Artisan du social
Jean Claude Blanc
Artisan du social
Mon œuvre accomplie, j'ai dû tourner la page
Diplomate, beau parleur, artisan du social
Atteint par la retraite, je rumine mon mal
Au rang des périmés, je m'ennuie, c'est fatal
J'offre ma contribution, avant plier bagage
La souffrance, l'ai subie, même en particulier
Ayant comme clientèle, que ruinés, mal mariés
Ou les deux à la fois, logés à même enseigne
Zélé et avisé, consolateur de peines
AS en Entreprise, de la Fonction Publique
A première vue, ça en jette, employés protégés
Planqués sous leurs dossiers, ces sacrés ronds de cuir
Coolos, je le croyais, peuvent pas être virés
40 ans en arrière, c'était vraiment le cas
Entré par la grande porte, comme on entre dans les Ordres
C'était un privilège, de servir l'Etat
Comme dame de charité, jouer les métronomes
Au fil des années, de moins en moins d'ivresse
Ouvriers syndiqués, se délestent de leur laisse
Car se sont fait grugés, par de vaines promesses
Les ressources humaines, supplantent les AS
Mais à leurs salariés, font plus guère de caresses
Avec le recul, j'avoue, je suis verni
Avec mon pécule, à temps, je suis parti
J'écoute, désabusé, les folles litanies
Des envieux médisants, remplis de préjugés
« Fonctionnaires, fainéants, roupillent toute la journée
Un œil sur la pendule, pour ça, ils sont payés »
Me moque des commérages, de ces simples d'esprit
Ce métier exigeant, demande de l'énergie
Moi, j'en ai vu de durs, par comble d'infortune
Des deuils, des divorces, alcooliques folies
Quêtes d'aides pécuniaires, pour ceux qu'ont plus une tune
Mais la crise s'aggravant, rapplique l'austérité
Dès le début du mois, vidé le portemonnaie
Manque de fric, de valeurs, moderne épidémie
On l'avait pas prévu, la faillite des nantis…
J'ai dû changer de job, pour soigner les humeurs
AS transformé en sage conciliateur
N'en demandait pas tant, la Boite médusée
En envoyant ses troupes, AS pour la paix
Sa côte rehaussée, solidaire désormais
Mais pas formé pour ça, angoissé, désarmé
L'OS du social, ne fait que panser les plaies
Rustine sur jambe de bois, pour cacher les blessures
De ceux qui perdent la tête, qu'en prennent plein la figure
Mes 5 dernières années, les mois les ai comptés
Consacré aux urgences, courir dans tous les sens
Secourir les stressés, qui veulent se jeter
Sans oublier les faibles, qui protestent en silence
Tous désorientés, mutés, et malmenés
Jamais considérés, des pions sur l'échiquier
De l'administration, qui pour se faire des ronds
Apprend à ses sujets, à ne dire jamais non
(L'AS, relégué, en donneur de leçon)
Résume en quelques mots, précaire situation
Equipe de 10 AS, pour faire entendre raison
A une flopée d'aigris, pris pour des imbéciles
On a fait l'impossible, mais ce n'est pas facile
Patrouille de volontaires, qui oeuvrent pour le bien
De leur soudards, lassés, remonter le moral
En guise de munitions, un cartable, un portable
Un stylo, un papier, et les oreilles en coin
Septembre 2013, y'a plus dix ans déjà
Que j'ai dû mettre le voile, sur 40 ans de tracas
Etait temps que finisse, ma vie de missionnaire
Emissaire de ma Boite, mais complice des misères
Comme tout un chacun, me targue « libre comme l'air »
Ce n'est qu'une apparence, encore solidaire
Aux redresseurs de torts, rajoute ma colère
De voir ce pauvre monde, se réduire en poussière
Mes souvenirs s'éloignent, où j'étais en faction
L'activité me manque, tellement pris de passion
Pour mes frères congénères, que j'ai dû laisser choir
Mes émotions déçues, se tournent vers l'écritoire
J'étais un assistant condamné à plaider
Un de ces humanistes, avocat des pommés
De ceux que l'existence, n'a guère épargnés
Une sorte d'oiseau de nuit, en témoignent mes versets
Un prêcheur d'espérance, dans un désert abstrait
Bientôt 70 piges, campe pas sur mes lauriers
Je retrouve mes potes, parfois à la cantine
Rituel obligé, pour ne pas oublier
Que pendant des années, on a été intimes
AS, à la retraite, m'entoure de misérables
Car je suis né pour ça, défendre l'indéfendable
Ce n'est pas une vertu, qu'une obsédante manie
Quand l'un des miens pâtit, lui dis, poubelle la vie… JC Blanc février 2023 (souvenirs d'AS)