Atuona bay - Sur impression à partir de Berck-Plage (Sylvia Plath).
tiare
I
C’est donc cela, les Marquises, la mer omniprésente et sans retenue.
Les rayons obliques des tropiques ne dilatent pas ma peine.
Au ciel montent les nuages odorants de viandes
Fumées dans les fers par les mains fortes d’hommes tatoués.
Pourquoi est-ce si désolant, que fait-on ici de si différent ?
J’ai une âme pour prier et un corps pour exister.
La fine bande de sable sombre se plie à l’écume débordante.
Elle se suspend à la rambarde défoncée sur une centaine de mètres.
Et des flots puissants, s’échappent, intensifiés par l’écho.
Le regard se perd au loin dans de vastes solitudes
Qui révèlent comme un miroir un défaut d’acuité visuelle.
Faut-il s’en féliciter si lui porte une voix d’or ?
Faut-il s’en féliciter si il a opté pour l’art ?
Celles qui s’occupent de tresser une couronne de fibres
Lui présentent la parure de leurs mains.
Elles manipulent les feuilles de pandanus comme le prolongement de leur corps.
La brousse aux essences multiples qui avait crée ces espèces
Exulte en s’élevant et expire lentement sa béatitude.
II
Cette gueule de Brel n’égale personne en beauté,
C’est le cortège d’une âme glorieuse,
La belle âme glorieuse et libre de ce poète
Qui voulait finir ses jours au Fenua Enata,
Chanter la solitude de ces îles avant de partir.
Une jument noire dévale sur la plage,
Des formes, des femmes : une boutique
Dont les froufrous en fleurs repoussent la pénombre.
Alors qu’une eau torrentielle rencontre le sol
Forte de tout ce qu’elle a libéré –
Des colliers, des tiare, des coiffes, des silences.
Sur la route du cimetière des foules d’adorateurs montent dans le soleil.
Oh lames d’acier de la mer,
Que d’étreintes obligées, que de brûlures sur la peau suintante
Et celle qui attend, tremblante,
Immaculée comme une toile blanche
Entre une frêle innocence
Et un sexe fermé comme une porte étroite.
III
De la terrasse de la maison les étoiles pointent.
Les étoiles, les étoiles –
Des constellations filandreuses dans la nuit dense, des lunes renversées.
Et la grande douceur de l’air. Comment pourrais-je vivre
Plus fort que les tambours Aka des danseurs du soir ?
Je ne suis pas une marquisienne, impudique en jupe de scène,
Je ne suis pas un rire.
Ces chiens cherchent quelque chose, ils errent en meute, hurlent comme des loups.
Mais mon cœur est trop faible pour leur jeter la pierre.
Voici le cri du coq : la crête rouge,
Les tympans qui explosent comme des œufs, et voici la sage-femme :
Sa science est pratique –
Un exemple d’humanité.
Dans l’un des fare, sur un peue rayé,
Un enfant est sur le point de naître.
La lune pleine éclaire l’herbe verte du jardin.
Où sont les âmes des aïeux, blanches et mouvantes,
Et le tiki, esprit des cieux.
IV
Ma tête sous les percutions semble une coque vide.
Les danseuses ne sont jamais laides sous leurs coiffes ailées.
Leur corps s’est livré comme une raie qui traverse.
On a élevé la voix au milieu du tumulte.
C’est donc cela être d’ici. C’est simple.
Porte-il un sexe d’homme ou de femme
Sous ces mailles serrées d’où sort son air paisible,
Vêtu de blanc sans plus ?
C’est un être bien choyé maintenant.
On se croirait devenu propriétaire d’une chose.
On lui a calé le ventre avec des seins, porté aux nues
Qui se soucie encore de savoir qui est le père : l’oncle, le cousin.
On a changé la couche, il sent bon le Tamanu
Et la lignée incestueuse retrouve son sourire.
C’est une bénédiction, c’est une bénédiction :
Le doux réceptacle de bois creusé par l’eau,
Les grands parents, le petit nu
qui met un pied dans la maison de Dieu.
V
La jungle s’est épaissie, les sentiers comme les fils d’une vieille ligne
Etirent au loin leurs nœuds et dissimulent leurs fins,
Le labyrinthe où les pensées de la vahine se diluent –
Chemins sans buts et sans issues,
Remplis de peur et de résignation, de rencontres et d’espérances vides.
Un gecko avale un papillon de nuit
Sur un matelas de l’habitat de bois,
S’étale et s’effondre, le gras tonton.
Et ce sont les images d’une autre : oublie, oublie.
Il est toujours là cependant, et ces postures immondes
Mouvantes en elle comme des limaces, des cents pieds.
Et la froideur se joint à la froideur –
La froideur des ravins et des cimes ennuyées,
La froideur dominante des semaines de pluie,
Eaux débordantes sur la route traversière : délivrez-nous de tout.
Les ruisseaux pleins de souffrance drainent des bois,
Les branches de manguiers à la sève jaune, les murs détrempés de moisissures.
C’est tellement long ici, c’est tellement en suspens.
VI
Ces modèles aux rondeurs admirables des marquisiennes ! –
Aplats bruns en grappes idéales, les tuniques décolorées nivellent les corps.
Gauguin le sauvage s’empare des cheveux,
Les teinte d’ébène opaque,
Et les vagues déroulent les blancs des amants qui ne se sont plus,
Un moment sans âge de paix et de grâce naturelle.
Quel est le secret de cette couleur ? –
Couleur rouge ocre des jours vieux au soleil,
Du rouge des jeunes guerriers, des cœurs carbonisés.
La vahine avec sa couronne blanche et ses trois soeurs,
La vahine obligée au milieu des violeurs,
Expose son visage comme du papier froissé
Quelle ne dépliera plus.
Une église, encore peinte comme une tarte à la crème,
Ecoule tous ses serments.
Les fleurs de l’autel divulguent leur senteur,
Et l’âme est fiancée, fiancée en ce non lieu,
Et le fiancé est rouge et négligeant, il n’a pas de visage.
VII
Devant les rochers anthracites
C’est un décor lumineux et spacieux qui se déploie.
Je me bats contre les vagues, je ne nage pas, dans cette mer
Qui finit en accéléré dans la baie.
Mais le voyage est sans issue,
Un grand rêve éveillé
Qui explore l’ailleurs douteux comme un corps étranger,
Un paysage à ces humeurs, hystérique, neurasthénique et romantique
En quête de finitude.
Alors, à travers les barreaux de mon ego,
Les fantômes voient descendre chaque jour,
Et parlent, doucement, une langue du passé.
Et ouvrent grands leurs yeux
Sur un indéfini tableau –
Dix platanes espacés sur la voie et un ciel gris,
Un ciel gris et quelques habitations qui font semblant.
En un instant le décor se délave et des pierres blanches apparaissent.
C’est bien au delà, il n’y a plus de bornes.