Au fond du castel
klapoutz
Il était une fois, une Princesse, une Princesse comme toutes les autres, dans la plus haute tour d'un château comme on en faisait beaucoup, prisonnière comme toutes les autres, et en attente, comme toutes les autres.
Elle patientait péniblement, de longues journées de contemplation derrières les verres des grans fenestres, scrutant le ciel et la terre brûlée, éperdument impatiente de rencontrer l'unique, celui qui la délivrera, qui changera sa vie à tout jamais pour enfin vivre heureuse et avoir beaucoup d'enfants. Son Prince charmant.
Seulement, ce château-là de cette Princesse-ci, était bien gardé. Un grand dragon avec de fabuleuses écailles luisantes reflétant la noirceur d'un ciel orageux comme le fond de l'âme de l'aventurier imprudent, aussi dures que des milliers de boucliers, le protégeait. La bête avait un regard perçant qui vous dépouille l'armure du regard. Ses pattes monstrueuses étaient pourvues de longues griffes noires et acérées qui déchiquetaient le sol à chacun de ses pas. Un dragon avec de grandes ailes telles des voiles lacérées par les tempêtes d'une caravelle revenant du bout du monde.
On ne sait pas pourquoi ni comment, mais il était de nature chez les dragons de protéger les châteaux et citadelles, surtout ceux avec une Princesse dedans.
De leur côté, les Princes, vaillants et prétendants, plus forts et plus beaux les uns que les autres se bousculaient pour partir à la conquête de leur dulcinée. Ils n'avaient souvent qu'un seul but dans la vie, se préparer à cette grande aventure, prédestinés à accomplir la quête de la fleur éternelle, celle qu'on idolâtre dans chaque contrée, la femme.
Presque tous les jours il en partait bon train vers de nouveaux territoires où l'on ne voyait plus horizon, la monture sous selle et arme à la main pour faire bonne impression. Il y en avait de diverses et de variées comme de grandes épées lourdes à double tranchant, des épées courtes à lame incurvée, des arcs et des flèches pour moins fana du corps à corps, des massues et fléaux pour les braves de plus d'une toise. Mais tous, au fond, partaient la bite à la main.
Ce n'était pas par fierté, mais conquérir une princesse sans avoir bravé les épreuves, ni tué l'animal fabuleux dans une épopée solitaire, signifiait aux yeux de la féminité, des remontrances à jamais.
Plus l'épreuve était difficile, plus d'aventure il était, plus le dragon fut méchant, plus les prétendants se pointaient. Plus les morts aussi, s'amoncelaient.
De plus chacun le savait, pour délivrer la Princesse de son piédestal rocheux, il ne fallait pas seulement tuer l'animal et venir frapper à la porte, il fallait user d'autres armes à qui beaucoup manquaient.
Chaque matin, aux lisières des landes et marais, à l'orée du village, les derniers adieux se perdaient dans les petits mouchoirs humides, l'air se chargeait par avance de tristesse de la perte d'un être cher, d'un enfant du pays, d'un homme.
Chaque homme qui s'y aventurait recevait le titre de Prince, on préféra le donner avant qu'à titre posthume, ne serait-ce que pour donner du courage à la vanité.
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On se souvint cependant, d'un certain Prince Isambour qui, à la bonne époque des espoirs enragés, avait réussi à pénétrer l'enceinte du château. Il avait eu l'audace de ne point mettre d'armure, de n'emporter aucune arme qui ne fit plus de bruit que ses pas. Attentifs aux cliquetis du métal et aux grincements du cuir bouilli, le dragon ne se douta de rien.
Il dépassa le parapet du chemin de ronde quand la Princesse accoudée au rebord de la fenêtre, l'aperçu.
A scruter chaque jour le ciel et la terre elle en avait aiguisé sa vue, elle distinguât qu'il n'était vêtit ni armure ni ne portait d'arme. Un affront de se présenter ainsi au perron de son amour. Elle vit aussi sa naissante calvitie qu'ornait sa coiffe et qu'en taille il ne dépassait pas la toise d'un grand canasson.
Déçue du candidat, elle le répugna et avec ses plus grands talents d'actrice dont elle se jouait le matin dans le miroir, elle esquissa un sourire forcé, puis épancha sa joie au regard du charmant et s'écria: “A l'aide, je suis tout en haut, venez me secourir.”
A ces mots, le dragon se réveilla et ne fit qu'un pas pour souffler dans le colimaçon toutes les flammes de l'enfer.
Le Prince, non victorieux de l'ascension se figea dans le feu de l'action, aux pieds des premières marches.
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Il y avait encore le Prince Childebert qui, partant du principe que la plus courte distance entre deux points était la ligne droite, sans encombre, ni dragon, il fallait passer par les airs
Il s'était mis en tête de fabriquer une voile triangulaire et plate rigidifiée par des branchages ayant pour but d'atteindre directement la plus haute tour du château depuis la falaise.
Cependant, le fort vent de dos qui l'amenait doucement vers sont but, amena également par avance toutes les effluves et parfums volatiles de son dur labeur. Ayant grimpé pendant une bonne semaine pour atteindre sa falaise et chargé de tout son attirail, il avait assemblé son oiseau dans la hâte. Dégoulinant de sueur qui suintait sur la poussière que ses âpres urines avaient collé à la peau.
Ces piquantes odeurs fades devancèrent l'érudit dans sa fougue, atteignant la tour bien avant que son regard ne s'y pose.
La princesse, qui avait le nez fin s'en répugnant de dégoût, elle bondit vers la fenêtre pour connaître l'origine de ce crottin, vit ce que le vent portait en sa direction; un candidat qui en avait oublié les fondamentaux de la toilette.
Elle fit de grands signes en agitant ses bras en direction du dragon qui piétinait dans la cour.
« Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
Ce qui est sur c'est qu'un battement d'ailes de dragon au château peut faire valdinguer un homme dans le mur le jouxtant. De grandes conséquences découlent aussi de proches causes.
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La Princesse eut son plus grand espoir au regard de l'armure luisante et argentée du Prince Perceval, dont on faisait l'éloge dans toutes les tavernes et maison closes - bien que se fut souvent le même établissement - de la contrée.
Son armure n'avait pas son pareil, et chaque partie de son corps en était protégée. Les dires à son propos racontaient qu'elle avait été forgée avec du Mythril, la solidité de ce métal légendaire n'était plus à prouver, même le plus colossal des monstres n'arriverait pas à la déchiqueter. Il arborait également fièrement un heaume à plume avec un seul interstice pour ses deux yeux, qui rajoutait du mystère à son regard. Personne n'avait encore pu voir son visage, ou alors pas de vivant.
La pointe du fourreau de sa grande épée fleurtait avec le sol, Comme il était d'usage pour les plus preux chevaliers, son épée était nommée. Celle-ci fut accablée du nom de “Blanche” car le sang des victimes qu'elle fendait n'avait jamais le temps d'y couler.
Il marchait avec une telle aisance qu'on en oubliait le poids de son blindage.
Mais il ne se pointa pas directement aux portes du château, il brandit son épée, menant son assaut en direction du dragon qui somnolait non loin de là, et fit front.
Accoudée au rebord de sa tour, le menton entre les mains, les yeux pleins d'étoiles, elle vit en lui l'homme de sa vie.
Face à face tragique de David contre Goliath, où le combat ne commença point.
A son approche, l'animal dormait encore et cela avait don d'exaspérer le Prince.
Mais avant toute entreprise le Prince le dévisagea, scruta la bête de la queue à la tête, ayant espoir d'y planter Blanche dans le mou de sa chair. La dureté de sa peau ne laissait rien transparaître, mais son regard s'arrêta sur les écailles miroitantes de son flan.
Elles ne présentaient ni traces ni rayures, chaste de combats.
Son reflet en était parfait et il se vit en armure dans cet enchevêtrement de peaux dures, elle paraissait d'un coup bien fade.
L'éclat était devenu terne, les inscriptions gravées sur la spalière par les plus grands artistes semblables à des dessins de bambins. Il ôta son heaume pour mieux se contempler, ajusta ses cheveux aplatis par son casque d'acier. Il y déposa son arme au sol, elle l'empêchait de se mouvoir. Il ressemblait à un pantin de paille qu'on met au milieu des terres agricoles, pour effrayer les oiseaux, rien de plus.
Il essaya de se rassurer en faisant état de ses muscles saillants qui plaisaient tant, il se dévêtit de sa cuirasse et de sa côte de maille.
La Princesse sous le charme n'osa interrompre la scène.
C'est que la Princesse attendait ce centième candidat avec impatience, se disant que dans les chiffres ronds elle s'arrêterait de tourner.
Mais l'homme n'eut pas le temps d'y voir autre chose que sa peur aux premiers soubresauts de son reflet qu'on entendit ses côtes se briser une à une à travers les remparts. Puis dans un cri des plus horripilant, le centième homme rejoint la pile des prétendants. Sans vie, sans même un dernier souffle, une véritable hécatombe.
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De ces péripéties et histoires en tout genre, les villageois en avaient rapidement les grand traits. Elles étaient rapportées saupoudrées de détails, comptées avec le plus grand soin par une femme, Perrine. Elle vivait sur la colline et de son promontoire surplombant la vallée, elle avait une vue imprenable sur le château de son amie d'enfance.
Elle passait ses journées l'oeil à la lunette astronomique en spectatrice du devoir masculin, se précipitant chaque soir d'en raconter leur déclin.
Peu revinrent de ce château de Porte-Paille, et de ceux qui réussirent à s'échapper on n'en connu point la suite, ils disparaissaient à jamais après leur échec ou leur fuite.
Mais Perrine qui relatait tout cela, n'omettait pas d'y mettre un peu du sien, réduisant le courage et la ténacité des Princes devant une mort certaine.
Brûlés, calcinés, dévorés, et mis en lambeaux par le dragon, la Princesse avait toujours bon espoir.
Dans le village, la plupart des hommes en âge avait disparu, il n'y avait presque plus de main d'oeuvre pour travailler au champ et les enfants étaient encore trop jeunes, même le maréchal ferrant et le forgeron s'étaient fait statuer par le grand dragon.
Et il y eu un jour, un vagabond arriva au village pour colporter ses contes et rumeurs. Il avait sillonné toute la contrée, écoutant les bonnes aventures des uns et les histoires des autres au détour d'un godet dans les tavernes les moins huppés. Il était l'oreille des hommes et des femmes délaissés, et s'imprégnait des frustrations de tous ces Princes à qui les moeurs imposaient d'aller jouer les sauveur.
Mais il connaissait également d'autres histoires, celles qui racontent la suite, les histoires des Princesses libérées qui ne sont pas si fragiles. La vie du Prince conquérant et du “ils eurent beaucoup d'enfants” tint un discours des plus sordides.
Ce que beaucoup de Princesses ne disaient pas c'est que si l'envie les prenait, le fabuleux protégeant l'enceinte et non l'occupant, il était des plus aisé d'en sortir sous son nez.
Combien s'en étaient échappées? trop peu. Elles préféraient les barrières et les dures sélections pour soumettre à l'homme les plus viles épreuves. L'amour se mérite.
Mais pour beaucoup de Prince le titre de leurs mésaventures était un adage: “Voir le château, et mourir.”
Il y avait là un véritable problème démographique, et la situation devenant problématique, le vagabond dans sa lancée glissa en fin de discours devant son oratoire qu'il suffirait qu'on n'envoie plus les hommes au château pour que cesse le massacre..
Les villageois qui étaient toute ouîe, c'est à dire tout ceux qui avaient assez bu pour ne pas dormir, s'était réveillés le lendemain avec la gueule de bois et une seule idée en tête.
Convaincus depuis ce jour, les villageois n'envoyèrent plus leurs garçons en âge de devenir des hommes. Les filles ne furent plus protégées et emmenées dans des citadelles.
Lassées de ne plus voir aucun prétendant venir à leur rencontre, quelques Princesses prirent la poudre d'escampette, presque trop facilement qu'on dû façonner la vérité pour éviter qu'on ne les pendent.
Toutes les princesses? non.
Le plus sinistre c'est que la princesse de Porte-Paille finissait de croupir au fond de sa tour, seule sur son trône, première porte à gauche.
Et pour les Princes, ils vécurent.