ATCHOUM ET YASMINA
tsintiiia
I – ASILE
Il n'y a pas assez d'amour sur cette terre
Il était vraiment beau, je n'ai même pas une photo
Il était barge, tu ferais bien de changer de credo !
Revenu sur ses terres, il respire mieux. Celui qui est un clodo à Paname peut vivre de peu et pas si mal ailleurs.
C'est une histoire lente. Certains diront qu'il ne se passe rien mais tu sais l'importance des fluctuations de l'esprit, des exilés parlent de Satoris, d'autres d'épiphanies, de Santa Luz ou de feu intérieur ; de Mojo, de Duende. De minuscules parcourent ton corps. Tu penses que ce sont des frissons, que c'est le vent, l'orage ou le soleil, mais ce sont tes habitantes secrètes, celles que tu ne découvriras peut-être jamais, celles que tu frôles dans tes rêveries, lorsque ta main lâche négligemment la barre et que, doucement, tu te sens glisser, et tu te reprends et tu te persuades que rien ne t'a traversé. Mais lorsque ces infimes émergent, te font de l'œil, lorsque tu laisses entrer en toi l'inattendu, il n'est plus question de retour, tu ne peux plus faire comme avant, c'est à toi de choisir la route, de choisir ce que tu vas exprimer et ce que tu vas taire. Il y a longtemps que j'ai choisi les mots, mais il est difficile de rendre grâce à la douceur. La douceur est la plus redoutable. Si nous lui donnions voix, ce monde entamerait une mutation définitive. Le monde meilleur diraient certains. C'est toujours l'été que cela se manifeste. Il ne s'agit pas d'oublier Kasha, elle finira ce qu'elle a à faire mais mon ancien amour et son chien veulent papiauter.
La fille a pensé prendre un train, elle ne sait même pas si c'est lui qu'elle trouverait, s'il aurait gardé ses cheveux ou s'il aurait même l'idée d'être vivant. Des choses pulsent, des bribes se sont réveillées et la tiennent un peu trop électrique la nuit. Son temps s'est repositionné de façon plus créative. Elle sait que si elle ne laisse pas l'écriture prendre la place qui est la sienne, elle finira par tout exploser. Le ventre de l'univers a besoin de plus et il grogne.
II - VISION
J'ai une image précise, ses cheveux bruns, il pourrait porter une sorte de poncho, crème, ou alors c'est son chien qui est blanc ou les deux, le poncho et le chien, mais ce qui est sûr c'est qu'il a encore ses cheveux, parsemés de fils blancs. Il se prend les pieds dans la laisse, le chien veut courir, il a du courrier dans les mains, qui lui écrit ? Des publicités à la pelle et sans doute quelques factures pourtant, il a bien apposé le sticker « publicité interdite » mais qui les respecte ? De toutes parts le monde est assiégé, son visage se ferme, une ligne verticale au strict endroit du troisième œil. La lumière un peu crue de la fin de matinée fait ressortir ses taches brunes, cette explosion délicieuse. Amoureuse de points et de nacres, mal en mélatonine. Il ne peut pas les brûler, interdit, et il ne sait plus où se trouve le bac bleu. Ni le Prince. Quelque chose le traverse. Un souvenir qui ne lui appartient pas. Aussi vite apparu disparu. L'invisible le pince.
Il bouge le moins possible, stricte nécessité. Son potager vivote, la terre n'est pas facile, mais il se débrouille. Des voisins lui donnent des légumes et des œufs. Il a bien pensé à acheter une poule mais il ne les aime pas, il les trouve bizarres et vindicatives. Il ne se résoudrait pas à en prendre une dans ses bras, ni même à les approcher. Il accepte les chats, il les laisse traverser son jardin, faire leurs trucs de chat, bouffer des mulots des souris, du moment qu'ils ne cherchent pas de noises à Fidus. Fidus, c'est son chien, ça sonne un peu comme bifidus, un truc pour le transit et ça le fait marrer. Ce prénom ne veut absolument rien dire mais il n'allait pas l'appeler Fidel ou Fandango.
C'est un chien en or, la rédemption de l'espèce humaine. Il ne sait même plus qui il était avant ce grand dadais, tout à coup la vie a pris un sens radical, son amour s'est redressé et il a un peu oublié de penser à elle. Son amour s'est incarné. Avant, il ne se manifestait vraiment que dans sa tête et dans le réel personne n'en voulait, pas même elle, cette étrange fée qu'il n'a pas réussi... pas réussi à quoi ? Tout a été tellement fort, il a tellement voulu, trop, tout de suite, ça tournait si fort dans sa tête, cette ronde devenue folle; qui offre en cadeau sa folie ? Il ne lui en veut pas, il ne savait pas comment se faire entendre sans faire peur. Peut être que maintenant il n'aurait plus besoin des mots; ils verraient, elle verrait directement dans ses yeux. Elle verrait que ce qui avait l'air affreux était aussi tendre que la rencontre du sable et de la nuit.
Il n'a pas besoin de s'en soucier, il parle au chien, comme il parle aux cactus et aux arbres. Il est persuadé qu'ils savent que tu t'adresses à eux, que tu te prends la tête à leur donner un nom, à leur faire une place plus grande que celle que tu n'as jamais donnée à un humain. Il arrive parfois à une telle affinité avec ce qui l'entoure qu'il lui semble que ce n'est plus du sang qui coule dans ses veines mais de la sève ou de l'or, et il se plaît à penser qu'avec un peu d'opiniâtreté il pourrait arriver à s'autosuffire. On se déshabitue vite des pépiements humains et plus ils y pense plus il se rend compte qu'une poule aurait été un grave obstacle à sa tranquillité. Il s'estime plutôt bien loti, les voisins le tolèrent et l'aident. Il est l'un des fils de ces terres oubliées : désindustrialisation, désertification, enfer minier, comme une tache à l'âme qui ne part pas. Il est revenu et ça suffit à lui donner un certain capital sympathie. Il a la vague impression de faire partie d'une lignée, comme une idée un peu fruste de la fraternité, une fraternité qui a ses petits gestes, ses petites attentions. Il ne se fait pas d'illusion, il sait que ce n'est qu'un sourire de façade, que ça marche parce qu'il est taiseux et qu'il s'occupe de ses oignons et tout est pour le mieux, il a des œufs frais toute l'année. Ce n'est pas qu'il mange beaucoup, les journées sont calmes, son cœur n'est plus en péril. Il a parfois l'impression qu'il pourrait tout aussi bien avoir cent ans. Il a arrêté de compter, il trouve ce monde de plus en plus friable. Il a mangé ses morts et ne leur en veut plus. Il a arrêté de vouloir être un autre, de vouloir d'autres géniteurs, il a accepté ses bagages. Il paraît que la famille où tu nais n'est qu'un passage pourtant, les gens passent leur temps à s'attacher. Tous ces liens toxiques. Ils érigent leurs prisons et crient ensuite qu'ils souffrent alors que d'un vague duvet ils ont fait du béton. Et ils secouent la tête, remâchent jusqu'au cordon l'impuissance. Ils ont réussi à se convaincre que ce n'était pas eux, que c'était la faute à pas de chance, aux autres. Pour eux, le mal est extérieur, ils ne veulent pas admettre qu'ils sont devenus l'idée de leur souffrance. Il a arrêté d'essayer de les aider, il n'y peut rien, il a bien vu que sa voix glissait, qu'elle ne les traversait pas, qu'ils regardaient ailleurs. Il pense au livre « Le nain noir », il l'a lu, il y a longtemps, et il pense que cela a à voir avec ce qu'il essaie de dire. Où trouver un tel livre ? Il faudrait qu'il fasse un saut chez Emmaüs mais cela nécessiterait de se faire véhiculer et c'est toujours trop contraignant, cette proximité dans les transports, communs ou privés.
III - IN THE GARDEN I
Il ne s'est jamais manifesté sur internet, il n'a qu'un vieux portable 2G/H, forfait minimum, minima social. Il a longtemps attendu son appel, il ne pouvait plus se déverser, elle avait disparu, un mois peut-être, mais il a continué, il lui a laissé ce dernier message à propos du miroir et du « Petit chevalier ». Il voulait lui rendre son disque, mais elle n'a plus jamais rien voulu de lui. Il avait donc cessé, comment ? Il a salement merdé. Il a fini par se refaire interner. Après trois ans d'H.P, retour à la case départ, retour au bercail, au nord, adieu Paris. Trop de mélanges : médocs bière, brune, hash. Il a largué les amarres. Le réveil n'a même pas été brutal. Après être resté anesthésié pendant presque deux ans, à faire toutes les rames, à se tromper de stations avec l'idée de la recroiser, il était déjà encerclé. Refaire les pas à l'envers, retourner à Saint-Denis, monter les escaliers sans raison, sans elle. Monter et descendre sans discontinuer, monter et descendre des wagons comme des shoots. Rentrer exténué sans aucune idée du jour et bientôt plus de l'année, tout se diluait. Il a fini par dormir à même le sol. Il l'a vue, une fois, dans le métro, l'a reconnue sous ses lunettes, descendue sans un œil, cette défaite. Mais il a continué. Il se disait que s'il lâchait, il lâcherait tout, qu'on ne le retrouverait plus, qu'il oublierait ce nom qui lui allait déjà si mal. D'ailleurs, il n'était plus que Naze : l'enfant de son père, l'enfant sans père; l'enfant de sa mère, l'enfant sans mère, qui pisse sur les murs, qui l'appelle non-stop toute la nuit avec toujours la même chanson, un leitmotiv déprimant et invivable. Il est le hamster coincé dans les roues, incapable de sauter hors de sa propre circularité, au risque de rompre le lien. C'est un toc devenu énorme et handicapant, il n'y a plus que les pensées horizontales et verticales qui se font la guerre, parfois des points, des tranchées, des coupes dans les nerfs. Des bouts de lui ont explosé, l'œil arrive sous le pieds et la mâchoire dans les WC. Il est à même le sol. Les japonais adoreraient mais les japonais ne savent pas où il est. C'est Selim qui avait dû le retrouver, il n'y avait que lui pour savoir. On ne peut pas compter sur les japonais. Selim était son bon amour, son frère, celui qui déposait des cœurs sur sa porte pour qu'il retrouve son chemin. Il l'a perdu, les cœurs ne font pas tout, à un moment, le palpitant est si amoché que tu ne peux plus. Tu ne peux pas ouvrir le torse et recoudre, tu ne peux pas réparer les fuites, on ne fait pas de la plomberie de cœur. Juste, tu peux te calmer, arrêter les frais. Selim et ses parents ne lui ont pas laissé le choix et il n'est pas sûr qu'il l'avait ou le voulait. Il voulait juste arrêter ces putains de stations, la revoir et l'embrasser ou ne plus jamais y penser. Retour à la case H.P. Adieu Paris et la gitane dans la poche. Adieu Souris Feu et Cailloux.
IV – STICKERS ET COMÈTES (Interlude)
[En relevant la porte du four, je me suis rendu compte que je laissais des cœurs aux encadrures, sur les miroirs, tu sais, les petits cœurs-stickers des enfants, je les laisse traîner dans les coins comme un souvenir fugace. Je me rappelle ce qu'il me disait sur son pote qui lui laissait des cœurs sur la porte, ces signes pour lui. C'est étrange comme des choses de prime abord insignifiantes restent en nous. Ces traces, psychiques, comme ces traces sur le corps dont il parle et qui réapparaissent et disparaissent selon leur propre horloge interne et dont la mécanique et le sens nous échappent, la plupart du temps.
Pourquoi laissent-ils des esprits aussi libres que les nôtres dans ces gangues de chair, tous ces corps étriqués, je ne comprends pas que notre libre fée soit entravée . Ce qui les rassure nous fait courser]
V – LA PREUVE PAR H ET P (et c'est pas du Lovecraft)
Il a dû tout réapprendre. Tenir une cuiller était devenu abstrait, il ne savait plus quoi faire de ses mains, tout lui apparaissait comme vu de loin. Les mouvements dits automatiques ne l'étaient plus. A quoi bon tenir une cuiller, manger puisque son esprit s'était barré et que son corps ne suivait plus. C'était une scindure totale. Je ne suis pas médecin, je les laisse mettre les mots appropriés, je te dis juste où j'en étais et les fragments qui me restent de cette période. Je me sentais pourtant dans une certaine unité. Je veux dire, j'étais juste parti ailleurs. Disons que j'habitais dans une conception horizontale et non plus verticale du monde. J'étais dans l'ouverture totale et leur laissais les squelettes la loi et la domination. Je m'étais absenté, en résistance, comme un noyau dur en moi. On peut croire que je tournais sans contrôle, mais je pense que c'était une façon de ne plus jamais la quitter, de ne plus jamais redescendre sans rien avoir à prendre. J'utilisais un maximum des capacités de mon esprit. Tu sais que l'esprit n'a pas besoin de tous ces succédanés, qu'il peut fabriquer son LSD. L'amour à lui seul est la morsure foncedée. Tu n'as pas besoin de substituts, tout est à disposition, en toi. Il te suffit de tester les boutons, de voyager, ne pas te laisser aller à la facilité. Il n'y a pas de choses qui se cassent irrémédiablement, il y a des résonances très fortes mais tu ne te brises pas. Il aimerait lire son corps. C'est difficile d'imaginer les mains qui ont pu la toucher, il arrête d'y penser avant même d'avoir commencé, il n'aime pas avoir mal, il laisse passer ces frilosités et ferme les fenêtres. C'est à toi de décider qui tu laisses entrer. Il n'aurait pas imaginé pourvoir accéder à ce degré de calme et d'exactitude, cette continuité de lui à l'autre, à l'extérieur qui est de l'eau.
VI - IN THE GARDEN II
Les journées se vident vite de leur substance. Chaque jour, il essaie de retenir des bribes comme il tisserait point par point une autre géographie du monde. Il inspecte le jardin, scrute. Chaque mouvement est une parole, chaque souffle invite au dialogue. Il écoute avec une telle attention que ses muscles se tendent, des abeilles dans les tympans. Il y a tellement de sons et de sens. Il n'aime pas être dépendant des mots et des idées des autres, il aime faire sa propre étude et s'il a ensuite besoin de confronter ses idées, il fait ce qui lui semble nécessaire à sa meilleure compréhension du monde. Sans jamais se gaver. Il n'a pas internet mais il lui reste les bouquins. Il ne veut pas que ce monde le noie. Il a expérimenté ces nouveaux moyens de communication, ils jouent contre toi, déconstruisent ton libre arbitre. Il est essentiel de définir ses propres règles, limites, se connaître pour ne pas basculer et devenir bête et incapable de penser ou se déplacer sans GPS. Penser à ne pas se déplacer sans son squelette. Il ne condamne ni ne rejette en bloc, mais il trace sa voie. Il est allé dans les bibliothèques scruter ces merveilles que le monde moderne croit posséder et il a vite vu les dérapages, comme le glissement était rapide. Il n'a pas eu besoin de trop en faire, crois-moi, quand tu ne sais plus comment ont été englouties tes heures, quand tu as été absorbé, dévoré par écrans interposés, c'est bien plus flippant que de partir loin dans sa tête. C'est ta vie qu'on pompe. Tu peux ricaner, trouver ça grandiloquent, mais ne crois pas que les écrans et les grands manitous qui sont derrière veulent ton bien. Leur rôle de bits, de un et de zéro, est de t'assécher pour que tu aies toujours soif d'eux et ne te nourrisses plus par toi-même; que tu n'aies plus aucune indépendance d'esprit ou de décision. Leur but est le contrôle total, ils te les plantent bien sévère leurs couteaux et pas que dans le dos, dans les yeux, la bouche, les os ; ils sont partout, tout le temps. Tu n'as plus une seconde qui soit vraiment tienne et tu les paies. Tu penses encore défendre une liberté mais tu leur appartiens, locataire sensoriel. Ce ne sont même plus des espaces de cerveau disponibles qu'ils te vendent, c'est ton cerveau qu'ils ont bouffé, bien digéré et recraché ; monnaie virtuelle et débandante. Il vaut mieux penser à les éteindre sinon, tu es sûr que tu seras le premier à disparaître. L'homme ne leur est plus d'aucune utilité. Avant on disait chair à canon, là on peut dire quoi ? Notre chair ils en font quoi ? D'autres en ont fait du savon. Ils en font quoi de notre chair ? D'autres ont vendu la leur pour se faire tuer en direct. Ils en font quoi de notre humanité ? J'aimerais bien savoir ce qu'ils font de ces kilomètres de chair ? Il n'y a plus de place, la mer est déjà saturée, on ne peut pas suspendre la chair dans le ciel, ça servirait à quoi ? Ça gênerait les avions alors, dis : ils en font quoi ?
VII - ATCHOUM ET YASMINA
Il n'aurait même pas eu l'idée de laisser quelqu'un entrer dans sa vie. Un chien un jardin une maison. Il n'y avait plus aucune voie menant à l'excitation, aucune distraction que celle du vent, des feuilles et de l'herbe qui pousse. Yasmina vit dans un camp. C'est Fidus qui est parti s'ébrouer là-bas. Il coursait les chats sauvages et les abats de fortune. Des vertiges au sol, des combines au ciel, des voix trop fortes, des cris de mots mêlés. Il ne veut nouer avec personne, il évite avec brio, mais Fidus a ses lubies et l'une d'elle est qu'il adore les chats qui ne le lui rendent pas, mais ça ne l'empêche pas de s'entêter. Il est resté à l'entrée sans bouger, attentif aux jappements de son chien, il reniflait plus fort, essayait de le faire revenir par la pensée. Il était bien décidé à ne pas entrer et que personne ne s'avise de lui parler. Il n'allait pas se mettre à l'appeler, ça les aurait tous rameutés. Technique de sioux, rester en vigie et, au bout d'un long moment, les deux sont arrivés. Elle le suivant de près, le chien tout frétillant. Elle n'est même pas belle, il voit tout de suite ses boutons. Elle a une mauvaise peau, bruyante, effrontée, la tête haute, la bouche trop grande; grands dieux! Une bouche si grande ne va pas dans un visage. C'est le bordel, partout : des broussailles en sourcils et des « marre ! » en cheveux ; trop courts trop longs, trop bruns trop blonds. Trop de soleil trop de peau, de soleil et de fronde. Elle est trop, ce qui la rend mille fois plus belle que ce qu'un esprit peut envisager, ce qui la place au-delà des définitions de la beauté. On tombe direct fou de filles comme elle, il le sait et il sait qu'il ne peut pas tomber amoureux sans tomber tout court.
VIII - PREMIER RENCARD AU CLAIR DE TERRE
Fidus, tout fier, les devançait. Le chien avait changé de team en deux coups de japps', déprimant. Son visage était aussi avenant que l'entrée de l'enfer de Dante mais elle les avait suivis ; déprimant. On ne lui avait rien demandé, est-ce qu'elle allait continuer longtemps ? Si elle s'imaginait que copiner avec son chien lui rendrait son acné plus tolérable, elle se foutait le sang dans le jonc. Elle se foutait du monde à se balader trouée, comme si mille yeux ne pouvaient s'en offusquer. Mais ça n'avait pas l'air de l'inquiéter et il ne pouvait pas s'empêcher de furtivement y revenir. Comment vivre avec de telles disgrâces ? Il la plaignait un peu, elle n'avait pas l'air de se rendre compte, n'avait-elle pas de miroir ? Il n'y avait pas une once de maquillage. En même temps, elle n'avait pas tort, ça aurait été pire, ce n'est pas pour rien que l'on parle de « cache misère » ; la misère partout et ce sourire époustouflant... Elle avait alors éclaté de rire, un rire trop grand, elle se foutait de tout ! Elle approcha dangereusement son visage du sien, il eut envie de hurler, la griffer, se réfugier sous terre, mer. Les poissons il s'en foutait, mais que cette fille pleine de trous colle son nez au sien... Cette fille est dangereuse, ne la laisse pas t'approcher. Fermer les yeux, ne plus respirer, ne plus penser, ne pas se laisser envahir, elle va disparaître. Un, deux, trois, rouvrir les yeux et tout est redevenu calme et rassurant ; les pieds dans l'herbe, les feuilles le vent. Un, deux, trois, elle est encore là, ses yeux fixes et noirs. Elle n'a plus l'air de vouloir rire. Elle ne dit rien, immobile, un surin. Il a mal, physiquement, sa tête est proche de la vallée des morts. Ses oreilles grincent, ses dents frémissent. Elle tourne très lentement la tête droit devant elle. Le chien oscille, il semble attendre la suite, il sent que quelque chose est en train de se tramer. Elle fait quelques pas, elle est à présent à hauteur du chien, lui caresse la tête et les oreilles, tranquillement, ils l'attendent ; c'est à lui de décider.
IX - LA COUR DES MIRACLES
Tous les matins, les pieds, le chien, passer devant la cour et ne pas regarder. Il est sorti tous les matins, son rythme s'est ensablé. Ce qui était d'une précision d'horloger, les battements d'ailes de son quotidien ont commencé à déraper. De petits tressauts d'abord, comme de légers décalages. Un nuage qui se serait trompé de planète. De petits courts-circuits, de légères incisions, des pas de faux, un pied derrière et l'autre de travers puis, bientôt, des sommations célestes. Il n'y avait qu'une seule explication : la fille à la peau trouée. L'irruption du grotesque dans son quotidien, le verre qui se déplace sans l'eau. Il fallait rectifier, lui faire enlever ses yeux sa bouche sa peau. C'est simple, il faut qu'elle se dédise, qu'elle enlève tout ce qu'elle a laissé sur lui, ses ondes, son rire. Il n'ose même pas regarder sa peau, de peur de les voir apparaître. S'il ne regarde pas, ils ne sont pas là. Il est martelé, sa maison n'est plus sa maison, l'herbe est devenue molle et, bientôt, il foulera un désert. Des papillons avant la plaie et l'éclosion. Pourquoi Fido l'a-t-il lâché ? Pourquoi est-il allé disperser ses entrailles ? Pourquoi les a-t-il offertes à la fille au sang de paille ? Elle a déjà mangé des trucs en lui, il le sait. Les filles comme elle, tout leur est dû. Elles font ce qu'elles veulent, te feront disparaître au matin comme si tu n'avais jamais existé et personne ne se souviendra de toi. Personne déjà ne se souvient, pas même la fée aux yeux de braise. Tu es déjà évaporé, personne ne s'inquiétera. Est-ce que cela te désole ? Est-ce que cela te fait peur, cette disparition ? Tu appartiens au passé, la dernière danse et la dernière saison. La fille aux crocs de lion. Quel besoin as-tu de sauver ce bout de toi encore scotché au réel ? Que peut le scotch face aux dents de Sandor, la fille aux yeux de glace digérera tout et sa peau deviendra belle après la pluie, après avoir dévoré tous ces siècles qui vivotaient dans un taudis. Elle vous sauve, elle excelle ! Regarde ces insectes, sans ailes et sans grâce. Leurs yeux ne sont pas beaux, ils loupent tout, leur temps est occupé, mais ils loupent tout ! Tu sais que les gens occupés n'ont pas de consistance, ce sont des projections d'esprits défunts, pourquoi leur accordes-tu encore le pouvoir de mal te toucher? Tu fais confiance aux vieux rots des morts ? Réveille-toi ! La fille aux yeux de loi est là pour toi.
X – À LA MORSURE, SI J'OSE
J'allais te demander de tout retirer, de t'excuser pour la sale magie et puis j'ai changé d'avis. Je n'ai plus de maison. Ta grâce ; mon infortune. Je respecte ta loi. Je ne sais pas comment j'ai pu continuer de vivre sans toi. Je pensais m'être défait de ce qui encombre les vivants, je pensais m'être défait de la pesanteur, pensais avoir résolu l'énigme de la légèreté. Comment peut-on penser que quelque chose nous appartient, que nous sommes arrivés ? J'étais endormi, comme les autres, à me croire protégé. Est-ce qu'ils te voient comme je te vois ? Est ce que tu leur as beaucoup pris et rendu ? Est-ce qu'il faut que je parte ?
Il était dans l'incapacité d'arrêter de se déverser. Il exigeait des réponses tout en se rendant compte de l'ineptie de son langage, une soupe, qu'elle ne lui dirait rien, qu'elle volait des empires dans de grandes embardées ; qu'elle jetait ses sourires sans les regarder.
Je ne sais rien faire, je n'ai aucune aptitude à m'insérer. Mon maximum semble avoir consisté à ne pas m'être tué. J'ai retrouvé la circularité des rames. Je n'ai jamais vraiment quitté ma folie, un arrêt, on reprend le syndrome, on réexécute facilement ce que l'on sait si bien faire. Mais je ne compte pas boucler toutes les nuits, je n'ai pas la force, je ne te suis d'aucune utilité, je n'ai pas les épaules ; laisse-moi. Je suis Naze, tout est dit, je n'ai pas d'identité, le peu de poids qui me reste me permet juste de ne pas m'envoler. Je ne sais plus partir, tu m'aideras ?
Il allait finir par manger les cailloux. Fido posté près de lui n'a même plus envie de remuer la queue, il regarde ses mains sur le sol, il est à genoux, on pourrait le croire dans la posture du chat sauf qu'il ne fait pas de yoga, non, il est à terre à parler à la fille aux rats, la fille de ceux à qui murmurent ceux qui ne sont plus là.
XI - IL N'Y A PLUS DE BRUIT AU FOND DE LA MAISON
Il suffit de ne plus sortir, de ne plus rien faire, laisser le temps et les gouttes tomber, les choses vont reprendre leur place, il le sait. Il sait gérer l'attente, laisser les voix se calmer. Il suffit de trouver un ventre, il y en a dans chaque lieu. Il suffit d'être attentif, de trouver cet espace intérieur et de se laisser porter par les vagues successives de silence. Tout est très simple lorsque l'on cesse de tout contrebalancer. Il suffit de ralentir les ondes, la courbe du cœur. Il faut arriver au presque plat. Les ondes changent de fréquence, le cœur ralentit; les fonctions vitales sont épargnées et il se retrouvera. Les trous se refermeront comme de gentilles fleurs. Il lui enverra quelques pensées si nécessaire, pour le déplacement, mais il est hors de question de la revoir. S'il pouvait, il partirait, mais il n'a pas envie de parcourir le monde. Il a trouvé la place qui lui convient et il sait qu'il suffit de tourner à gauche en sortant plutôt qu'à droite. Il n'y a aucune raison que son chemin dévie de nouveau. Que Fidus y aille si ça lui chante! Cela ne le concerne plus. Il laissera le chien s'il le faut, il n'est le maître de personne.
XII - DES HISTOIRES DE DUVETS
Il aurait été bien incapable de dire qu'elle s'était installée chez lui, il pouvait à la rigueur parler au nom de son anatomie et énoncer qu'elle avait aménagé des espaces. Il ne savait pas exactement lesquels. Il n'avait pas besoin de répertorier les espaces que des filles comme elle envahissent. Il parlait d'invasion, mais il ne la considérait pas comme une envahisseuse, il était juste obligé d'admettre qu'elle plaçait ses troupes et qu'il ne trouvait rien à y redire. Il ne s'y opposait pas car cela ne lui ôtait rien, au contraire, il avait la nette et agréable sensation que ses propres frontières s'élargissaient. Il n'allait pas parler d'infini mais il n'était pas absurde de dire qu'il n'avait plus à s'en soucier. Là où il avait craint tapage et dévastation se formaient des creux d'une infinie douceur.
Avec elle, les choses étaient simples, avec elle, on était en vie ou pas. Pas question de chipoter, se triturer ; mental est mentir. Elle n'avait jamais rien eu à elle ça ne lui manquait pas. Elle voulait juste passer la prochaine seconde, vivante, qu'aucune seconde ne soit laissée pour morte.
Personne n'aurait pu affirmer les avoir déjà vus se parler. On entendait souvent le grand rire de Yasmina, mais sa voix à lui, personne ne semblait la connaître. Beaucoup pensaient même qu'il était muet, d'autres auraient pu à la rigueur concéder qu'il grognait. L'idiot du village et la princesse clocharde, un mauvais film ou une mauvaise romance, vu de loin et sans décodeur. Certains néanmoins percevaient un certain ravissement, une entente inédite qui faisait sourire les plus vieux et leur donnait un éclat étrange dans le regard. Le blanc de leur yeux devenait plus intense, ils rentraient chez eux et n'allumaient pas la télé, ils se laissaient aller à une rêverie qui les avait quittés depuis longtemps. On voyait des loupiotes briller tard dans la nuit et si l'on avait pu prendre de la distance, en s'élevant, on aurait pu se rendre compte que ces lucioles traçaient une carte parallèle du ciel, que des visages furtifs apparaissaient puis disparaissaient, les maisons semblaient très légèrement se soulever. On aurait pu commencer à se croire au pays d'Oz, que les maisons allaient continuer de se hisser et qu'un matin au réveil elles auraient disparu. Il ne resterait que des traces, l'éclat encore d'un sourire dans le ciel qui s'estompe. Est-ce que l'un d'eux s'en rendait compte ?
XIII – LES BISBILLES
Yasmina avait très vite saisi qu'il se tramait quelque chose. Ses pieds étaient comme des antennes et elle avait commencé à penser qu'ils n'y étaient pas étrangers et que pour que le changement advienne, ils n'avaient qu'une chose à faire, être ensemble. Le chien aussi entamait une sorte de périple, son poil changeait, se lustrait tant qu'il était devenu une sorte de soleil ambulant, de jour comme de nuit. Une lune en ventre de soie qui rebondit sur le sol. Une balle dont l'éclat ne faiblissait plus. Que fait-on d'un chien-lune chien-soleil ? Au bout d'un moment, ils allaient perdre leur tranquillité. Ils regardent Fidus, désolés. Ce chien est un tel amour, ils ne peuvent pas le cloîtrer, ils ne vont pas en faire un chien-taupe ! Les maisons se mirent à disparaître, mais sur une sorte de ligne parallèle et lorsque l'une disparaissait, c'était comme si elle n'avait jamais existé, la maison mitoyenne ne semblait en garder qu'une trace psychique, une bande de foin sur l'herbe verte, un résidus. Les habitants n'y pensaient pas, c'est ainsi qu'ils avaient toujours appréhendé la vie, par paliers d'oublis. Tout allait bien, ils ne se rappelaient pas et n'avaient donc pas à s'inquiéter. Ils foulaient ces déserts en se disant que c'était transitoire, que l'herbe repousserait, que c'était la chaleur la saison, le mauvais œil ou le chardon. On ne redoutait rien car on ne pensait à rien, les animaux et eux étaient les seuls gardiens.
Chaque matin, au rapport, Yasmina lui faisait le décompte. Elle n'était même plus sûre et elle n'avait aucune envie de l'écrire. Pourquoi rendre compte d'êtres qu'elle ne connaissait pas alors qu'elle n'avait même pas de compte, qu'elle avait toujours veillé à ne pas saturer sa tête. Juste, elle savait, chaque matin, que le monde s'emplissait de trous. Peut-on dire s'emplir dans ce cas-là ? Était-ce vraiment des incurvations où se trouvaient avant des fondations ? C'était difficile à dire et c'est difficile de vous le faire entendre, mais c'était quelque chose qui semblait avoir été là sans que l'on puisse rien prouver. Elle voyait, en plissant les yeux, qu'il y avait eu quelque chose, un frisson emplissait son corps en passant, elle devinait, bien que tout soit à présent presque lisse. Elle lui énumérait. Le monde se vidait. Restait à savoir si ce phénomène était circonscrit ou si cela se déroulait partout, chaque nuit. Qui à part eux y assistait ? Ils n'avaient ni télé ni radio et elle n'avait plus remis les pieds au camp qui de l'extérieur semblait inchangé. Naze ne voulait plus quitter la maison car il était convaincu que s'il partait, il ne la retrouverait pas. Elle avait essayé de lui faire entendre que les maisons étaient peut-être le nœud, qu'elles dévoraient ses habitants et que s'ils prenaient la route, ils échapperaient à la disparition, qu'il n'y avait que le mouvement qui pourrait les sauver. Il n'y avait rien à faire, il n'en démordait pas, cette maison l'avalerait, mais il ne bougerait pas. Il ne voyait pas l'intérêt de parcourir un monde vide. Il n'avait pas l'âme d'un pèlerin et pas les bonnes chaussures. Il avait assez parcouru de stations, assez dormi dehors, il quitterait cette maison et ce monde comme les autres et la laissait parfaitement libre de prendre la tangente. D'ailleurs, il ne se souvenait pas lui avoir dit de rester. Il ne retient personne.
En général, la plupart des gens, si on leur donnait le choix, voudraient, veulent que l'on se souvienne d'eux. En ce qui me concerne, c'est le chemin inverse que j'ai parcouru et il m'a fallu beaucoup de pieds pour y parvenir. L'effacement. Je suis la gomme qui peint les pieds à l'envers, je suis la tache sur le dessin, le coup d'éclat de Klein. J'ai visé l'au-delà du tableau et cela ne vaut rien. Ce que j'ai pu effleurer n'a rien de factuel, rien qui puisse vous rassurer. Je sais qu'il n'y a pas de princesse ou de gitane derrière le bleu. Celui qui siffle n'a plus de poches et la fille à la sale magie s'infiltre. Elle squatte les fissures, elle tente encore. Elle vous dira que nous ne sommes pas condamnés, que nous n'avons pas à choisir la couleur des barreaux, que nous avons nos pieds ; que celui qui l'écoute n'est pas près de tomber. Parce qu'elle est belle et terrible, vous l'écouterez, mais que des gemmes ou des lapins sortent de sa bouche ne changera rien. Eux aussi, ils ont des pieds, des bras pour nager, parfois des gilets des bouées et cela ne les sauve pas.
J'ai connu autre chose, avant, qui ne se dealait pas, j'ai connu ce monde, je le vois défiler sous mes paupières comme une dernière étreinte. Un index évanoui sur un briquet, quelques tics intacts dans l'obscurité ; la salle est pleine de nos baisers
Répu Péra la Marthe Danse le cœur Danse elle monte en sifflant. Les chats aiment autant lécher les toits que la poussière. J'ai porté mes pieds où ils voulaient être portés, j'ai même fumé dans des trains, oublié de faire ma valise, fumé des splifs et des étoiles, dis bonjours aux ravins sans les mains ; usé les trains leur sky. Le temps n'est pas captif. Black screen.
Imagine un bout de terre et de mer sans plastique. Il n'y a plus de carlos. Ceux qui n'ont pas de quoi font avec des bouts et les verdines sont devenues l'apanage de citadins en manque d'air mais pas de monnaie, à deux cents balles la nuit la moins chère, ça manque de roots et de gypsies mais la vaisselle est écolo. Les espaces du rêve sont soumis au réel, à ses principes et au cumul des interdits ; interdit de séjour, bancaire. La frange indigne au bord des rails est de plus en plus nombreuse et de plus en plus invisible. Je n'ai pas envie de perdre la fée électricité. Même si je rayonne bien à la lueur, de la cire plein les doigts, que je n'ai pas un rapport acharné aux choses à brancher, je n'arrive pas à me soustraire. Je sais, c'est con, mais c'est réel un interrupteur, c'est rassurant. Il n'a absolument pas la carrure d'un survivaliste. Elle lui dit qu'il survit déjà. Il lui rappelle que son peu de subsistance dépend des faibles ressources que les autres lui concèdent. Elle dit qu'il tempère. Il lui demande si elle pense que les animaux aussi vont disparaître. Devenir l'homme aux baies aux ronces, le vagabond agreste. Je ne suis ni fermier ni cueilleur. Elle dit « Tu comptais égrener les minutes jusqu'à ta mort ? Tu pensais tenir combien de temps à ce non rythme-là ? » Il répond « Tu as tort, c'est un rythme même s'il a l'air mort. Je ne suis pas qualifié pour déterminer la valeur ou la couardise des retraits, je ne suis pas qualifié pour la fin du monde. Ça n'intéresse plus personne les histoires de survivants, je ne suis pas là pour recycler les vieilles formules de sorcières ». Je préfère que toutes et tous disparaissent, les vagabonds n'ont rien de céleste, c'est une levure pour âmes en peine. L'homme a beau écrire ses légendes et se parer de cœur, je te le dis, il n'y a rien à sauver. Débarrassés de leurs histoires, il ne reste que des manifestations fugaces; les tracts ne font pas foi.
Tu m'as fatigué, tu as sabré le silence, on pourrait même dire que tu as fait disparaître la magie. Ces disparitions successives sont le résultat de tes fausses croyances, tu as vaincu le dernier équilibre, une terre pour deux est un linceul. Je ne dis pas que tu as fait pire que ceux qui rêvent de couronnes de fleurs et de danses-pioupiou-les-oiseaux-chantent, chacun son coin de ciel bleu, comme si la terre pouvait être une épiphanie perpétuelle de gentilleries béates et vierges. La mondialisation n'a pas marché, la colonisation la dératisation, rien ne fonctionne pour faire vivre les êtres en paix égalité fraternité, personne n'y croit; mange tes morts. Les êtres ne veulent pas de paix, ils se feraient trop chier. Ils veulent pouvoir tuer et baiser, la souffrance fait la nique à tout le reste, c'est le cent pour cent toujours satisfait jamais remboursé, tu gagnes à tous les coups. Comme la mort, tu es sûr d'y passer, qu'elle t'enlacera, ton ultime fiancée, ne te laissera jamais tomber, alors pourquoi irions-nous la larguer ? Valeur sûre et bad trip assuré.
Après tout, il restera peut-être les chiens
Des chiens sauvages
Il faut laisser ce monde redevenir sauvage. Savoir tirer sa révérence, quitter avant d'être quitté, avoir la délicatesse, le piquant d'une bouche ourlée; il faut partir comme un baiser
Il ne pensait pas qu'elle s'en irait. il n'en savait pas plus. tout était si calme. est ce que tout allait redevenir comme avant, est ce qu'il s'était pris les pieds dans un cercle de fées, avait-il buté dans le rêve éveillé d'une sirène et d'un cigarillo ? est-ce que le voisin et son poulailler ? il aurait tué pour un œuf, le jaune le blanc, il tend l'oreille, le chien aussi a disparu.
XIV - RAMES ET DÉVOTION POUR LA PLUS JOLIE BRUNE
Elle avait pris le train bien avant le lever du jour, ne surtout pas se retourner, une parenthèse enchantée. Le train est vieux et sale comme il convient, pour un saut raté pas raté dans le temps. Elle allumera une cigarette, contrôleur ou pas, les trains ne sont pas faits pour aboyer, les chiens… elle n'allait pas laisser Fidus au fond d'un jardin, les chiens sont faits pour voyager. Prendre le premier train, marcher dans la nuit pâle, la chaleur presque intime sur sa peau, la sueur et les comédons. Elle ne voit pas ce qu'ils trouvent à y redire, elle ne trouve pas qu'ils cachent la beauté, il s'agit juste d'un écrin, volcanique, ce n'est pas son problème que ça les indispose, que ce ne soit pas dans leurs critères, qu'ils la regardent mal. Même lui, il ne pouvait s'empêcher de la fixer d'un air navré. Mais lui, c'est différent, il ne peut rien feindre et n'obéit pas aux injonctions, juste, il ne comprend pas qu'elle tolère cette souffrance sur sa peau. Elle ne souffre pas, il faut prendre le premier train et les premières lueurs, laisser fuser les pores et les oreilles, les narines les yeux, la bouche aussi, juste l'entrouvrir légèrement un avant goût de ce qui se trouve devant. Grimper, ne pas se retourner, se laisser glisser sur le vieux siège orange. Des miroirs et quelques ombres furtives. Ceux qui n'ont pas de chez eux, comme elle, et qui grimpent dans les trains sans ticket ni destination. Elle n'en a jamais eu et ne vous contera pas son histoire, vous la connaissez déjà, allez écouter ce que les voix de la mer ont à vous murmurer. On ne raconte pas les histoires sans papiers et sans noms. On vous dira peut être l'histoire des roses que l'on pourrait tout aussi bien appeler moutons ou l'on se passera de mots. Voler
des syllabes au vent et des grammaires aux alizés. piocher des définitions dans le sable et des syntaxes aux feuilles
Elle n'a jamais très bien compris pourquoi ils parlaient tant pour ne rien dire, comme s'ils voulaient faire disparaître l'autre à force de le mitrailler. Une domination perpétuelle, une tyrannie du sens et du propre. Les mots sortent comme il veulent, quand ils veulent, elle n'a pas à les contrôler. Les mots ne lui appartiennent pas, ils ont leur propre arithmétique. Il faudrait balayer les mainmises, les additions s'annulent. Le train a quitté le quai avant son esprit qui errait encore dans les zones interpsychiques. Il s'en remettait encore à l'aube Domimor. On ne revient pas en arrière, à peine quelques secousses, un cahot rassurant pour s'endormir sans craindre le réveil et la prochaine nuit. Est ce que les baisers s'épuisent à force de ne pas être distribués ? Est-ce qu'on les garde pour soi comme un coussin en cas de panne sèche ? Il peut rêver qu'il rêve de soleil et qu'il ne sortira jamais de son rêve. Que les chats font des sauts de poire, que les kiwis ont des bras et les pépins des incendies. Il y a un feu pas plus haut qu'une flamme qui grandit en elle. Il faut être vaillant, avoir deux jambes n'est pas suffisant. On ne force pas les gens à venir avec soi manger le soleil.
Il a attendu deux jours avant de sortir. Il a vérifié chaque maison, tout était à sa place. Il n'a pas de preuve mais la poule et le coq étaient là et il a eu ses œufs et tout est reparti bien huilé ; il n'y avait plus d'ornières et de doute. Le campement aussi est à sa place et il n'a aucune intention d'aller vérifier qu'une Yasmina s'y trouve ou s'y trouvait, tout est bien, il le sait, il n'a jamais rien demandé, les choses passent, les gens se quittent, les mère disparaissent et tes souffrances avec. Il n'y a plus d'affect et de vengeance, tout est calme, il ne voit pas
pourquoi les gens s'acharnent à parler. Il n'a pas besoin de parler pour se sentir exister. Il n'a pas besoin de faire semblant de s'intéresser à eux. Ils gesticulent et martèlent mais ils ne communiquent pas; ce sont juste de grands gestes pour asseoir leur domination. Il est étranger au paradigme maître et valet, il n'appartient à aucun groupe, ne possède rien et ne compte pas commencer un jour. Il partira aussi nu qu'il est arrivé, que peut-on faire de plus sain ? Et ce serait lui qui manquerait de sanité ?
Il vit dans un asile à ciel ouvert
La vie est trop précieuse pour perdre son temps à être occupé. Trop précieuse pour laisser des traces et même ce carnet qu'il tient encore lui glisse des mains. Les phrases se font la malle. Ce sont des mots balancés n'importe comment, beaucoup de ratures. Le temps que l'on perd à se convaincre et convaincre les autres que l'on existe. Le temps pour lui n'est plus rien. Il est plein. Sans rien avoir à faire ou griffonner. Assouplir les joncs et la chair. Tracer les mots dans l'herbe, l'empreinte la plus délicate. Un Jaïn. S'incliner dans la terre et un jour y manquer d'air. Il a l'impression qu'il ne sait plus respirer, comme s'il désapprenait, qu'il avait des apnées
Un jour il oubliera et s'y noiera
On le retrouvera trop tard
Tant mieux
« Le temps que l'on met à comprendre et pourtant tout est si simple » dit Alexandre Romanès.
« La vie n'est pas courte mais le temps est compté » dit Malek Jan Ne'Mati.
Il sait que ce sera un mauvais moment à passer, qu'il ne fera pas l'économie de la souffrance, que malgré les sommets que
son esprit visite, le corps reste attaché au vivant. Il est prêt, il a abandonné la peur avec elle dans le métro. Le dernier souffle vers
Si Yasmina avait pu parler, elle lui aurait conté les histoires de celle qui parcourt les rames en fantôme avec lui, parallèle. Celle qui sillonne les couloirs de Paris. Le nombre de saisons et les stations ratées. Les contrôleurs et les absences de billets. On ne prend plus de billet quand on est amoureux.
Spéciale K.
Il comprend que le doute sur la folie du personnage peut irriter, que cela a déjà été fait. Il n'essaie pas de faire, il n'est pas là pour rassurer. C'est son histoire. Il ne fera pas dans le sens du poil, il n'a lui même pas toutes les données
XV - ZI (Zone Industrielle)
Elle avait parcouru la carte virtuelle, zoomé jusqu'à la boîte aux lettres pleine de prospectus. Depuis combien de temps étaient-ils imbibés ? Était-ce la boîte d'une maison habitée ? D'une maison habitée par lui
Imaginait-elle encore… Est-ce qu'elle avait regardé les itinéraires et les trains, coché les cases, envisagé le numéro de wagon, le couloir, place isolée ou bar. C'est marrant, elle pensait qu'il s'agirait d'un vieux train marron qui partirait gare du nord. Rien ne l'empêchait de prendre les billets et rien ne la forçait à partir, juste, elle donnait forme à une possibilité, la possibilité de faire le trajet, de s'arrêter dans la rue, devant la porte et de ne pas frapper sonner ou se manifester. Et repartir en sens inverse, aussi sec, un coup pour le désert et l'exactitude des forfaits.
Il est des portes où il ne vaut mieux pas sonner. Ce qui compte, c'est le voyage. Elle prend des trains depuis tant d'années. Certains y vivent. Elle se souvient de cette fille, du tour d'équilibriste. Comment appelle-t-on une fille qui vit dans les trains ? Les filles des trains n'existent pas.
Elle ne compte plus les trains qu'elle n'a pas pris, les vies pas prises au tournant, à quoi ça sert, elle n'a tué personne, ne s'est pas tuée, les chemins qui ne sont pas pris n'ont pas plus d'intérêt. Il y a des amours qui tuent mais ce ne sont pas des amours. Des pulsions tuent, des trains passent sur ton cœur à combien de trombes la petite seconde ? Il y a des battues pour récupérer quelques dents, des envers de ratiches au firmament. Il faut miser réglo, bien suivre le tempo, applaudir juste à contretemps, qu'on ne remarque pas ton pas de côté, qu'on ne remarque pas que tu n'es jamais tout à fait sur la photo, qu'il y a des fautes dans ton sourire, des signes discrets à quelqu'un d'autre, un appel aux bordures. L'asile ou la lumière. Au bord des bouches, solitaire ; aux commissures, éphémère, des pointes de suspension, une légère pétarade et du sang.
Le train cahote gentiment. Celui-là tu l'as pris, à quelques décades près. Tu contemples navrée le billet, ça aurait été plus simple de te tromper, de switcher les possibilités, ne pas entrer dans le dur, il y a trop de foi dans ce train, n'est pas neutre comme au petit matin. Il fait déjà trop chaud, tu ne cherches plus à séduire personne, tu regardes les pommes défiler et les odeurs trop sucrées te percutent. Le nez est délicat et les parfums trop lourds. Glisser de fenêtre en fenêtre, les rideaux sont lourds, excédents de paupières, un jeu qui triche, la dernière balade de la jeunesse. Balance ton pied, ouvre les fenêtres - speed aux rails rien ne va plus - genou à terre, tête à terre, regarder glisser les billets, toutes les destinations ne se
valent pas. À chaque gare un Capricorne matant l'usure expresse. Balance un pied, poids du futur
Il faudra en faire quelque chose
Bien sage de la paupière à l'ongle
XVI - IL N'YA NI DÉBUT NI FIN NI BILLET
On peut partir d'une pièce lancée en l'air et ne pas la laisser retomber. Cela commence sur un billet et cela finit sur un billet, il n'y a pas de somme, juste des contradictions. Il n'y a personne à l'arrivée, peut-être que tous les trains sont pris de la mauvaise façon, que le compostage maintient l'illusion, que l'usure affole la dévotion. Qu'il y en a toujours un pour se perdre et ne jamais se retrouver: qui est resté à Marseille ? Qui est passé par Sanremo ? A pris son train à Menton ? A croisé un fantôme à Arles ? Combien de rêves en PLS sur les rames? Qu'ils ne retrouveront pas, les auront même presque oubliés ; l'idylle demeure dans les interstices d'un été. Tu peux laisser chaque livre ouvert à la bonne page, ne pas les refermer. Tu peux arracher chaque page et les laisser s'envoler. Tu peux tout écrire et tout recommencer.
Il peut très bien être réapparu après deux décades, son délire matche. Il y a des fosses communes ou tout du moins des nasales, une obsession des injures de la poésie et des battes. Tu fixes la photo comme si les morts allaient se relever, Jucifer ou Neverus. Tu sais que tout est possible, qu'il n'existe que si tu le ressuscites, que ce n'est qu'une transaction de ton esprit, un bras d'art en faction, que son nom n'est qu'un tremplin des « Je ne sais pas dire Je »
Tu ne t'es que récemment rendu compte pour Mia et Mina, héroïnes parallèles. Tu n'as aucune idée de ce qui a réellement infusé. Tu te souviens avoir lu le livre sans t'en souvenir et pourtant c'est là et tu ne crois pas au hasard, tu sais que tout fait sens ou que rien ne le fait, qu'au final c'est kifkiffbourre, que c'est juste une question de nord ou de sud, de positionnement, de tête à l'envers ou pas, que tu te resserviras une rasade d'exil, ressauteras dans le prochain train et ne t'arrêteras qu'en taule ou dans une prochaine vie.
Tu ne sais pas ce que tu feras dans ta prochaine vie
époustouflant! un style original, , une vision,, tragi-comique sur le sens de la vie. de l'amour, de la mort, de la folie.. Vous avez un grand talent!
· Il y a plus de 2 ans ·michellelepoulain
De ton avis Michelle, tu dis cela mieux que moi ! ;)
· Il y a plus de 2 ans ·Patrick Gonzalez
Merci Michelle pour votre retour enthousiaste et précis, votre ressenti et vos mots me vont droit au cœur !
· Il y a plus de 2 ans ·tsintiiia
un peu foutraque ce texte mais pas impossible que j'apprécie l'humour et l’écriture poétique ci et là,,,un peu long quand même...:)))
· Il y a plus de 2 ans ·Patrick Gonzalez
Merci Patrick pour l'arrêt par ici et vos mots, foutraque c'est un mot que j'aime bien et qui va bien à ce texte déboulé un peu comme un cataclysme et mes deux gusses ça les fait bien marrer les mots goulus et ils vous passent le bonjour de là où ils sont ou ne sont déjà plus !
· Il y a plus de 2 ans ·tsintiiia