Arrêter d'être addict...

Brice Chollet

Pourquoi arrêter le produit quand on se définit par sa dépendance ?

Me demander d'arrêter mon bordel, c'est comme demander à un aveugle de voir. Je suis malade de la drogue (c'est comme ça qu'on dit). J'ai été diagnostiqué polytoxicomane, j'ai un trouble de la personnalité, une dépression sévère, un TDAH et des brouettes. Oui, ce sont des maladies, toxico, TDAH etc..., ce ne sont pas des ambitions professionnelles. Mon bordel n'est pas l'origine du problème, il ne faut pas se tromper, la drogue est un symptôme et pas la cause du mal. Même si elle en fait partie par la suite.

J'ai mal, j'ai dépassé la limite du supportable, et ça ne se mesure pas sur une échelle de dix une douleur pareille, je voudrais qu'on m'arrache une dent sans anesthésie plutôt, tellement j'en peux plus. Celles et ceux qui connaissent cette douleur savent de quoi je parle. On me dit qu'il me faut apprendre à faire avec, il faut serrer les dents, c'est censé finir par disparaitre, il parait. Je fais ça depuis 1996, je patiente, mais la douleur augmente ? Ça ne suffit pas les doses de médicament. J'ai assez serré les dents, je n'ai plus que des chicots, j'ai patienté, j'ai été dans la culpabilité parce que pas diagnostiqué assez jeune et vous voulez que j'attende combien de temps ?

Il est temps d'être réaliste et logique, je veux que ça s'arrête, je ne guérirai pas, il faut être lucide et l'accepter. Un neurologue m'a appris à 35 ans que mon parcours avec les narcotiques était normal, vu mon TDAH bien chargé (Trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité). J'ai consommé de tout pour me canaliser. Le produit que je préfère aujourd'hui fait partie de la même classe pharmacologique que le médicament prescrit pour cette pathologie. Ce sont des amphétamines et elles ont un fonctionnement comparable. Celle qui vient des labos médicaux en France n'enlève pas le mal. Mon psychiatre ne peut pas me donner de dose satisfaisante d'un médoc qui me permet juste de sortir du lit si j'en prends double dose.

Mon amphète venue de laboratoires étrangers et légaux chez mon fournisseur privé me rend le sourire. Je retrouve ainsi le gout de la vie, le plaisir de la musique et l'envie de faire des choses. Parce que j'arrive à fonctionner correctement qu'avec les amphètes. Dès que j'arrête, je suis vide. Lire, regarder, écouter, impossible, mon attention n'est là pour rien ni personne. Sobre, je ne sors pas du lit. On ne peut pas me dire d'arrêter. C'est comme demander à un aveugle de voir, c'est pareil, c'est physique et chimique.

C'est comme un cancer, un handicap. C'est un diagnostic, tu l'as ou tu ne l'as pas. On a peut-être un peu le choix dans la vie, mais on me dit intelligent, donc on peut comprendre que je ne suis pas assez con pour payer aussi cher mes années avec les frères benzène uniquement pour épater la galerie. Et je ne cherche pas à me tuer, c'est trop long. J'ai eu le choix et à chaque fois que j'ai pris une drogue, je me suis demandé si l'idée était bonne et si j'avais les moyens d'assumer les conséquences.

Aujourd'hui, j'estime être le seul habilité à savoir ce que je peux ou pas encaisser et ce qui me permet de survivre avec mes handicaps. Si je recommence, c'est que rien ne me fait autant supporter la douleur que cette molécule. Même l'amour, tu as toujours un doute qui plane, avec la drogue au moins, tu n'as pas de surprise quand tu as mon parcours.

Tu demandes à un malade des drogues de faire un effort et d'arrêter de consommer, c'est comme demander à un muet d'arrêter de faire chier tout le monde, de bien vouloir se mettre un coup de pied à son derche de feignasse assisté, et de parler, comme tout le monde. J'y arrive bien moi, à faire un son quand je souffle dans ma gorge, à faire des bruits avec ma bouche. Alors pourquoi il ne le fait pas lui, si ça se trouve, il n'entend même pas ce con, je trouve ça louche.

C'est parce qu'il a comme moi, une malformation quelque part. Lui, ça dérègle la parole, moi, je ne produis pas ce qu'il faut et je souffre. C'est le vertige total, sans produit, et je m'assomme avec ce que je trouve, et le peu de molécules qui marchent encore. Parce que, dites-vous bien, j'en ai testé des chimères pour enfin être parfois réellement soulagé, et je l'accepte, il y a une contrepartie.

Je me drogue en pesant au milligramme, en étudiant les écrits et témoignages sur la molécule testée, j'ai de quoi prendre mes constantes et un antidote a presque tous les moyens de se faire du bien que je connais et j'en ai rayé beaucoup de la liste. Je connais mieux mes molécules qu'un médecin, puisque moi, j'ai les renseignements, les témoignages et je les ai testés sur moi, j'en connais les effets. Je peux faire des pauses sans manquer.

Je suis plus méticuleux qu'un suricate nucléaire et ni un pharmacien ni un soignant ne connait aussi bien cette molécule qui, je viens de l'apprendre, est passée interdite en 2024, ne sera plus produite et elle est en rupture de stock depuis aujourd'hui sur mon shop. Plus d'alternatives j'ai l'air malin avec ma dèche définitive, et les molécules qui sont proposées ne font pas le job. Bien sûr, il y en a sûrement un qui marcherait, mais j'avoue que la médecine, même si elle est frileuse, ne change pas de solution tous les deux ans et là, pour le moment, je n'ai plus la foi...

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