Attraper mes rêveries
Shudrack
Toutes les nuits, dans mon sommeil, surgissent ce que j'ai coutume d'appeler mes rêveries. La nuit, l'esprit vit de manière extrêmement libre. La pensée n'est arrêtée par aucune obligation, aucune interaction, elle se déploie et s'envole, elle se disperse, elle se tord, elle disparaît et se forme à nouveau. Est-ce l'inconscient ou le subconscient à cette heure je ne sais pas. Mon esprit est un phénomène multiforme et d'une liberté absolue.
Il est d'une telle liberté qu'il cisaille les frontières de mon imagination et fuit loin-loin en avant. Il part à la chasse. Et tous les matins au réveil, fidèle, il me ramène des rêveries.
Adolescent, je tentais d'interpréter ces rêves, de leur trouver une signification concrète dans mon quotidien présent ou à venir. Je voulais pouvoir les partager et les comprendre. En vain, dès que je commençais à les relater, ils disparaissaient au fur et à mesure que je tentais de les détailler.
Sitôt le matin arrivé, les sensations se perdaient, les lieux s'effaçaient, les mots moins précis, les traits des visages gommés, un voile d'approximations se jetait sur ces souvenirs pourtant frais.
C'est à ce point difficile que le plus souvent, un rêve qui vous a marqué devient totalement dénué d'intérêt pour celui qui accepte de vous écouter ou de vous lire. Tentons l'expérience si vous le voulez bien. « Je me souviens encore un peu de ce rêve dans lequel, retenu à l'intérieur d'une prison cosmique, oui cosmique.... je parvenais malgré tout à échapper à une sorte de jugement dernier en me liquéfiant...et mon réveil en sursaut fût alors provoqué par mon incapacité à revenir à l'état solide »
Tous les éléments plus précis autour de ce rêve ont quasiment disparu instantanément lorsque j'ai tenté d'en parler et plus j'essayais moins les mots me venaient. Le souvenir qu'il m'en reste est le même depuis presque trente ans, figé dès mon réveil sans jamais plus me quitter.
Du haut de mes treize ans, au pied de mon lit désormais, un stylo et un carnet seraient installés pour être capable d'écrire avant d'oublier, de noter tous les détails des rêveries avant qu'ils ne s'estompent et ne fuient comme les grains de sable dans la paume de la main. Mon intérêt précoce pour le surréalisme et l'écriture automatique firent le reste et l'écriture s'est imposée comme moyen de retenir encore un peu mes rêveries. De noter de manière brute et sans effort de cohérence, toutes les sensations, tous les mots pour en garder trace. Alors parfois, le matin c'est comme une comptine qui me vient :
Sur une page lisse, le stylo danse, l'encre glisse et l'histoire commence
Sur une page blanche, les mots surgissent, ensemble ils finissent et c'est une avalanche
Plus tu écris et moins tu te livres c'est le paradoxe de l'écriture
SHUDRACK – Novembre 2018