Arctique

Christian Lemoine

Le grondement sourd. La basse continue qui ébranle les cloisons métalliques, la coque vibrante des ondes dispersées tant par les couches de l'air que par les vagues répliquées. Le cargo s'émeut des cassures. A tribord, l'arche blanche crache par pans de murs brisés des briques de glace qui giclent en percutant la mer. La basse continue parfois enfle, se gonfle de nuances, d'éructations fuselées, de tristes borborygmes ; une menace qui se précise. La bande-son d'un drame imminent. Puis les griffures se calment, retrouvent le lit réfréné de la ligne de basse. Mais bien sûr, ce ne sont pas ces variations rythmiques qui diffusent l'angoisse. C'est le chaos versatile d'une insaisissable mélodie. Il en surgit des stridences affolées, des cymbalisations vénéneuses. Ces à-coups sans prémices alertent. Ils éveillent les épouvantes. Un craquement, un orage amplifié, qui annoncent une nouvelle débâcle. A tribord, dans l'ombre bleue de l'arche, un arceau blanc se détache. Il plonge dans un ralenti qui suspend la critique, soucieux de sa mort grandiose. La surface des eaux grises semble l'avaler sans sursauts, étrangère aux remords, avant que ne parviennent les désaccords des gerbes projetées, en même temps que se lève la vague, énorme, nourrie des abîmes qui se creusent en elle comme un tombeau. Le cataclysme dérisoire se poursuit, perpétuant sa partition inéluctable. Plus au sud, les appétits insatiables tracent déjà les routes des butins sur la mer libérée des glaces.
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