La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 77 : L'Objet du Chantage

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Aussi brusquement qu'il s'est levé, le vent cesse de souffler. Les pattes de l'homme-lion retrouvent le sol et Dante perd son apparence féline. Il vacille, épuisé. Son regard est trouble. Il peine à se remettre mais le soulagement se lit sur son visage comme une évidence.

Craignant qu'il ne s'effondre, Anya s'apprête à le rejoindre quand tout-à-coup, le lion mécanique lui barre la route. Elle avait presque oublié la créature et tarde à réagir. La bête se ramasse sur ses pattes pour bondir.

- Cat ! entend-t-elle son compagnon l'avertir.

Instinctivement, elle ferme les yeux, attendant que le monstre lui tombe dessus. Le choc tarder et c'est une chaleur brûlante qu'elle sent près d'elle.

- Cat, est-ce que tout va bien ?

En ouvrant les yeux, elle découvre qu'à l'image de celle qui lui a donné vie, le lion se consume à son tour. Les flammes le dévorent jusqu'à ce qu'il n'en reste rien, et disparaissent.

Son sort ayant fait mouche, Dante ne tarde pas à la rejoindre, inquiet. Elle se jette aussitôt dans ses bras pour se mucher contre lui.

- Es-tu blessée ?

Elle ne parvient pas à lui répondre. Il remarque les griffures et autres estafilades sur ses bras, ses vêtements déchirés par endroit là où les serres du monstre l'ont atteinte, mais rien de grave. Alors, il la serre dans son étreinte et tente de la rasséréner.

- C'est terminé, lui murmure-t-il.

Anya fond en larmes. Le contrecoup, à n'en pas douter.

- J'ai eu si peur, dit-elle. J'ai eu si peur qu'il t'arrive malheur… J'ai cru un instant que cette sorcière allait te tuer et...

- C'est fini, Cat. Mélissa n'est plus. Nous ne risquons plus rien.

La jeune femme lève vers lui ses grands yeux couleur caramel. Avec douceur, il essuie les larmes sur ses joues et lui adresse un sourire rassurant. Elle le lui rend, timide.

- Je l'espère.

- Hiamovi et les esprits des Veilleurs s'en sont assurés.

- Alors, la relève qu'espérait Évy, c'est toi.

- Il semblerait, lui répond Dante encore abasourdi.

- Le savais-tu ?

- Non. Enfin… Je ne sais pas. C'est… c'est étrange, confie-t-il. Un peu comme si je l'avais toujours su au fond de moi, mais que je n'y croyais pas assez pour réveiller le Veilleur endormi… Quand Hiamovi m'a prêté sa magie, j'ai senti le Veilleur en moi prendre vie. Une sensation indescriptible… Je me sens… différent.

- Dois-je m'en inquiéter ?

Dante ne retient pas son rire, franc :

- Aucunement, dit-il.

Ils s'enlacent un instant encore. Anya a besoin de se remettre de ses émotions et le jeune mage doit bien avouer qu'il est éreinté. S'il le pouvait, il irait volontiers se coucher. Mais rien n'est encore terminé. Certes, la sorcière n'est plus. Pourtant, l'affaire qui les occupe n'est pas résolue pour autant.

 

Le jeune homme se tourne vers l'Arbre de Vie, s'assurant qu'il n'a pas été impacté par leur combat magique. La Source de la magie est miraculeusement indemne. Curieusement, Dante trouve même le Cœur plus brillant que lorsqu'il l'a découvert. La disparition de Mélissa aurait-elle rendu sa magie au bois ? Il se sent plus fort, capable d'une magie qu'il s'ignorait jusque-là. Est-ce dû au don de Hiamovi, ou au fait que la sorcière ait été vaincu ? Il ne saurait le dire.

Quoi qu'il en soit, le bois est sauf, la magie primaire avec lui. L'Arbre de Vie resplendit et son cœur palpite, vivant, puissant. Leur amie Veilleuse serait tellement fière d'eux. À cette pensée, son regard se pose sur le chaudron encore chaud de Mélissa. Dante s'en approche, plein de colère.

- Quel gâchis, crache-t-il. Toutes ces vies volées, simplement pour accroitre son pouvoir… Ça me dégoûte.

D'un geste de la main, il créé une flamme qu'il jette dans le chaudron. Il regarde le contenu s'enflammer d'un œil sévère. Anya le rejoint :

- Une chance qu'elle n'ait pas pu terminer sa potion.

- Oui, une chance. Autrement, nous ne serions plus là pour nous en réjouir.

- Tu l'as interrompu à temps.

- Nous serions arrivés une minute plus tard, c'en était fini. Tout autant si tu n'étais pas intervenue quand elle a tenté de me saigner.

- Gardons à l'esprit le positif.

- Tu as raison. Merci de m'avoir sauvé la vie.

- Je t'en prie, tu as sauvé la mienne. Je te devais bien ça.

Ils échangent un sourire tandis que le contenu du chaudron termine de se consumer. La préparation disparaissant dans les flammes, le jeune mage s'assure qu'ainsi les ingrédients ne puissent plus être utilisables. Tout doit disparaître.

- Pourquoi ne pas avoir renversé le chaudron ? ose Anya.

- Ce lieu ne doit pas être profané par une potion comme celle-ci. La terre est imprégnée du sang des Veilleurs. Si j'avais renversé le chaudron, ça aurait été comme terminer la potion pour la Baronne. Il vaut mieux la détruire de cette façon. Le risque est moins grand.

- Je comprends.

Anya se tourne vers les ruines, songeuse.

- J'aurais aimé que cela redonne vie au village, souffle-t-elle.

- Moi aussi, lui confie Dante. Mais les choses ne vont pas ainsi. Ce qui n'est plus ne peut revenir, pas sous la même forme. Il faut laisser les morts passer le voile. La nécromancie est contre nature. Elle est irrespectueuse du Cycle. Et la magie primaire n'est pas nécromancienne.

La jeune femme est prise d'un frisson.

- Ramener les morts à la vie ? C'est possible ?

- Malheureusement, ça l'est. Ce n'est pas de la magie détournée mais s'en approche.

- Je préfère ne pas y penser. Les disparus doivent restés… morts. Comment se réincarneraient-ils sinon ?

Un sourire étire les lèvres du magicien.

- Oui, j'ai bien appris ma leçon, plaisante-t-elle. Évy a été une bonne professeure. Même si je n'ai pas été son élève très longtemps.

- En parlant d'apprentissage, que dirais-tu de développer plus avant ta magie maintenant qu'elle s'est réveillée ? Nous en avions parlé il y a quelques jours, sans avoir que tu serais prédisposée à avoir de tels dons. Peut-être pourrais-je me faire professeur finalement.

- Ce serait fantastique !

Quelque chose attire le regard de Dante au loin. Son visage retrouve aussitôt une expression sérieuse. En se retournant, Anya aperçoit alors la silhouette du Dieu Félin entre les arbres. Il semble leur indiquer le chemin vers Félinin.

- Nous reparlerons de tout cela plus tard, reprend le magicien. Pour l'heure, il nous faut rejoindre l'Inspecteur.

- Par les Dieux, le Marquis !

Aussitôt, ils rebroussent chemin au pas de course.

Le sachant hors de danger, ils laissent le Cœur du Bois de Hiamovi derrière eux. Le village des Veilleurs et ses ruines disparaissent dans la végétation. Bientôt, la palissade se dessine et les revoilà aux portes de Félinin. À leur approche du Domaine de Richwel, des bruits alarmants leur parviennent.

- Seraient-ils en train de se battre ? s'inquiète Anya au son des coups de feu.

Son compagnon lui adresse un regard dubitatif.

Ils pénètrent sur le domaine pour assister à un conflit entre les agents de la Brigade du Lynx et les mercenaires engagés par le Comte. Chacun est armé de pistolet et autre canon cracheur de balles de plomb. Et s'ils en sont dépourvus, c'est à coups de poings et de bottes qu'ils répliquent. Certains sont blessés, d'un côté comme de l'autre. Et à l'écart de cette cohue, Charles de Olstin tient la Marquise en otage. Menaçant de la blesser à quiconque l'approche, il pose son regard fou sur la scène sans y prendre part le moins du monde.

Dante repère Frank au milieu de cette cohue. Fidèle à ses côtés, l'Inspecteur met au tapis ses adversaires avec force et élégance. Son crochet du droit est redoutable et les crocs de son partenaire du moment tout autant. Sa canne est une formidable arme défensive qu'il assène sur le crâne des mercenaires sans une once d'hésitation.

Dans son dos, contrairement à ce que l'on pourrait penser, Matt ne se débrouille pas si mal. Fluet, il est vif et intelligent. Il échappe facilement à ses adversaires et esquive leurs attaques avec souplesse. En y ajoutant son sens de la déduction et son esprit d'analyse, ce garçon est une relève prometteuse au sein de la brigade, songe le magicien.

Mais le jeune homme prend aussi conscience que le combat dure sans doute depuis leur départ pour le bois. Et que cela n'a que trop durer. Fort sa magie, il ne tarde pas à prêter main forte aux agents de la Brigade du Lynx. De quelques sorts, il envoie valser les mercenaires au loin. Anya l'imite aussitôt.

Le majordome du Comte tente de les arrêter, une torche à la main. Le magicien pare l'attaque de son bras comme si ce n'était rien. Les flammes se meurent à son contact, ne laissant aucune trace de brûlure sur la manche de son manteau. D'un geste, Dante projette Hubert contre ses comparses. Ainsi débarrassé des gêneurs, Anya et lui s'avancent vers Frank pour l'aider à se défaire des derniers mercenaires encore en action.

- Ravis de vous revoir, jeunes gens, les salut l'Inspecteur.

- Auriez-vous besoin d'un coup de main ?

Fidèle lui adresse un aboiement bref.

- Je prends cela pour un oui, sourit-il. Panthérà léoné apàrencià !

Le voilà changé en lion. Les hommes face à lui se figent, s'ils ne reculent pas.

- Prodigieux… murmure Matt admiratif.

Un regard échangé, le félin et le chien bondissent d'un même élan vers les mercenaires.

Ils n'ont pas besoin de jouer des crocs longtemps. Les hommes se laissent facilement intimidés et finissent par renoncer pour battre en retraite. Ne reste dès lors que le Comte et son majordome.

- Bande de lâches ! vocifère Charles. Revenez ! Je vous ai engagés pour ça !

- Il semblerait que votre argent ne les intéresse plus, Monsieur le Comte.

Le lion s'avance et l'homme fait un pas en arrière, serrant sa lame contre la gorge de Dame Inarah. Cette dernière reste d'une calme incroyable. Anya remarque pourtant le regard appuyé qu'elle lui adresse en silence.

- N'approches pas, maudite bête !

- Cette bête, comme vous dites, est le protecteur de notre ville, corrige Frank. Vous devriez lui montrer un peu plus de respect.

- Ce monstre devrait être mort depuis des siècles, crache le Comte en retour.

Le félin retrousse les babines, dévoilant ses crocs. Un grognement résonne et Charles tressaute. La Marquise en profite pour lui asséner un coup de coude dans l'estomac et ainsi se libérer.

- Auriez-vous peur d'un gros chat, Charles ? se moque-t-elle.

L'homme gémit. Il la foudroie du regard. Dame Inarah l'ignore et lui adresse une expression pleine de mépris.

- Le monstre, ici, c'est vous ! Qu'avez-vous fait de mon mari ?!

- Pour le savoir, il vous faudra m'arrêter.

Sur ce, le Comte prend la fuite. Son majordome serviable et dévoué sur ses pas. Il trouve refuge dans son manoir, en verrouille la lourde porte et se barricade à l'intérieur.

- Il ne faut pas qu'il s'échappe, prévient Frank à ses hommes. Charles de Olstin ne doit pas sortir de son manoir !

Peu à peu les agents encerclent la demeure. Mais un rire échappe au lion. Tous lui jettent un regard d'incompréhension et Dante retrouve forme humaine.

- Qu'est-ce qui vous fait rire ainsi, jeune homme ? lui demande la Marquise.

- Le Comte a oublié un détail de taille : moi. Aucun verrou ne saurait résister à une formule justement prononcée.

Sans s'étendre en discussion, il s'avance sur le perron. Un geste circulaire du poignet et un cliquetis sonore plus tard, la lourde porte d'entrée est ouverte sur un Comte stupéfait.

- Il est important d'avoir un atout dans sa manche en toute circonstance, plaisante la jeune mage.

L'homme, furieux, arrache l'arme des mains de son majordome pour la braquer sur Dante.

- Maudit jeteur de sort, rage Charles.

Le coup de feu retentit.

- Dante ! crie Anya de frayeur.

Par chance, son compagnon n'est aucunement blessé.

 

La main tendue devant lui, le jeune homme a érigé un bouclier. La balle de plomb est venue s'y briser. Les doigts se baissent, la barrière magique se brise comme du verre et le projectile tombe sur le carrelage de l'entrée avec un léger tintement.

- Messieurs, arrêtez-le, commande l'Inspecteur à ses agents.

Immédiatement, les hommes de la Brigade du Lynx saisissent le Comte et le désarme. Son majordome est arrêté lui aussi, menottes aux poignets.

Charles de Olstin enrage. Il cherche à s'extraire de la prise des agents, sans succès. Maintenant qu'ils le tiennent, ils ne le lâcheront pas. Néanmoins, il ne se défait pas du mauvais sourire affiché sur son visage. Ce rictus qu'Anya voudrait lui faire avaler. Frank aussi, sans doute.

- Vous rirez moins, Monsieur le Comte, dit-il. Une fois que nous en viendrons à votre interrogatoire, vous perdrez votre sourire. Soyez-en sûr. Messieurs, emmenez-le. Je m'occuperais de lui en temps voulu.

Mais alors qu'ils s'éloignent, ils sont interrompus :

- Attendez ! se précipite Dame Inarah. Charles, où avez-vous enfermé mon époux ? Je vous en prie…

L'air hautain qu'il prend lui arracherait des larmes.

- Je n'ai plus rien à gagner à vous répondre, Très Chère. Et je n'ai que faire de votre époux.

- Le laisseriez-vous mourir ?

- Eh bien, pour être franc…

L'Inspecteur coupe le Comte avant qu'il n'achève sa réponse. Le saisissant par le col de son costume blanc, il le tire vers lui comme s'il ne pesait rien. Leur visage si proche l'un de l'autre, il plonge son regard dans celui de Charles.

- Il vaudrait mieux pour vous que vous répondiez à la Marquise… gronde-t-il. Où retenez-vous enfermé le Marquis des Arflors ?

- Quel intérêt aurais-je à vous répondre, Inspecteur ? Maintenant que vous m'avez arrêté, peu m'importe le reste.

Frank manque de lui mettre son poing dans la figure. Mais ce ne serait pas très étique. Et il retient son geste à regret.

Dame Inarah, elle, se serait effondré si Anya n'était pas venue la soutenir à temps. La jeune femme l'aide à s'asseoir sur les premières marches du grand escalier. Le regard de la Marquise traduit sa peur. Elle qui semble si forte d'ordinaire se laisse envahir par ses émotions sans arriver à les maîtriser. Ce n'est que la présence de sa femme-de-chambre qui l'aide à concentrer son esprit sur autre chose que le sort de son mari.

Elle scrute le visage d'Anya de ses yeux bleus, à la recherche de réponse. Elle ne s'attendait pas à la retrouver en de telles circonstances, la pensant de retour chez ses parents. La jeune femme, elle, lui sourit.

- Comment… ?

- Je suis désolée, Madame. J'ai manqué à mes obligations à votre égard… Je…

- Non, je suis soulagée de voir que tu vas bien, la rassure la Marquise. Par quelle magie es-tu là ? Je te croyais rentrée à Marosie.

- C'est une longue histoire. En vérité, je ne pouvais pas laisser la mort de Gautier impunie. Il me fallait découvrir ce qui lui est arrivé et…

Dame Inarah caresse affectueusement la joue de la jeune femme, comme une mère le ferait envers sa fille.

- Tu n'as pas à te justifier. D'autant plus que ton ami a réellement été assassiné. Ton désir de découvrir la vérité est compréhensible. Le meurtrier devait être arrêté !

Son regard se tourne vers le Comte. Si un simple coup d'œil pouvait tuer…

- Nous aurons tout le loisir de discuter de cette longue histoire, reprend-t-elle. Pour l'heure, il nous faut délivrer mon mari…

- Si seulement votre voisin pouvait se montrer plus coopératif…

Elles portent toutes deux leur attention sur Charles. Ce dernier semble s'amuser de la situation. Bien qu'il ait été arrêté, il tire encore les ficelles et cela l'amuse beaucoup. Au grand damne de la Marquise et d'Anya.

L'Inspecteur, lui, fusille le Comte de Richwel du regard. S'il pouvait, il le passerait à tabac pour lui extorquer des aveux. Il sait qu'il ne le peut pas et Dante vient à sa rencontre, posant une main sur son bras pour lui intimer de lâcher le Comte.

- Nous n'avons pas besoin de lui pour retrouver le Marquis. Je sais où Josh D'Avila se trouve, révèle le jeune homme.

- Est-ce vrai ? Où est-il ? s'enquit la Marquise, folle d'inquiétude.

- Le Comte le garde enfermé dans la cave. C'est jusque-là que Fidèle a remonté la piste, vous souvenez-vous.

- Effectivement, maintenant que vous me le rappelez, vous m'en aviez parlé.

- Ne tardons pas, Inspecteur. Le malheureux pourrait bien être en danger.

Dante prend garde à ne pas trop en dire. Dame Inarah écoute et il ne veut pas l'alarmer plus qu'elle ne l'est déjà.

- Madame, restez-ici. Je m'occupe de ramener votre époux.

- Faites qu'il ne soit pas trop tard, supplie-t-elle.

- Je m'y engage.

Frank sait combien il ne devrait pas donner sa parole de la sorte. Mais, le regard de la Marquise est tel… S'il ne lui affirmait pas qu'il y veillerait personnellement, elle l'accompagnerait dans les sous-sols du manoir à coup sûr, sans lui demander son avis et faisant fit du possible danger.

- Nous vous le ramenons, Madame, assure Anya.

Dame Inarah la regarde pleine d'espoir. Sa femme-de-chambre affirme cela avec tellement d'aplomb qu'elle ne peut pas douter d'elle.

La jeune femme s'assure qu'elle peut laisser la Marquise, celle-ci le lui confirmant d'un sourire fugace et d'un léger hochement de tête.

- Je vous attends ici avec les agents de la Brigade du Lynx, garantit Dame Inarah.

Anya retourne donc aux côtés de Dante et de l'Inspecteur. Elle tient à descendre avec eux dans la cave pour retrouver Monsieur Josh.

Quittant ainsi l'épouse de Josh d'Avila aux soins de ses hommes et de Fidèle, l'Inspecteur et les deux jeunes gens se précipitent vers la porte de la cave. Le cadenas, aussi solide soit-il, ne tient pas tête longtemps et se brise face à la magie du jeune homme. Anya et lui descendent les marches, la curieuse luciole pour toute source de lumière. Sans hésiter, Frank s'engouffre dans la cave à leur suite.


***

 

Le vacarme qui règne au-dessus résonne jusqu'à sa geôle. Ses oreilles bourdonnent, il a du mal à savoir ce qui se passe. Il ne perçoit que des sons déformés et étouffés. Il sait seulement que quelque chose se trame, mais ignore de quoi il s'agit. En vérité, il s'en moque. Il est fatigué de résister. Si fatigué…

Affaibli, il n'a même pas la force de se lever pour tenter d'apercevoir ce qui se passe au dehors depuis la meurtrière de sa cellule. Alors, il reste allongé sur son lit de fortune, le regard dans le vide, n'attendant plus qu'Elle.

Faites que cela cesse, songe-t-il. Son crâne le lance, la migraine est insupportable et dure depuis des jours. Voilà un moment que son estomac ne proteste plus, que la douleur due à la faim ne le tiraille plus. Mais son corps tout entier lui fait savoir qu'il est douloureux. Si seulement ce boucan pouvait annoncer le repos qu'il espère. Il a conscience qu'il ne tiendra plus très longtemps ainsi.

Son esprit vacille, sa vision trouble lui permet seulement de distinguer une image floue de ce qui l'entoure. Et ce remue-ménage qui persiste… Ce tapage et ce son métallique qui résonne accentuent sa migraine. S'il n'était pas vidé de toute énergie, il s'arracherait bien les tympans. Pour que ce bruit cesse enfin…

Afin d'y échapper, il se recroqueville dans la maigre couverture. Tout le dérange et le gêne. La lumière pourtant si faible. Le bruit, même infime, des rats dans la pièce. Jusqu'au tissu rêche de la couverture dans laquelle il se roule. Il n'a plus la force de supplier, ni celle de prier, il ne parvient plus à espérer. Il a cessé de manger depuis des jours déjà. Et bientôt, Elle viendra le chercher. Le temps fait son œuvre, doucement. Trop lentement à son goût. Il ne peut qu'attendre et se laisser partir peu à peu. Que peut-il faire d'autre…

 

Cela fait quelques jours déjà qu'il croit apercevoir un grand chien noir, assis face à lui, devant la seule issue de sa prison. Et sans trop savoir pourquoi, il comprend ce que cela signifie. Ce n'est pas son fidèle compagnon qui vient lui rendre visite. Non. Le regard doré de l'animal n'est pas celui de son ami à quatre pattes. C'est Elle qui lui signifie qu'Elle viendra bientôt le chercher via son messager canin, qu'il n'a plus longtemps à attendre.

Il est fatigué de survivre dans ces conditions. Il préfère La rejoindre. Mais c'est si long. Pourquoi ne vient-Elle pas ? Pourquoi le fait-Elle patienter ainsi ? N'est-il pas assez éprouvé pour qu'Elle daigne l'accueillir ?

 

Résigné, il fixe la porte face à lui, sans vraiment la voir. Comme si elle allait s'ouvrir sur Elle et qu'Elle lui tendrait la main pour qu'il la suive. Il aimerait tant… Si cette main pouvait se présenter à lui, il la saisirait sans hésiter. Là. Tout de suite. Sans réfléchir d'avantage.

Pourtant quand la porte s'ouvre, ce n'est pas pour laisser la Mort entrer. Le pauvre homme décharné ne se rend même pas compte qu'il n'est plus seul dans la pièce. Son esprit est déjà ailleurs. Son regard vide n'affiche aucune surprise car il ne voit qu'une forme humaine quasi fantomatique, sans parvenir à distinguer un visage. Il ne reconnait pas celui qui entre, et pour lui ce n'est qu'un inconnu de plus. Peut-être même une divagation de son esprit.

Bien que son regard soit fixé dessus, sans doute ne s'aperçoit-il pas que la porte s'est enfin ouverte. Le bruit des clefs dans la serrure ne l'a pas ramené à la conscience. Ni même le grincement de la porte de sa cellule. Car doucement, il se laisse partir. Il veut partir… Cette silhouette, est-ce Elle ? Il en doute. Ce serait bien trop beau.

Résigné de devoir faire face une fois encore à l'un de ses geôliers, son esprit capitule et sombre aussitôt. Cependant, l'inconnu ne lui laisse pas ce plaisir et vient le brusquer. L'appelant par son prénom, il cherche à l'empêcher de s'endormir. Le prisonnier, lui, ne reconnaît pas la voix du visiteur. Il demeure inerte, couché sur le flan, le souffle si faible qu'il est à peine perceptible. Il veut simplement s'en aller avec Elle. Pourquoi le lui interdit-on ? Pourquoi ne peut-il pas simplement fermer les yeux ? Il a tellement sommeil…

 

***

 

L'Inspecteur, guidé par le mage et la jeune Catanya, avance dans le couloir du sous-sol. Une petite sphère de lumière flotte devant eux pour éloigner la pénombre de l'endroit. Il se demande si ce tunnel prend fin, semblant interminable.

Le long des alcôves en voutes de briques rouges, la collection de bouteilles de grands crus a de quoi impressionner. Mais bien qu'il soit œnophile à ses heures, ce n'est pas ce qui amène Franck. Peu lui importe que le Comte soit amateur de vins renommés. Il est là parce que Charles est accusé d'enlèvement, séquestration et peut-être même tortures.

Il a presque du mal à croire qu'un homme qui semble si raffiné puisse œuvrer dans de tels actes barbares. Comme quoi, les apparences sont bien trompeuses. À parcourir les sous-sols du manoir, il se fait de plus en plus à l'idée que c'est l'endroit idéal pour fomenter enlèvement et tortures. Dans cette cave, au milieu des bouteilles de cabernet ou de merlot, il n'y personne pour entendre vos cris.

Ils marchent un moment, en silence. L'angoisse les tient. Ils craignent d'arriver trop tard et concentrent tous leur attention sur le bout du couloir et la source de lumière que Dante a créée. C'est sans doute mieux ainsi. Autrement, ils s'angoisseraient les uns les autres. La tension est bien assez palpable comme ça. Et cette cave à l'ambiance presque lugubre n'aide pas à la chasser.

Puis, alors que l'Inspecteur commençait à se demander si le sous-sol n'était pas sans fin, ils arrivent au bout, face à une voute murée habillée d'une porte de bois sombre. Une meurtrière à hauteur d'œil invite à regarder au-delà.

- C'est ici, indique Dante.

La petite sphère de lumière se divise pour se glisser par l'orifice et ainsi éclairer de l'autre côté. Frank s'approche de la petite ouverture à barreaux et jette un regard. Là, après cette porte, il découvre ce qu'il craignait.

Dans une pièce de huit mètres carré à peine, aussi sombre qu'un placard à balais, une forme se dessine. La luciole de magie flotte au-dessus d'un homme quasi inconscient, couché sur un matelas défraichi et usé. Son regard vide ne réagit pas à la source de lumière qui l'éclaire.

L'Inspecteur ne peut retenir un juron stupéfait. Il reconnait aussitôt le pauvre bougre enfermé là et l'interpelle. Mais le prisonnier ne réagit pas à l'appel, ses yeux sans vie fixant la seule issue de la pièce sans la voir. Frank craint d'arriver trop tard.

Il se précipite sur la serrure pour entrer dans la cellule. Les clés tintent sur le métal. Et dans son empressement, l'Inspecteur ne parvient pas à ouvrir. Il peste, grogne, s'énerve. Le prisonnier, lui, demeure sans réaction.

- Josh, restez éveillé, je vous en prie, dit-il.

C'est Dante qui, en quelques paroles, force la serrure à l'aide de sa magie. Alors, la porte s'ouvre enfin et Frank s'engouffre à l'intérieur de la pièce improvisée en geôle pour venir près du prisonnier. Il saisit son poignet sans tarder, pour vérifier son pouls. La peau de Josh est si froide, son corps décharné par la faim. Par chance, il perçoit un battement, faible mais existant. Il lâche un soupir de soulagement.

Les yeux de Josh se ferment peu à peu et l'Inspecteur se hâte pour l'empêcher de sombrer. Il prend l'homme contre lui, le muchant un peu plus dans la couverture élimée, le frictionnant afin de le réchauffer. Pourtant, le prisonnier ne revient pas à lui. Frank lance un regard suppliant aux deux jeunes gens qui l'accompagnent.

Anya sort un mouchoir de sa poche, le trempe dans l'écuelle d'eau pour l'humidifier avant de le passer sur le visage du prisonnier, espérant une réaction.

- Monsieur, appelle-t-elle timidement, s'il vous plait revenez à vous.

Le Marquis esquisse un frisson incontrôlé lorsqu'elle essuie sa joue.

- Josh, c'est Frank, réveillez-vous. Allez ! Dame Inarah vous attend.

Faiblement, à la mention du nom de sa femme, les yeux bleus du Marquis s'entrouvrent. Sa vue est sans doute trouble car il fixe l'Inspecteur sans le reconnaître. Ou son esprit est si faible qu'il ne parvient pas à réagir comme il aurait dû, ne comprenant pas ce qui se passe. Il reste sans expression, mais il est vivant.

La jeune femme trempe à nouveau son mouchoir dans le petit bol d'eau et tente de faire boire le Marquis. Les lèvres sèches et craquelées saignent à peine les a-t-elle touchées, mais l'homme vient instinctivement suçoter le tissu humide.

- Depuis quand n'avez-vous rien avalé, Monsieur…

De le voir si amaigri l'attriste. Elle en a les larmes aux yeux. Lui qui était un homme fort et solide, il n'est plus que l'ombre de lui-même. Le visage émacié, une barbe de plusieurs semaines, le corps décharné, le regard inexpressif. Il ne mérite pas cela.

- Charles de Olstin est un monstre ! ne peut-elle s'empêcher de gronder.

- Il faut le sortir d'ici, lâche Frank. Il doit voir un médecin, d'urgence.

Sans que l'Inspecteur n'ait à le demander, Dante défait les menottes du malheureux de quelques mots chantant. Les entraves tombent, laissant les poignets et les chevilles de Josh libres mais à vif.

La peau est rouge, irritée, presque saignante, prouvant que l'homme a cherché à se libérer sans y parvenir. Et ce à plusieurs reprises. Aussitôt, Anya déchire son mouchoir en bandelettes pour panser les plaies. Le Marquis n'a qu'un froncement de sourcil face à la douleur de sa peau à vif au contact du tissu humide.

Sitôt libéré de ses entraves, l'Inspecteur le soulève, le prenant dans ses bras pour le sortir de cette maudite pièce. Josh semble ne peser pas plus qu'une plume. Frank a du mal à contenir ses émotions, lui qui d'ordinaire est si stoïque. L'homme décharné qu'il tient contre lui lui fait énormément de peine, ce qu'il a pu subir le révolte, la cruauté du Comte l'enrage.

- Charles de Olstin ne perd rien pour attendre, dit-il les dents serrées de colère.

 

Doucement, Frank remonte le couloir de la cave vers la sortie. La petite sphère de lumière de Dante ne les a pas quitté et les précède de nouveau, indiquant le chemin. Josh ne semble pas se rendre compte qu'il n'est plus dans la cellule. Son regard est perdu dans le vide, sa tête appuyée contre l'épaule de l'Inspecteur.

Lorsqu'ils atteignent enfin l'extérieur, les yeux du Marquis s'écarquillent aussitôt. Il cherche à se redresser, comme pour apprécier sa liberté retrouvée et la morsure du soleil sur sa peau. Or, son corps le fait énormément souffrir et ne lui permet pas de se mouvoir tel qu'il le voudrait. Il siffle entre ses dents et se résigne à demeurer inerte. Pourtant son regard est plus vivant que jamais. De quoi rassurer l'Inspecteur.


***

© Lynn RÉNIER
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