Attends
Wilou Riamh
ATTENDS
Le ciel est rouge. J’entends un appel, quelque part au delà de l’horizon. Mais lequel? Je veux dire, de quel côté? Est-ce un appel?
Quelques heures plus tôt…
-Ne rentre pas trop tard, j’ai besoin de toi pour le boulot.
-Ouais, bien sûr… à plus…
Je ne sais pas ce que je fais ici. C’est un trou paumé, une petite ville. Ils ne savent même pas à quelle distance se trouve la prochaine ville. Je suis bloquée au milieu de nulle part, et je peux voir les champs aux alentours…
Mon boulot ici ? Je cuisine… Enfin… c’est un joli mot… trop beau pour ce que je fais en réalité. Je fais des hamburgers dans une usine… rien de bien génial…. Je les ai goûtés. Ma cuisine n’est pas en cause, mais tu ne peux pas manger ça sans être malade ensuite….
En fait, tout est dégoûtant ici… dégoûtant et dégoûté.
Quand suis-je arrivée ici, dans un tel endroit inutile ? Je ne sais pas… On dirait que ça fait des heures et des heures et des heures… Si t’additionnes le tout, ça doit bien faire des années et des années et des années. Qu’est-ce que le temps ici, de toute manière ? Nulle part où aller, nulle part où s’enfuir.
Les gens ici n’ont pas l’air d’avoir besoin de savoir l’heure… Les horloges sont cassées, non réparées. Le soleil se lève et se couche chaque putain de journée de chaque putain de semaine de chaque putain de mois… et ainsi de suite. Je deviens une partie de ça… Diable… J’ai vraiment besoin de m’échapper…
Je cours, presque hors d’haleine, mon genou droit me fait mal. Des champs encore et encore, et cette route interminable. Céréales. Maïs. C’est l’été… J’avais presque oublié ça… L’été… Le temps passe à travers les champs, au moins. Je vais être en retard au boulot. Je n’ai toujours trouvé aucun panneau indicateur.
L’horizon est vierge.
Je m’en retourne… Je ne gagne pas bien ma vie avec mon salaire, mais c’est toujours quelque chose. Je peux acheter de la vraie nourriture. Vraie Nourriture… chose étrange par ici… est-ce réel? Putain, j’ai l’esprit qui s’embrume… qu’est-ce qu’il m’arrive?
Quelques jours plus tôt…
J’ai trouvé un vélo. Un vieux vélo rouillé, mais il roule encore. J’ai décidé de prendre la route Nord aujourd’hui. J’ai essayé la route Est et la route Sud…. Rien. Rien ne se passe, et je reviens toujours, assoiffée et épuisée, comme après une course du Tour de France.
Insignifiants, sans but… les gens ici regardent les mouches voler et manger les fruits. Ils ne s’ennuient jamais… ou peut-être s’ennuient-ils trop pour seulement s’en rendre compte. Pourquoi ne meurent-ils pas ?
Je déprime ici… J’ai hâte de me barrer de cette ville sans nom. Les voitures avancent lentement, les piétons marchent lentement, les bébés pleurent lentement…
Et ce soleil… haut dans le ciel. Il semble nous regarder avec un sourire malin. Le soleil dit « Bon, qu’allez-vous faire aujourd’hui ? Ha, suis-je bête: RIEN! Et où irez vous, aujourd’hui? NULLE PART! Ha! J’adore la vie, vraiment!”
Je déteste le soleil… Il me brûle comme si j’étais sur Mercure… Ouais, enfin, si au moins j’étais perdue sur Mercure, je saurais pourquoi je ne peux pas quitter cet enfer. Mais je suis sur cette bonne vieille planète terre.
Y suis-je ?
Peu importe… Vaut mieux ne pas penser… c’est épuisant.
***
Le ciel est rouge, et j’entends un appel. Je ne comprends pas un mot. Quelqu’un parle comme un étranger muet… Je ne te reçois pas, mec, non…pourquoi n’utilises-tu pas un haut-parleur et ne cries-tu pas ton message ?
Je suis sur la route Ouest… Je pense que je suis sur cette route. Je marche. Je ne reviendrai pas au travail, ce soir. Je ne veux pas. Je vaux mieux morte de toute façon. Ils ne verront même pas que je suis partie. Ils ne voient jamais rien. Tout ce qui se passe est normal et est censé se passer. C’est comme ça.
Comment suis-je arrivée ici, au fait ? Quand? POURQUOI? On s’en fout… Aujourd’hui c’est ma grande évasion. J’me sens pas bien, découragée. Le soleil brûle… La lune essaie de gagner le combat.
De l’eau, j’ai besoin d’eau.
Je la vois. La ligne… quelque chose là-bas… Je cours, cours… une voie ferrée. De l’acier. Quelque chose de réel! Chaud. Je pose un pied sur les rails… Quelque chose va se produire… un train arrive… il DOIT arriver.
Droite ou gauche ? Je ne peux même pas décider mon chemin. Ridicule.
Je regarde ma montre… en vain… elle est cassée depuis… depuis… bah, elle est cassée.
-Si un oiseau chante avant que le soleil ne touche cet arbre, je vais à gauche. Sinon, je vais à droite.
Il y a un arbre, au loin… un grand arbre, on ne peut voir que le sommet. Je pense que c’est un arbre. En fait, je ne sais pas vraiment. Mais j’ai décidé que c’en était un… alors disons-le…
Je m’assieds sur l’asphalte chaud. Et j’attends.
Attends…
Attends…