AU BUCHER

prune

Me voilà donc seule face à mes juges. Les autres se sont enfuis, lorsque le coq trois fois a chanté. Pourtant doux agneaux, bons apôtres, fidèlement ils me suivaient, mais leurs pieds se sont écorchés sur des cailloux trop tranchants, leurs mains se sont brisées lorsqu’ils ont du se relever, courbés sous le poids du blâme et de l’inculpation – comment pourraient-ils être inculpés, ces agneaux bêlants à peine sortis du sein de leur mère ? Et leurs âmes, que sont-elles devenues, leurs âmes ainsi fustigées, fouettées par la critique et n’ayant pour seul combat que celui de se soigner, d’éponger une plaie qui restera béante, qui dégueulera sans fin le sang qu’ils n’ont pas voulu verser ?

Infâmes que vous êtes, infâmes vous resterez. Vous n’aurez pour seule gloire que celle d’avoir voulu … mais vous n’avez pas cru, vous n’avez pas hurlé. Savez-vous ce qu’est l’infâme ? L’infâme est l’inconnu, qui toujours se retourne et se détourne, se cache et tremble de peur d’être désigné, qu’un doigt se tende et le cite en témoin, complice forcément, complice assurément de ce qui devient un péché … et ils vous taxeront d’aveuglement ou d’arrogance, d’indifférence ou d’orgueil déplacé, si vous restez. Votre lâcheté, nul n’en parlera, ce n’était pas une fuite, mais une prise de conscience.

Où est-elle, la conscience, lorsqu’à soi-même il est demandé de renoncer ? Communier silencieusement, communiez sans crainte, rassurez-vous et serrez-vous les uns contre les autres, moutons pris sous les foudres, tremblant dans vos carcasses dont on entend presque les os claquer. N’élevez aucune voix, ne dites rien, vous n’en serez que mieux pardonnés. Regroupez-vous lorsque les cloches de la grand messe sonneront, penchez la tête, du Mea Culpa pourrait venir votre absolution et vous vous en convainquez, à plusieurs l’excuse semble plus véritable et ne demande plus à être justifiée. Battez vous la coulpe, laissez vos larmes couler, vous qui avez failli lorsque vous avez murmuré. Battez vous la coulpe et espérez être entendus maintenant que c’est le silence que vous rejoignez. Quel bruit fait le silence lorsqu’il s’élève au cœur de la foule ?

Alors me voilà donc seule.

Ils ont voulu me bâillonner, m’attacher les poignets dans le dos, me tondre et m’habiller de bure, pour avancer, pieds nus, vers leur bucher, cochons qu’ils étaient … oui, cochons, et j’en ris, car de dos ils continuaient de me regarder, et leurs pensées se sont détournées de leur purificatrices intentions, car avant de brûler la sorcière, pourquoi ne pas en profiter … un sermon deux ave et eux aussi seront pardonnés.

La cause que j’ai à défendre ? Avoir dit non, peut-être, et ne pas m’en être contentée. Avoir dit non, ce n’est pas tout, non, je ne pense pas comme vous, non, vous ne m’imposerez ni règle ni allégeance à une quelconque opinion, encore moins à la votre qui n’a de force que dans la multitude qui la suit. Mais une opinion est-elle meilleure parce que vous seriez cent, mille ou plus à vous y soumettre ? C’est en tout cas ce qu’il paraît, à vous voir ainsi, fiers et prétentieux, convaincus de votre bon droit à me chasser … et vous diabolisez sans honte, par orgueil, sans honte et sans vous rappeler que le premier qui par orgueil fut chassé est le Diable lui-même.

Qui êtes-vous donc pour pouvoir ainsi vous installer en juges et parties ? Qui êtes-vous donc, bouffis de certitudes, sans rien pour vous soutenir ? Si l’on vous souffle dessus comme vous soufflez sur les braises de ce bûcher qu’obstinément vous allumez, combien serez-vous à tomber sans personne pour vous retenir ?

Je ne me plierai ni à vos lois sans fondement ni intérêt, ni à votre sale conformisme. Je ne me plierai ni à vos attentes, ni à vos exigences, ni même et surtout pas, encore moins, à vos pitoyables demandes, à ces chants que vous susurrez et aux fausses promesses que vous faites pour me faire revenir dans vos rangs. Je resterai la brebis galeuse, mais pas égarée, je suis mieux loin de votre troupeau, je suis mieux à protéger ce qui fait mon individualité.

Alors, pendez-moi haut et court, brûlez-moi, dansez de joie autour de cet autodafé. Dansez longtemps, usez-vous les semelles, après les avoir battues en souhaitant que j’implore votre pardon. Lorsque vous vous assiérez enfin devant un tas de cendres, fatigués de vous être ainsi réjouis, n’écoutez pas votre mémoire.

Elle, elle n’oublie rien.

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