Arno, un "bo" human incognito

Sandie Khougassian

Arno, Human Incognito en concert

  Un peu à la bourre mais finalement les quelques coups de frein et le nez à nez sur le périph' firent bien les choses. Il restait quelques places au premier rang. Pas de fosse ordinaire mais des strapontins sans manières, mon coccyx était déjà amer, mes fémurs faisaient aussi un peu la gueule, il fallait s'asseoir et ce faux cul en faux velours rouge allait passer sa soirée à affûter mes joues déjà bien pointues. La salle n'était pas grande, l'intimité restait domptée, les rangs étaient rangés, le barman allait pouvoir prendre sa pause et moi basculer sans pause. J'avais hâte.

  Un homme à la langue disciplinaire s'invita au peloton -rehausseur de voix-. Il fallait boycotter ce mammifère 64 Go bruyant et aveuglant qui nous suivait partout comme un troisième poumon. Pour le film-souvenir, fallait oublier, l'emplacement mémoire n'avait qu'à faire de la place. (Le mien a toujours filtré, pourvu qu'il ne débite pas de conneries. A postériori, on n'est jamais sûr de rien…)

  Les enceintes géantes me provoquaient en me matant mutiques et sans zic. Je m'appuyais alternativement sur une joue puis sur l'autre quand un doigt écrasa l'interrupteur général. Clac ! Ma chemise de bucheronne des montagnes s'était vidée de son hémoglobine. Le damier « automne-hiver » prit la tangente s'en prévenir. Mes voisins et voisines, eux, aussi, avaient aussi été gobés par le même rituel des minutes obscures. Et puis, une lumière blafarde tapa du pied. Elle épia l'arrivée des premiers amphitryons.

  Rien à redire, le duo de vrais frangins lacéra la pochette-surprise. Les premières notes, les premiers refrains, les mélodies courraient sur la gratte et se ligotaient les unes aux autres bien inspirées. Il parlait et poussait des aiguës comme Barbara, ce n'était pas Gottingen qui allait me dire le contraire; ils décomplexaient sans sourciller une madeleine au goût Noir Désir d'un jeu Décomplexe; Scarlet allait servir le whisky enivrant tandis que le beau Brel surveillait la scène de son cumulonimbus en titubant. C'est vrai, beaucoup de fantômes mais de vrais textes et un répertoire qui te tord les boyaux.  Ce n'est pas faux, Jeremie Bossone à la mèche Sirkis créa la surprise. On en redemanda mais pas de rab. C'était juste l'entrée. Le plat principal allait être servi bien chaud.

  Des phares de bagnoles gigantesques s'étaient jetés dans le vide. T'avais le choix entre le bien, tout blanc, ou le mal, tout noir. Mes yeux hésitaient comme toujours. La scène paraissait encore plus chienne cette manichéenne. Et le costard noir de la pochette apparut avec une tête et de petites mains toutes blanches. La chemise libérée et le col ouvert mais pas trop, il entra. Les paupières aux lourdes mallettes et, pas si anonymes que ça, elles, étaient bien closes. Les phares s'étaient mis en mode -route- et arrachaient les rétines les plus limitrophes. La lumière forçait à la contemplation aveugle mais même pas mal.          Des cheveux blancs hirsutes balayaient les poussières ailées. L'air apaisé et dulcifié, la belle « Belgitude » cristallisa l'espace à sa première ouverture de bouche.

  Trouble ? Or no trouble ? Oui, la décharge rock chahuta les globules les plus sensibles. Sa jambe droite décolla du sol, le talon dicta sa mesure au plancher éreinté, une main balançait la perche de gauche à droite. Le batteur troubla la grosse caisse de son pied. Le chêne taillé en roseau vint s'abattre en binôme sur le tom basse et puis se déchaîner sur ses petits frères. Les cymbales vociféraient. Le bassiste au regard -congélateur- fit geindre ses cordes. Le second, moins glacé, répondit en cascade.  Le synthe en transe claquait des dents. Et personne n'avait envie de prendre l'Exit mais plutôt de crier Please Exist. Absurde ? Non aucunement, la ballade au pays d'Arno nous fit traverser toute la gamme des battements du noyau.  L'Amoureux de la chair et du combustible spiritueux non ennuyeux suppliait un sauvetage langoureux, l'oie n'était pas si blanche mais elle excitait nos sens sur un Dance like a goose.  Le old motherfucher, le vieux saltimbanque au foie râpé et à la voix toujours aussi usé avait le cerveau plein de poussières mais était heureux, le vieil ado se répétait. Trop tard pour grandir mais pas trop tard pour frapper du pied avec lui. Avec Je veux vivre, on glissa dans l'utopie d'un monde sans chichi et où les cons ne faisaient pas de bruit.

  Des reprises, des morceaux cultes, de la nostalgie et des larmes aussi, enfin surtout les miennes et puis peut-être celles de ceux ou celles que je n'avais pas vues dans le noir. Les yeux de ma mère m'envoyèrent au fond d'une cavité sans trou ou plutôt au fond de mon quadrilatère Zadig & Voltaire. Je n'avais pas de mouchoirs, fallait bien essorer…

  De la confidence, du grave, du rock n'blues acéré et de la tendresse en pente douce avec un premier baiser qui saute comme une nouille mais pas de faux semblants, juste de l'authentique, juste de l'Arno qu'on aimait et qu'on aime toujours et encore.

  Il se caressa sa barbe naissante comme on caresse la vie qui passe et, ouvrit les yeux.

  On n'est pas prêt d'oublier qui il est.

 

Merci Arno.

 

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