faute de le vouloir.

- C'est horrible, murmure-t-elle.

"Tel est son châtiment" répond la voix éthérée du Dieu Félin.

Le lion n'est pas visible, mais ses paroles résonnent dans le village dévasté.

"La magie reprend ses droits".

La jeune femme comprend que ce n'est pas une vengeance, mais une punition.

Le jugement des Veilleurs et de leur divinité féline est implacable, sans appel. Cruel même, peut-être. Néanmoins, il est également juste et mérité. Il ne peut en être autrement. Pour sauver la magie primaire et le Cœur du bois, il n'y pas d'autre choix.

La sorcière n'est bientôt plus qu'un corps décharné recroquevillé sur lui-même. Sa voix s'est brisée. Elle est silencieuse, muette. À mesure que le tourbillon se calme, une poudre noire apparaît. Très vite, la jeune femme comprend que Mélissa disparaît.

Les années l'ayant rattrapée, la Baronne retrouve l'âge qu'elle a caché par la magie détournée durant tout ce temps. Elle ne devrait plus être depuis des lunes. Elle est restée trop longtemps de ce côté-ci du voile, à voler la magie pour vivre d'avantage et défier les lois immuables de la nature. Alors, comme dit l'adage, ce qui est né de la poussière redevient poussière…

Son corps s'étiole, s'effrite. La sorcière se désagrège progressivement comme si elle n'était qu'une sculpture de sable que le vent érode. Lorsqu'enfin le sortilège du jeune Veilleur s'achève, il ne reste d'elle qu'un amas de cendres et son beau manteau de brocard sur le sol.


© Lynn RÉNIER
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