Apparence et servitude

Christian Le Meur

De la révolte...


Anesthésiés dans le prisme formaté de la servitude volontaire, nous nous affairons dans l'illusion de détenir et de maîtriser les rênes de notre destinée. Pourtant, il suffit d'arrêter de se mentir pour prendre conscience qu'en réalité nous évoluons dans un champ limité par nos peurs, nos inhibitions qui génèrent en nous ce non-choix insidieusement imposé par notre construction mentale.

Notre consentement à l'obéissance répond à un besoin viscéral d'être rassuré face à cette anxiété voire cet état de panique qui nous envahit à l'idée de nous retrouver dépouillé de nos certitudes et de nos possessions que nous croyons concomitantes à la satisfaction de nos besoins vitaux.


Pour éviter de se confronter à la vacuité de notre existence et à notre conscience libérée, nous dévorons frénétiquement la profusion de divertissements mis à notre disposition. Comme l'ultra majorité d'entre nous, nous prêtons allégeance au plus fort, au plus convaincant dans le discours politique, religieux, sociétal, pour peut qu'il nous serve du prêt à penser. Nous reste alors une vie factice mais ce leurre n'est qu'une course à l'humaine ambition, à la mesquinerie égoïste et finalement à la survivance conflictuelle qui fait de nous les spectateurs-acteurs de ce simulacre organisé; Engagé dans ce déterminisme étriqué, sans avenir enrichissant parce que sans lumière et finalement sans amour, nous vivotons dans la permanence des antagonismes et de la quête matérialiste. Symboliquement, de notre plein gré, nous entamons notre lente descente aux enfers qui commence par les affres du mal-être et son cortège de meurtrissures, de renoncement.


Cet état d'être se justifie parce que dès la création, les fondations des sociétés humaines se sont elles-même érigées et ont évolué sur le mensonge institutionnalisé. En réalité, quel que soit le paradigme proposé, la société dérive sur un océan d'apparence, au gré des idéologies, des intérêts particuliers, mais sans projet porteur qui nous ferait enfin basculer du stade d'homme à celui d'être humain.


Par manque de clairvoyance nous faisons l'amalgame entre les faits tangibles, indiscutables, et l'opinion exprimée sur ces faits, particulièrement quand cette opinion, outil de propagande, est imposée par la caste dominante et son régiment de sachants et de censeurs.

Dans ce jeu de dupes où les attributs du pouvoir autorisent le mensonge institutionnel ( Pour le bien de la cité, préconisait Platon (1) ) et une violation de plus en plus intrusive de notre vie privé, notre qualité d'humain oublie son identité, son moi sensible et finalement sa relation qui liait, de par ces racines originelles, à l'équilibre du monde. Réduits à un mécanisme organique, certes complexe, mais que je qualifierais d'entité rationnelle productive, semblable à ces foules démunies d'espérance, nous tenons le rôle qui nous est assigné dans l'espérance d'un avenir radieux, ex paradis, aujourd'hui cautionné scientifique.


Cette voie de mutation transforme la société humaine en une vaste machinerie mondialisée au fonctionnement permanent et aux objectifs indéterminés voire irrationnels .

Étonnemment il n'y a aucune finalité objective à notre soumission, à nos agissements planifiés, normalisés hormis celui d'être réduis à un outil humain parfaitement anonyme et à obsolescence programmée. Sans doute la négation de notre libre-arbitre constitue-t-elle l'ultime sacrifice à consentir pour obtenir le privilège d' intégrer la masse fourmillante de cette sacro-sainte cohésion sociale fédératrice et protectrice.


à l'acceptation.


Pour s'assurer la perpétuation de notre modèle social, nous avons pris soin de condamner à l'illégalité, où à la marginalisation condescendante toutes voies non scientifiques susceptibles de promouvoir notre indépendance d'esprit, créatrice de liberté et architecte de notre propre chemin de vie.

Nos sociétés planifiées et aseptisées reposent sur la conviction qu'en décryptant les lois de l'univers et en se les appropriant nous posséderons les clés de notre existence et par là même les raisons de notre vie sur cette terre. L'acceptation de ce dogme a conduit à l'émergence d'un homme nouveau.

La disparition de l'homme religieux pour l'avènement d'un homme scientifique ( et technologique) qui rejette avec énergie et mépris la conception extraordinaire et donc sacrée de l'individu. Cet homme nouveau pouvant se définir comme à un ensemble physiologique cohérent de morcellements physiques et chimiques répertoriés, nomenclaturés, immatriculés mais au final indifférenciés pour l'ensemble des milliards d'humains vivant sur cette terre.


Le credo du scientisme qui repose sur la méthodologie expérimentale ( observation rigoureuse puis expérimentation avec interprétation des faits démontrables ) a permis à l'ordre établi de se désengager des services de la théologie et avec elle cette perspective qu'une puissance supérieure puisse être maître de la création puisque l'ayant conçue dans sa totalité. L'atout majeur du raisonnement scientifique, outre qu'il reste valide même si on le conteste, réside dans sa négation par la preuve de l'existence d'un pouvoir suprême et intemporel.


Pourtant si l'on part de l'hypothèse simple que les lois invariables de la nature sont un principe absolu de vérité, le modèle théorique défini par Claude Bernard (2), (observation/comparaison /jugement motivé) interpelle sur un point. L'esprit de l'observateur étant formaté par son héritage culturel, son éducation, autrement dit, son conditionnement, son raisonnement tend à se projeter au delà de l'invariabilité des lois naturelles?. Ces lois réinterprétées parce qu'édictées par celui qui les détermine, excluent les particularismes pourtant inévitables à cette approche.

D'autre part et nuisant encore à la validité de cette conception, la dérive de l'ultra-spécialisation qui, comparable à un syndrome de régression, dégrade l'intelligence, perception éclairée indispensable pour garantir une conception globale du monde, et donc du vivant .


La médecine dite allopathique, pourtant compétente dans le domaine qui lui est propre, s'appauvrit dramatiquement dans la fragmentation de sa maîtrise tout en s'égarant dans des espaces échappant à ces méthodes d'investigation.


Aparté : Comment et à titre d'exemple la bible définie le Rôle du médecin?

Dans l'ancien testament ( Livre de Tobie), le rôle du gardien de la santé est dévolu à l' Archange Raphaël. Celui ci ce présente à Tobie pour veiller sur lui. Il l'accompagne et le guide dans un parcours initiatique qui lui permettra, en retour, de guérir son père de la cécité .(Allégorie)


En s'éloignant de leur mission de dépositaire des valeurs de dignité humaine par la maîtrise des outils de compétences définis par Claude Bernard (de la physiologie /de la pathologie/ de la thérapeutique), progressivement, la médecine s'est positionnée sous l'autorité des grands sorciers de la chimie et demain du transhumanisme, gourous de l'ultra normalisation lucrative et de la déshumanisation de masse.

Pour ce faire, ils appliquent à l'être l'humain, le procédé général appartenant aux mathématiques. Ce procédé inapproprié génère une multitude de contradictions, un sentiment de dépersonnalisation et finalement la dépossession de sa nature sensible.

Sans doute la condition sine qua non pour intégrer le prisme formaté d'une servitude par si volontaire que cela.


Notes :

1) Platon : la république

2) Claude Bernard : Introduction à l'étude de la médecine expérimentale ( 1900)


(Photo de l'auteur)
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